L’alliance franco-allemande au coeur de la puissance européenne [12/11/09]

Si elle ne veut pas courir le risque d’être durablement réduite au rang de « nain diplomatique, économique et politique », dans un monde d’après-crise dont la destinée sera présidée par un « G2 » formé des Etats-Unis et de la Chine, l’Europe doit reprendre la main. C’est en synthèse le message que veut transmettre l’Institut Montaigne, dans une note intitulé « entre G2 et G20, l’Europe face à la crise financière ». Les auteurs ont pris au sérieux le président américain Barack Obama, lorsqu’il déclarait « la relation entre la Chine et les Etats-Unis va définir le 21ème siècle. »

Pour l’heure, ces deux géants semblent ne vouloir rien changer à leur pacte économique. Coté américain, une surconsommation effrénée, des déficits publics massifs et l’indifférence à l’égard de la baisse du dollar. Coté Chinois, la poursuite d’une croissance aussi vigoureuse que déséquilibrée, fondée sur les exportations plutôt que le développement de son marché intérieur. Publiée en septembre dernier, cette note consacre sa première partie à la formulation de recommandations en vue du G20, qui s’est tenu à Pittsburgh le 24 septembre. Mais le cœur de cette appel se trouve surtout dans la seconde partie où, sur un ton presque frondeur, ses rédacteurs dénoncent une Europe « pétrifiée, incapable de se renouveler », face à une crise dont elle n’est pas à l’origine, mais dont elle pourrait bien devenir la principale victime. Car l’Europe souffrira du maintien d’un statu-quo américano-chinois, dans un monde qui sera alors frappé par l’instabilité financière, l’inflation et la domination du dollar.

Le vieux Monde est déjà menacé par une crise sociale que porte en germe un chômage croissant, notamment chez les jeunes. Les auteurs s’inquiètent du risque de montée du nationalisme, tandis que la commission européenne, sans projet ni leadership, et finalement impuissante, « semble vivre sur une autre planète ». Seule une nouvelle impulsion émanant du noyau franco-allemand pourra relancer la dynamique européenne. Ces deux pays, dont le Produit Intérieur Brut conjoint est supérieur à celui de la Chine ou du Japon, demeurent aujourd’hui comme hier, le cœur de l’Europe, pour des raisons tant historiques que géographiques. C’est dans l’optique d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne, que l’Institut Montaigne formule trois propositions. La première consiste pour la France à partager son siège au conseil de sécurité de l’ONU. Tout en refermant la page de la seconde guerre mondiale et de la sanction des perdants, cet acte imposera un rapprochement des positions diplomatiques des deux pays. Avec cette décision, la France et l’Allemagne harmoniseront aussi leur politique de renseignements et surtout, renforceront leur coopération industrialo-militaire et spatiale. Elle sera enfin un premier pas vers la création d’un siège unique de l’Union européenne au conseil de sécurité, garant, à l’extérieur, de la prise en compte de la voix européenne, et, à l’intérieur, de la formation d’une politique étrangère unique de l’Union.

La seconde proposition est la création d’une obligation d’Etat franco-allemande, l’ « eurobond », dont les deux pays seraient garants. Elle leur permettrait de lever plus facilement des capitaux de long terme sur les marchés pour financer des projets communs. En contrepartie, elle imposerait aux deux pays une coopération économique plus forte et un respect plus ferme du pacte de stabilité et de croissance (qui fixe les limites de déficit et d’endettement des états membres). Les auteurs imaginent déjà un livret E, équivalent du livret A, appuyé sur ces obligations. La dernière proposition vise à créer une place financière commune, sorte de bourse franco-allemande. Elle passerait par la fusion des organes de régulation des marchés financiers et de leurs règles de fonctionnement, mais aussi par une harmonisation de la fiscalité des investissements entre les deux pays… et la création d’une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Paris et Francfort, où se trouve actuellement la bourse allemande. D’autres projets sont évoqués, comme l’harmonisation des marchés de l’énergie des deux cotés du Rhin, ou la création d’une université franco-allemande.

Une telle entreprise de rapprochement ne pourra se faire, soulignent les auteurs, sans la mise en place de protocole politique permettant une concertation étroite entre les pouvoirs exécutifs d’une part, mais aussi législatifs. Ils imaginent, entre autres, la possibilité pour des parlementaires de l’un des deux pays, de participer aux débats du parlement voisin. Cette note se termine, presque par courtoisie, en soulignant la nécessité d’associer le Royaume Uni au projet européen… dès lors, bien sûr, que ce dernier aura pris conscience que l’Europe est dans son intérêt.
 

 

Pierre Louis Germain

Observatoire Français des Think Tanks