Deux ans après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, il est désormais possible d’analyser son ascension, ses idées et sa manière de gouverner.

Le macronisme continue de susciter de nombreuses publications. Les plus anciennes, où l’enthousiasme de la découverte avait parfois pris une grande part, ont cédé la place à des livres qui analysent les politiques menées, le soutien ou la méfiance qu’elles s’attirent et l’action du gouvernement et en particulier du président. D’autres cherchent à éclairer, avec un peu plus de recul, les conditions qui ont permis cette conquête du pouvoir et les conclusions que l’on peut en tirer. Leur contenu est souvent très critique et les livres favorables, contrairement à la période qui avait précédé l’élection, se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main. Ce qui conduit à un dossier quelque peu déséquilibré, mais qui a vocation à être complété par la suite en fonction des parutions.

 

De quoi le macronisme est-il le nom ?

« Et de droite, et de gauche », les premières analyses du macronisme, qui étaient plutôt l’œuvre de journalistes, se sont d’abord confrontées à ce positionnement, qui se voulait original, pour en discuter la possibilité et le fondement.

On peut passer rapidement sur les tentatives d’asseoir le macronisme sur les rapports qu’aurait entretenus Emmanuel Macron avec des philosophes, Ricoeur en tête, où le manque de matière est vite apparu évident, malgré les efforts consentis par Eric Fottorino (Le 1/Philippe Rey, 2018) ou encore par Brice Couturier.

Comme sur celles, certes autrement plus exigeantes, consistant à rechercher un complément de gauche (le progressisme ?) au néo-libéralisme assumé et à la charge contre les corps intermédiaires qui le caractérisaient dès le début, même si on en a vu récemment une nouvelle tentative, qui ne semble toutefois pas avoir convaincu grand-monde, d’Ismaël Emelien et David Amiel.

 

Le chamboule-tout du paysage politique ?

Après les élections de 2017, ces analyses ont davantage porté sur l’effondrement du système des partis qui prévalait depuis les années 1980 et la manière d’appréhender sa recomposition. On peut donner ici l’exemple du livre de Philippe Raynaud (DDB, 2018), qui évoquait toutefois déjà dans ce cadre, pour les questionner, la conception du pouvoir d’Emmanuel Macron et son exercice « jupitérien ».

Il faut faire ici une place à part à l’ouvrage de Bruno Amable et Stefano Palombarini, publié juste avant l’élection présidentielle de 2017, où les auteurs expliquaient l’affaiblissement des deux grands partis de gouvernement par la décomposition des blocs sociaux sur lesquels ils s’étaient appuyés précédemment. Et cherchaient alors à évaluer les chances du « bloc bourgeois », acquis à la poursuite de l’intégration européenne et aux réformes néo-libérales que celle-ci requérait, de réussir à se constituer en nouveau bloc dominant. La nouvelle édition, qui date elle de septembre 2018, inclut un chapitre supplémentaire, où les auteurs analysent la victoire de Macron et du bloc bourgeois ainsi que la politique menée lors de la première année du quinquennat, tout en s’interrogeant, à nouveau et à partir de ces événements, sur les possibilités de ce bloc d’asseoir dans le temps sa domination.

On notera toutefois que presque au même moment Luc Rouban contredisait de son côté l’idée que Macron puisse devoir sa victoire à sa capacité à rallier l’électorat pro-européen et favorable à la mondialisation, expliquant qu’il s’agissait surtout d’un vote par défaut. Il montrait par ailleurs que la fragmentation et la superposition des clivages faisait que l’électorat était ballotté entre des offres politiques dans lesquelles il ne se retrouve que difficilement, le vote de chacun devenant ainsi plus subjectif et également plus susceptible de se laisser influencer par la communication politique.

L’ouvrage publié sous la direction de Bernard Dolez, Julien Fretel et Rémi Lefebvre, brasse un ensemble de sujets plus vaste puisque la sociologie électorale et l’analyse des orientations politiques est complétée ici par des analyses sur les conditions, actions et soutiens qui ont permis à Emmanuel Macron de remporter l’élection présidentielle et à LREM d’obtenir la majorité aux législatives. La stratégie médiatique mise en œuvre ou le soutien dont Macron a pu bénéficier de la part du patronat y sont par exemple abordés, mais de manière a priori moins convaincante (faute de mobiliser les outils les plus adéquats ?) que le ralliement d’élus politiques et/ou les formes de mobilisation des représentants de la haute fonction publique. 

Plus généralement, les accointances de cette haute fonction publique, ou tout au moins des hauts fonctionnaires de Bercy, avec le macronisme, dont on pouvait se demander s'il ne constituait pas finalement une prise de pouvoir de sa part, ont été analysées dans plusieurs ouvrages, sous divers angles, aboutissants parfois à des conclusions opposées, par des journalistes comme Laurent Mauduit et Vincent Jauvert ou encore un politiste comme Pierre Birnbaum.

 

Un libéralisme autoritaire

L’exercice du pouvoir très vertical de la part de Macron a de son côté fait l’objet de critiques de plus en plus fortes, qui se sont amplifiées à partir de l’affaire Benalla. Celles-ci ont ensuite rebondi à propos du mouvement des gilets jaunes et de la manière dont Emmanuel Macron s’est employé à y répondre, en combinant mesures économiques en faveur des catégories populaires, monopolisation de la parole dans le cadre du Grand débat et répression des manifestations. Et plusieurs voix se sont alors élevées pour dénoncer en particulier une dérive autoritaire, qui serait le pendant des politiques économiques néo-libérales menées depuis le début du mandat et rejetées par une majorité de la population, comme l’explique par exemple le journaliste de Mediapart chargé des questions économiques, Romaric Godin ou encore Edwy Plenel lui-même.

L’historien Pierre Serna, spécialiste de la Révolution française, explique quant à lui que cet autoritarisme est la marque de fabrique de l’« extrême-centre », reliant ainsi le « moment Macron » à un certain nombre d’autres épisodes historiques où l’on a vu la République se vider de sa substance démocratique.

Dans le même temps, les révélations concernant les soutiens et la mobilisation des réseaux qui ont permis l’accession d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, se sont amplifiées. C’est par exemple le sujet du dernier pamphlet de Juan Branco (le précédant tentait de décrypter la psychologie et la conception du pouvoir très particulière d’Emmanuel Macron), qui par-delà son caractère parfois énervant, met l’ascension de Macron sous un éclairage très dérangeant.

Dossier coordonné par Damien Augias, Jean Bastien et Benjamin Caraco.

 

Sommaire :

- Brice Couturier, Macron, un président philosophe, Editions de l’Observatoire, novembre 2017.

- David Amiel, Ismaël Emelien, Le progrès ne tombe pas du ciel, Fayard, mars 2019.

- Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d'agir, septembre 2018, Nouvelle édition actualisée et augmentée.

- Luc Rouban, Le paradoxe du macronisme, Presses de SciencesPo, août 2018.

- Laurent Mauduit, La Caste, Enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, La Découverte, septembre 2018 

- Romaric Godin, La guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, septembre 2019.

- Juan Branco, Crépuscule, Editions Points, octobre 2019, et Contre Macron, Editions Plon, octobre 2019.

Une recension croisée des trois ouvrages ci-dessous :

- Bernard Dolez, Julien Fretel et Rémi Lefebvre, L’entreprise Macron, Editions PUG, avril 2019.

- Pierre Serna, L’extrême-centre ou le poison français, Champ Vallon, février 2019 (nouvelle recension à venir).

- Edwy Plenel, La victoire des vaincus. A propos des gilets jaunes, La Découverte, mars 2019.

Une rencension croisée des deux ouvrages ci-dessous :

- Pierre Birnbaum, Où va l'Etat ? Essai sur les nouvelles élites du pouvoir, Seuil, mars 2018.

- Vincent Jauvert, Les intouchables d'Etat. Bienvenue en Macronie, Robert Laffont, janvier 2018.