Le 14 septembre dernier, plusieurs lycéennes et collégiennes se sont rendues à leur école habillées en crop top, haut décolleté et jupe courte pour dénoncer le sexisme qui pousse les établissements scolaires à être plus regardants sur les tenues portées par les filles que sur celles des garçons. Face à la situation, le ministre de l’Éducation nationale a demandé aux jeunes militantes de porter une « tenue correcte et républicaine ». Une partie du gouvernement, dont la ministre de l’Égalité femmes-hommes, s’est désolidarisée de ces propos, faisant enfler une polémique sur la décence des tenues vestimentaires. Le Moyen Âge aussi a connu de tels débats : l’apparence des femmes bien sûr, celle des hommes aussi et même celle des enfants ont été soumises à des règles et des contraintes.

 

Des lois contre les boutons

Au XIIIe siècle, l’Italie voit naître un nouvel objet qui fait fureur dès le siècle suivant : le bouton. Si par la suite l’objet est fabriqué en laiton, en cuivre ou en verre, le bouton est à l’origine constitué d’une matière plus précieuse, le corail par exemple. Du coup, les boutons sont considérés comme des ornements et, pour en acheter, il faut se rendre chez un joaillier. Or, à l’époque médiévale, le goût du luxe peut devenir une affaire de justice. Des lois sont en effet promulguées contre les ornements et les vêtements trop luxueux. Ces lois dites “somptuaires”, dont le but principal est de limiter les dépenses excessives et l’extravagance des costumes, varient selon les périodes et les zones dans lesquelles elles sont formulées, mêlant souvent plusieurs critères à la fois économiques, sociaux et moraux. Reste que les autorités soumettent le goût du luxe à un système de régulation et de taxation dont les boutons deviennent très vite les victimes.

Les femmes en particulier raffolent des boutons. Elles sont prêtes à dépenser des fortunes pour en posséder toujours plus. Cet engouement fait d’ailleurs l’objet d’historiettes comiques. L’une d’elles est racontée par le poète du XIVe siècle Franco Sacchetti et met en scène un juge qui, chargé de freiner cet engouement, signale à une femme le grand nombre de boutons qu’elle porte ; et celle-ci de lui répondre : « Je peux les porter, car ce ne sont pas des boutons, mais des coupelles ». Rappelons rapidement que les coupelles sont une sorte de boutons, qui ont une forme conclave. Le juge, dépité, se déclare incapable de répondre aux arguments des femmes et, de ce fait, il renonce à limiter leurs extravagantes parures.

 

Des tenues sexy

En plus de coûter cher, les boutons permettent de porter des vêtements plus ajustés et ils modifient ainsi la silhouette de la femme qui devient plus élancée. Les manches qui étaient caractérisées par un surplus de tissu sont désormais moulées autour du bras : les mètres de tissu, marque de richesse, disparaissent du haut du corps pour se retrouver dans la traîne, prolongeant encore davantage la silhouette. La mode s’étend même aux représentations iconographiques des saintes, qui peuvent porter des fermetures boutonnées sur le col et sur les manches comme sainte Marguerite dans un manuscrit daté du XIIIe siècle. Autre nouveauté : les manches peuvent aussi se détacher de la robe et être changées suivant les activités de la journée. Enfin, les femmes peuvent désormais déboutonner leur manche, ou leur décolleté, et montrer leur corps.

Les hommes aussi sont soumis aux contraintes des lois somptuaires. Une mode masculine défraie la chronique au début du XIVe siècle : les jeunes hommes remplacent la longue robe traditionnelle contre une tenue plus près du corps composée d’une veste courte rembourrée à la poitrine, moulant le buste, un pourpoint très court et des chausses mi-parties colorées. Les bas de chausse moulants, en particulier, sont raillés et sanctionnés, surtout lorsqu’ils s’accompagnent de boutonnières, comme c’est le cas de ce vieillard qui se déshabille avant de pouvoir entrer dans la Fontaine de Jouvence sur la fresque du Castello della Manta de Cuneo.

 

Balance ton prédicateur

Autre cible des lois somptuaires, les enfants. La capitale toscane est particulièrement sensible à la régulation du goût du luxe pour les petits. Si le port d’un grand nombre de boutons leur est aussi interdit par une loi promulguée à Florence dans la seconde moitié du XIVe siècle, la liste ne s’arrête pas là. Dès 1330, le chroniqueur Giovanni Villani explique qu’une loi interdit aux enfants de porter des vêtements de plusieurs couleurs. À la fin du siècle, les bambins de moins de sept ans n’ont plus le droit de porter de tissus précieux, brodés de fil d’or et d’argent, ou des soieries. Les bijoux aussi leur sont interdits, à l’exception de ceux qui ont des propriétés protectrices : le corail rouge est ainsi autorisé puisqu’il protège contre les saignements spontanés, l’Enfant Jésus est d’ailleurs souvent représenté avec une branche autour du cou. La foi n’est pas non plus le prétexte à une profusion d’ornements puisque les parures luxueuses sont interdites lors des baptêmes.

Au XVe siècle, la capitale toscane se sent très concernée par l’éducation de sa jeunesse. La pédagogie se développe et on souhaite enseigner les principales vertus aux enfants. Dans ce contexte, le vêtement est pensé comme le reflet du comportement et doit donc être sobre. Malgré ces préoccupations, les lois somptuaires sont parfois enfreintes. Des dénonciations secrètes renseignent les autorités qui fixent des amendes. Les taxes sont chères : pour exemple, le port de fil d’or ou d’argent, de soierie ou de perle par un enfant de moins de 10 ans coûte 25 florins. Les pères doivent payer l’amende, faisant ainsi fonctionner une sorte de système de taxation des gens aisés.

Le ton se durcit à la fin du siècle avec le sévère frère dominicain Girolamo Savonarola. Celui-ci instaure à Florence une république chrétienne entre 1494 et 1498. En 1497, la tenue des enfants de moins de 14 ans est strictement réglementée. D’une part, ils ne peuvent plus porter de matières nobles : l’or, l’argent, la soie, mais aussi les rubans, le velours, le satin, le damas, l’hermine, la martre, la zibeline, le loup-cervier, les chats d’Espagne, etc. D’autre part, il leur est interdit de mettre des couleurs vives : le rose et le violet foncé sont particulièrement visés par les lois somptuaires. Ces deux couleurs sont jugées trop brillantes, trop arrogantes et trop coûteuses, tout comme les tissus multicolores ou les tenues bicolores.

 

Il ne faut pas déduire de ces nombreuses normes juridiques que les gens s’y conformaient. Le nombre croissant de ces lois indique tout le contraire : plus les objets sont interdits, plus les hommes, femmes et enfants les consommaient. D’autres documents, que ce soit les inventaires ou les représentations artistiques, nous montrent à quel point les pratiques sociales divergeaient de la norme juridique : rassurant, non ?

 

Pour en savoir plus :

-Olivier Blanc, « L’orthopédie des apparences ou la mode comme invention du corps », dans Le Corps et sa parure. The Body and Its Adornment, Actes du colloque international (16-18 mars 2003), Florence, SISMEL, 2007, p. 107-119.

-Chiara Frugoni, Le Moyen Âge sur le bout du nez, Paris, Belles lettres, 2011, p. 133-147.

-Ilaria Taddei, « S’habiller selon l’âge. Les lois somptuaires florentines à la fin du Moyen Âge », dans Le Corps et sa parure. The Body and Its Adornment, Actes du colloque international (16-18 mars 2003), Florence, SISMEL, 2007, p. 329-351.

-Ilaria Taddei, « La législation somptuaire dans l’Italie médiévale. Le cas florentin (fin XIIIe-début XVIe siècle) », Mélanges de l’École française de Rome - Antiquité, 128-1, 2016.

 

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