À l'occasion des quinze ans de Nonfiction, nous vous proposons un retour sur son histoire et quelques portraits de ses principaux contributeurs.

15 ans d’histoire à l’échelle du Web, c’est un peu un âge canonique… Retracer brièvement les grandes étapes de cette aventure éditoriale en ligne, c’est donc aussi comprendre comment la diffusion des livres et des idées a pu évoluer depuis les années 2000. Mais c’est sans doute en donnant la parole à ceux qui le font aujourd’hui, parfois depuis plus de 10 ans, que l’on peut le plus fidèlement possible comprendre ce qui relie le collectif actuel aux  intentions fondatrices, et leur renouvellement. C’est pourquoi ce bref historique de Nonfiction s’accompagne d’un dossier d’entretiens avec ceux qui l’ont fait et le font.

Une aventure éditoriale en ligne, dans l'interstice entre médias conventionnels et revues scientifiques

Le site Nonfiction.fr a été créé à la rentrée 2007 avec l’ambition de renouer avec un journalisme intellectuel de qualité, de donner la parole à une nouvelle génération de chercheurs, de faire valoir les points de vue « progressistes », et avant toute chose, de défendre et valoriser les essais et livres scientifiques.

Son lancement est contemporain de la première vague de création de médias en ligne, tels que Mediapart, Rue89, Slate.fr... Dans le domaine de l'actualité des livres, ces années ont aussi vu naître plusieurs revues papier (La Revue internationale des livres et des idées, Books) mais aussi, en ligne, La Vie des idées (adossée au Collège de France et prolongeant la collection du Seuil « La République des idées »). Parmi ces publications qui œuvrent selon la même volonté de diffuser et de valoriser les livres et les idées, la ligne éditoriale de Nonfiction s'est singularisée dès le départ par l'ouverture de son spectre thématique, ouvert à toutes les formes de non-fiction, et par un positionnement généraliste original, qui entend occuper un espace laissé vacant entre la presse généraliste et les revues scientifiques. Par ses évolutions postérieures, Nonfiction s'est efforcé d'être toujours plus un espace de rencontres et de débats pluridisciplinaires, de dialogue entre arts et sciences, et de médiation assumée en direction du grand public.

Depuis le départ, Nonfiction est donc avant tout conçu comme un site de « critique », au sens où on y parle des livres et des œuvres que les médias commerciaux n’ont pas vocation à aborder en profondeur, et que les revues scientifiques évoquent dans des cercles restreints, selon une temporalité plus longue. Mais c'est aussi un lieu d’expérimentation de nouvelles formes d’écriture du savoir, qui entend explorer au maximum les possibilités de discours et de dialogue que le web nous invite à inventer. C’est avec cette intention que le projet a été présenté à la rentrée 2007, et c’est ce dessein originel qui reste encore aujourd’hui au principe des choix éditoriaux. 

Une aventure associative, traversée de changements dans la continuité

Porté à l’origine par un comité de parrainage constitué de chercheurs, de journalistes, de militants politiques, syndicaux et associatifs, de chefs d'entreprises et de créateurs de sites web, Nonfiction doit ses premières années au dynamisme de Frédéric Martel, lui-même à la fois chercheur (auteur d'une thèse sous la direction de Pierre Rosanvallon et de nombreux livres), journaliste (auteur dans différents organes de presse écrite et producteur de l'émission Soft Power sur France Culture) et proche des cercles de décideurs (ancien conseiller de Michel Rocard et de Martine Aubry).

L’ambition initiale de Frédéric Martel était, en plus du «  portail  » en ligne, de lancer une publication papier de Nonfiction et de toucher un large public cultivé et engagé dans les idées progressistes. Les coûts de la diffusion en kiosque et l'illusion de la gratuité du numérique, qui emportait alors la plupart des rédactions de presse en ligne à la remarquable exception de Mediapart, ont tôt eu raison de ce premier modèle économique. Très tôt après le lancement du site, Nonfiction se constitue alors sous la forme collective d’une association dite « loi 1901 », qui est toujours en place aujourd’hui et qui comprend un bureau, un conseil d’administration (constitué désormais des responsables éditoriaux et des rédacteurs les plus réguliers) et une assemblée générale (elle aussi composée des rédacteurs réguliers).

Sous cette forme associative, les réseaux et connexions de la première équipe de Nonfiction avec les milieux universitaires, médiatiques et politiques seront essentiels à la « deuxième vie » du site. Jusqu’en 2012, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, qui l'accueille dans ses locaux, la rédaction organise des conférences hebdomadaires avec des auteurs d'essais à caractère politique suivies d’entretiens filmés et publiés sur le site. En parallèle, jusqu'en 2013, en partenariat avec le Centre National du Livre, Nonfiction organise régulièrement des tables rondes sur les enjeux de l'économie du livre et de l'édition. Durant cette première vie, Frédéric Martel confie la gestion du site et de ses productions à une rédaction en chef, menée brillamment pendant plusieurs années (de 2009 à 2012) par le jeune journaliste Pierre Testard.

Les élections de 2012 et la rigueur budgétaire qui s'ensuit limitent les capacités financières de la Fondation Jean-Jaurès et mettent finalement un terme à ce modèle de prestations. Bientôt, Nonfiction noue alors un nouveau partenariat avec Slate.fr, déclinaison française du titre américain Slate.com, créé par le collectif de journalistes constitué de Jean-Marie Colombani, Eric Leser et Johan Hufnagel. Slate acueille la rédaction de Nonfiction et reprend régulièrement les textes publiés sur notre site. Dans ce nouveau cadre, l’année 2015 va constituer une date-charnière dans l’histoire de Nonfiction. Frédéric Martel se met en retrait, et transmet les rênes du projet à Nicolas Leron (politiste et chercheur associé à Sciences Po), qui laisse bientôt la place à Grégory Lévis, membre fondateur devenu président de l’association, par ailleurs consultant et chercheur associé en sociologie à Paris-8. 

C'est alors que commence la « troisième vie » de Nonfiction, marquée notamment par un renouvellement du site et par une réorganisation de l'association, dont la gouvernance est confiée aux divers contributeurs qui forment l'assemblée générale et le conseil d'administration, tandis que l'activité du bureau (lui aussi confié à des contributeurs actifs) se limite à la gestion des affaires courantes. La vie de la rédaction est coordonnée par Pierre-Henri Ortiz, maître de conférences en histoire à l’Université d’Angers et rédacteur depuis 2011, bientôt rejoint par Benjamin Caraco, conservateur des bibliothèques à l’Université de Strasbourg et rédacteur très régulier depuis 2012. Elle est organisée autour des coordinateurs de pôles au nombre resserré, dont certains sont rédacteurs depuis plus de 10 ans, comme Damien Augias (science politique), Jean Bastien (économie), Karol Beffa (musique), Yoann Colin (philosophie), Antoine Gaudin (cinéma), Alexandre Maujean (littérature), Fanny Verrax (espace et environnement)...

Des rédacteurs et coordinateurs anciens s'éloignent, de nouveaux contributeurs intègrent régulièrement l'équipe, de sorte que la rédaction associe à ce jour un effectif important de membres historiques et un effectif tout aussi important de contributeurs (très) récents, réguliers ou occasionnels. Le collectif gagne alors en cohésion ce qu’il perd en nombre de contributeurs réguliers : évalué à 200 au début du projet, il se stabilise à une cinquantaine au tournant des années 2010.

Des initiatives rédactionnelles collaboratives 

Les 15 ans de Nonfiction ont aussi été marqués par de belles aventures éditoriales. Les pages du site se sont ouvertes à des formes de critique artistique et littéraire conçues comme des analyses brèves et à chaud de l'actualité culturelle. Plusieurs chroniques régulières ont été accueillies, dont certaines, comme «  Actuel Moyen-Âge  » (lancée par Catherine Kikuchi, Pauline Guéna, Annabelle Marin et Florian Besson), ont donné lieu à des publications à succès. D’autres, comme les entretiens de la série «  Le regard du chercheur  » menés par Anthony Guyon, ont permis de nouer des relations étroites avec les éditions Hatier, avec l’Association des professeurs d'histoire-géographie et avec la revue Historiens & Géographes.

Conformémement à un usage plus ancien, la vie de la rédaction a été rythmée par la publication de dossiers thématiques en lien avec l’actualité (élection de Barack Obama, «  Printemps arabes  », élections françaises, négationnisme, travail, djihadisme, crise européenne, immigration...), avec certaines commémorations (Révolution d’Octobre, Mai 68, Jaurès...), ou tout simplement pour célébrer certaines figures (Albert Camus, Antonio Gramsci, André Gorz, Yosef Hayim Yerushalmi...) et faire connaître des livres et des idées venues d'ailleurs (par exemple la pensée italienne).

Centrée sur l’écrit, la rédaction s’est aussi ouverte progressivement aux contenus audiovisuels, avec des podcasts réguliers sur les séries (Nicolas Charles) et une vidéothèque proposant conférences et vidéos de youtubeurs glannées sur le web. Périodiquement, Nonfiction s'associe encore à des événements qui s'attachent à évoquer « en présentiel » la vie des livres et des idées : le festival d'histoire Nous Autres (à Nantes), les Rencontres philosophiques d'Uriage, les rencontres-débats organisées par l'Association pour la sociologie des entreprises...

Nonfiction est ainsi une expérience éditoriale et sociale originale, collaborative et numérique. Son existence est aujourd’hui soutenue matériellement et financièrement par ceux qui le lisent et par les institutions qui soutiennent son projet, sous la forme de dons. Nos articles, libres de droits, sont en libre-accès et re-publiables (licence CC).

Célébrer, même modestement, nos 15 ans, c’est enfin rendre hommage à notre lectorat, que nous savons très divers dans ses profils : curieux, enseignants, chercheurs, étudiants, journalistes, analystes des institutions publiques et des entreprises privées, artistes, décideurs, amateurs, libraires, éditeurs… Depuis sa naissance, Nonfiction s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la pensée, dans le but de faire se rencontrer les points de vue, au-delà de toutes les communautés professionnelles et intellectuelles. Puisque cet anniversaire signe sans doute l’entrée dans le plus bel âge, souhaitons(-nous) donc longue vie à Nonfiction  !

Témoignage du président de l'AssociationGrégory Lévis

15 portraits de contributeurs et contributrices :