A l'occasion des 15 ans de Nonfiction, Grégory Lévis, président de l'association Nonfiction, revient sur sa relation avec le site.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis sociologue avec une double casquette, à la fois enseignant-chercheur associé à l'Université Paris 8, et consultant en entreprise. Je m'intéresse particulièrement à la question des risques et leurs mécanismes. Mes recherches et interventions en entreprise portent sur la manière dont les sciences sociales et leurs méthodes peuvent permettre de mieux maîtriser collectivement ces risques pour davantage de dialogue, de sécurité et de santé dans les organisations de travail.

Quand et comment avez-vous croisé la route de Nonfiction et quelle est votre contribution à Nonfiction ?

Je suis actuellement le président de l'association qui édite Nonfiction, après avoir été membre fondateur du projet en 2007. J'ai donc eu la chance de participer à cette extraordinaire aventure depuis le tout début, au moment même où l'idée en a germé, après des échanges avec le journaliste et chercheur Frédéric Martel. Ce qui m'a particulièrement séduit et convaincu dans cette expérience collective était l'ambition d'inventer un nouveau média, tant sur le fond, la forme que le mode de fonctionnement interne. Des occasions comme celles-là sont assez rares.

Ayant un passé d'ingénieur, j'ai initialement pris en charge le pilotage de l'équipe de développement de l'infrastructure technique de Nonfiction, qui devait s'appuyer sur les mêmes convictions que le projet en lui-même. Ainsi, le parti pris fort a été celui d'un développement informatique durable (à une époque où le jetable était tout de même beaucoup la règle sur le web, peut-être l'est-il encore beaucoup malheureusement !), indépendant d'éditeurs de logiciels et qui demande peu de ressources de maintenance et d'hébergement. Ce pari collectif du logiciel libre semble réussi puisque 15 ans après, Nonfiction fonctionne toujours sur la même infrastructure de départ, qui lui permet d'absorber des évolutions au fur et à mesure de la vie du projet. Cette conviction technique, autour du bien commun, est toujours au coeur des choix informatiques de Nonfiction, aujourd'hui pilotés avec beaucoup d'implication et de disponibilité par Nicolas Weeger.

Aujourd'hui, dans mon rôle de président, j'essaie modestement de continuer à permettre l'expérimentation en laissant un maximum de libertés et d'initiatives à celles et ceux qui font vivre Nonfiction au quotidien, de manière visible ou moins visible.

Qu'est-ce qui vous plaît dans Nonfiction ?

Il est difficile pour moi de répondre à cette question. Il y a beaucoup de choses qui me plaisent dans ce projet atypique, puisqu'il contient plusieurs dimensions qui me sont particulièrement chères. D'une part, Nonfiction répond à une conviction personnelle forte de la nécessité de  diffuser la connaissance pour guider l'action collective et permettre le débat. Ce projet contribue je l'espère à donner à voir gratuitement la pluralité et la richesse de la production intellectuelle, et sert de passeur entre le monde académique et la Cité, un rôle malheureusement trop peu investi aujourd'hui. D'autre part, Nonfiction permet à sa manière la rencontre entre disciplines souvent trop cloisonnées, et dont le croisement est justement d'une grande richesse pour penser et agir, en particulier dans un monde aussi complexe et incertain. Enfin peut-être, et surtout, c'est une aventure collective stimulante, avec de très belles rencontres, parfois improbables, avec des personnes issues d'horizons différents, qui font un bout de chemin ensemble, et qui contribuent à une oeuvre commune qui s'inscrit dans le temps long, à l'ère de l'éphémère. Voir Nonfiction vivre et évoluer avec les contributions de chacun est une satisfaction personnelle, 15 ans après avoir appuyé sur le bouton pour ouvrir le site au public, lors de notre soirée de lancement.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

Au-delà des nombreux contenus dont j'apprécie la richesse en tant que lecteur, des évolutions de format ces dernières années, ou des partenariats que nous tissons, c'est sûrement du modèle de Nonfiction en lui-même dont je suis le plus fier. C'est le résultat d'une trajectoire, il me semble assez originale, dont le point de départ est une entreprise commerciale, pour permettre un développement et rassembler les ressources nécessaires, qui progressivement est transmise à celles et ceux qui font concrètement le site au quotidien, jusqu'à en devenir une association d'intérêt général, totalement indépendante. La dernière version de nos statuts permet d'aller jusqu'au bout de ce modèle, en reconnaissant toutes les formes de contribution au projet dans la prise de décision, les orientations et le pilotage. C'est pour moi une source de fierté, car cette organisation permet d'explorer d'autres manières de penser la contribution collective. Des modèles de ce type fonctionnent et nous pouvons concrètement en faire l'expérience.