La 27ème région : une nouvelle arme intellectuelle pour le PS ? [24/06/09]

Christian Paul est l'initiateur du programme 27ème Région (dont Stéphane Vincent assure la direction), député de la Nièvre et vice-président de la région Bourgogne. Président du Laboratoire des idées du PS.

Interview réalisée par Agnès Iborra de l'Observatoire Français des Think Tanks et publiée en juin dans la revue Think

Observatoire Français des Think Tanks : Pouvez-vous nous décrire la 27e Région en quatre mots ?


Créativité, Innovation sociale et technologies. Dans tous ces domaines, la 27e Région entend jouer le rôle de laboratoire pour les 26 autres, bien réelles celles-ci...

OFTT : Avez-vous une maxime ? Un credo ?


Produire des politiques publiques différentes, car conçues différemment. Nous faisons l'hypothèse que la plupart des acteurs publics seront incapables d'affronter les défis qui s'annoncent, sans transformer radicalement leurs comportements et leurs méthodes d'action -par exemple en trouvant rapidement des alternatives à leurs organisations en silos, verticales, cloisonnées, hyper-hiérarchiques. Et ces changements vont bien au-delà d'une énième tentative de réforme institutionnelle des collectivités, ou même d'une montée de la participation citoyenne.


OFTT : Comment définiriez-vous la notion de think tank à un néophyte ?


Sûrement pas comme une simple boîte à idées, qu'on prendrait sur étagères… Je décrirais volontiers un think tank au 21ème siècle comme une route, des chemins qu'emprunteraient ensemble des individus pour explorer de nouvelles approches, faire éclore de nouvelles pistes d'action. L'idéal étant bien entendu de pouvoir faire partager cette expérience au plus grand nombre...
 

OFTT : Si la 27e Région ne devait travailler que sur un sujet, lequel serait-ce ?


L'éducation, pour ne pas dire "apprendre demain" ; c'est la matrice de tout le reste. C'est d'ailleurs l'un des principaux budgets des Régions.
 

OFTT : Quelle est selon vous la place des producteurs d'idées dans l'espace public français contemporain ?


Totalement insuffisante, c'est évident. Pourtant, sans faire de démagogie, les producteurs d'idées sont un peu partout... mais qui a encore le temps de regarder sous l'horizon social, de pratiquer l'interdisciplinarité, de faire de l'ethnologie active ?
 

OFTT : Quelle est la spécificité de votre think tank parmi les producteurs d'idées français et européens aujourd'hui ?


La 27e Région s’alimente dans le bouillon de culture de l'internet, de l'open source et du fonctionnement en réseau. Elle ne possède du think tank ni le protocole habituel, ni même les contours. Dans notre équipe et chez nos partenaires, il y a des designers, des architectes, des innovateurs sociaux de tout poil, des "geeks", des chercheurs en sciences sociales, des philosophes, tel Bernard Stiegler, ou Catherine Fieschi, de Counterpoint, le think tank du British Council à Londres. En fait, l'idée même d'apparaître comme un think tank nous fait sourire. L'équipe compte quatre personnes au total, la dernière recrue a 25 ans, la culture politique de l'équipe permanente laisse souvent à désirer, d'ailleurs aucun n'a fait l'ENA ni Sciences Po...
 

OFTT : Avec quels hommes / partis politiques êtes-vous en contact ?


La 27e Région est née des travaux initiés par l’Association des Régions de France (ARF), avec le soutien de son président de région, Alain Rousset. Officiellement, tous les présidents et élus régionaux sont membres de droit de notre conseil d'orientation, d'Adrien Zeller (Alsace) à René Souchon (Auvergne). Au quotidien, nous travaillons avec des élus régionaux de tous horizons politiques et leurs équipes, y compris avec d'autres échelons de collectivités. Claudy Lebreton, président des Départements de France et du Conseil général des Côtes d'Armor, est membre de notre comité d'orientation. L’Union européenne est un de nos principaux financeurs. L'Etat n'est pas en première ligne pour l'instant, mais les contacts sont réguliers...
 

OFTT : Pouvez-vous citer trois think tanks français ou étrangers ?


La Fondation Internet Nouvelle Génération, tout d'abord, car c'est là que nous sommes hébergés et parce qu'il n'y a, de l'avis de beaucoup, aucun équivalent européen à ce labo sur les technologies créé en 2000. Nous nous intéressons depuis longtemps au travail de Demos à Londres. Stéphane Vincent, le directeur de la 27e Région, est fellow 2005 du German Marshall Fund of United States. Et nous commençons à nous intéresser à la Tällberg Foundation en Suède.

OFTT : Quel est le plus grand succès de la 27e région ? L’échec que vous regrettez ?


Nous sommes fiers d'avoir lancé www.territoiresenresidences.net, une opération consistant à placer plusieurs semaines en immersion de petites équipes interdisciplinaires composées de designers, architectes, innovateurs numériques et chercheurs, au sein d'espaces publics symboliques de l'action régionale : le lycée, l'université, le quartier, l'intercommunalité, la gare, la collectivité elle-même, etc. A chaque résidence correspond un thème.
Par exemple, dans un lycée de Champagne Ardennes où nous conduisons actuellement une telle résidence, l'équipe travaille avec les lycéens, les enseignants et toute la communauté locale sur la co-conception de solutions créatives pour ouvrir davantage le campus vers l'extérieur, vers la ville, et plus largement la société. Les enseignements et solutions qui en sortiront profiteront au lycée bien sûr, mais aussi à la Région Champagne Ardenne, et à toutes les autres Régions françaises, qui doivent chacune traiter cette question dans plusieurs dizaines de lycées... Nous prévoyons de réaliser 15 résidences de ce type entre 2009 et 2010.
Nous sommes trop jeunes pour avoir essuyé des échecs vraiment cuisants. Mais pour être tout à fait franc, toutes les collectivités ne sont pas sensibles à ce travail de R&D. Pour beaucoup, tout se passe comme si l'action publique relevait de pouvoirs sacrés, indéchiffrables ou magiques... Nous pensons au contraire qu'entre l'intention politique et l'impact sur les populations, il y a des méthodes à (ré)inventer et des marges de manoeuvre totalement nouvelles à créer.

OFTT : Quel est le prochain objectif de la 27e région ?


Nous venons de lancer l'Atelier 27, un workshop mensuel de design prospectif. En prévision du prochain Congrès des Régions à Marseille en décembre 2009, nous aimerions mettre en scène les Régions de 2040, sous un angle différent. Une spécialiste de la prospective disait récemment: "il n'est plus l'heure d'inventer les machines volantes de demain". Nous pensons précisément le contraire! Il faut ré-enchanter l'action publique, donner des représentations de l'avenir que chacun pourra s'approprier, au-delà des cercles d'experts. A titre d'exemple, nous venons de réinterpréter les productions du collège régional de prospective qu'anime la Région Nord-Pas de Calais sous formes de clips, à travers les yeux de 6 personnages fictifs conçus avec un graphiste talentueux, Félix Compère. Ecouter le témoignage de Léa, ch'ti de 102 ans en 2040, vaut la lecture de bien des rapports sur le vieillissement...

OFTT : Quelles sont les avantages et les limites de l'usage des TIC dans les processus de débat public au niveau régional/local ?


On entend beaucoup de lieux communs sur l'internet, "nouvelle agora citoyenne". Nous avons une vision à la fois plus réaliste mais peut-être plus fertile de la citoyenneté sur l'internet. Certes, la blogosphère citoyenne a produit du contre-pouvoir de proximité, par exemple dans des communes où la presse quotidienne régionale avait depuis longtemps failli ou renoncé. Mais les débats n'y sont pas toujours de meilleure qualité qu'au café du commerce... Au contraire, lorsque l'on lit les billets publiés par les journalistes-amateurs de Bondyblog, Blog2roubaix ou Webcitoyen, plus intéressant nous semble le fait que démarrer un blog, publier des photos ou des vidéos de son quartier, de sa vie quotidienne peut constituer une nouvelle forme de prise de parole, de "publication de soi", voire d'émancipation. Nous pensons que les Régions pourraient jouer un rôle majeur, comme l'Ile-de-France essaie par exemple de le faire, en encourageant tout le tissu associatif et toute la population à s'exprimer en ligne, à exister sur le réseau...