A travers trois angles, politique, géographique et diplomatique, un portrait kaléidoscopique de la France contemporaine.

A quelques mois de « la mère de toutes les élections » en France, les ouvrages de synthèse sur l’état du pays viennent garnir les rayons des librairies, comme à l’accoutumée. Au-delà des meilleures ventes d’essais, plus ou moins rigoureux, il convient de dégager trois publications qui font le point sur l’état des connaissances dans trois domaines essentiels de l'analyse du pays : sa sociologie politique, sa géographie et sa situation diplomatique.

Une nouvelle approche de la politique en France

La Nouvelle sociologie politique de la France, sous la direction de Thomas Frinault, Christian Le Bart et Erik Neveu, trois politistes rennais reconnus (membres du laboratoire Arènes-CNRS), vient en effet à point nommé pour dresser un panorama complet et largement renouvelé de la politique (mais aussi du politique et des politiques publiques) en France au début des années 2020. Reprenant les gammes de la science politique classique, les contributeurs ne font pas l’impasse sur la question de l’Etat, de ses élites politiques nationales (Andy Smith) comme du pouvoir local (Thomas Frinault), mais en insistant largement sur ses recompositions, y compris en termes de gouvernementalité (Renaud Epstein, Gilles Pinson) et de ses effectifs (Emilie Biland, Natacha Gally).

Sur le renouvellement du champ politique et partisan, les analyses s’attardent avec raison sur les éléments de nouveauté : la fin du cumul des mandats (Guillaume Marrel), l’apparition de « partis-entreprises » comme La République en marche (Christophe Bouillaud), les transformations de la légitimité partisane et le prisme des primaires, quelque peu « démonétisées » (Rémi Lefebvre, Eric Treille), la croissante féminisation de la vie politique et publique (Sandrine Lévêque), ainsi que l’importance accrue de la démocratie participative (Guillaume Gourgues, Sébastien Segas).

Enfin, les deux dernières parties, assurément les plus neuves, reviennent sur des phénomènes essentiels dans l’analyse actuelle du « marché électoral » et des récentes mobilisations populaires : le poids des réseaux sociaux dans les engagements (Julien Boyadjian, Anaïs Théviot), le brouillage des clivages politiques traditionnels (Christophe Le Digol), l’emprise des questions écologiques et climatiques dans le débat public (Jessica Sainty), l’apparition de nouveaux modèles de luttes comme Nuit Debout ou les Gilets jaunes (Magalie Della Sudda, Christine Guionnet) ou encore les « zones à défendre » (Thomas Aguilera).

Dans une forme de conclusion, qui peut être lue comme un manifeste et un programme de recherche, les directeurs de l’ouvrage appellent à repenser, tels les historiens « globaux » de la France, l’hypothèse d’une « exception française » en matière politique, en mettant en avant à la fois les facteurs d’inertie et de transformation de la vie politique, mais bien au-delà, des ressorts du « modèle politique » français. Il s’agit d’une lecture stimulante qui échafaude, comme le suggère le titre de l’ouvrage, une nouvelle approche de la sociologie politique en France.

Une vision géographique et territoriale des questions politiques françaises

Dans une perspective moins universitaire mais plus tournée vers le « grand public » (cultivé et motivé), en particulier à destination des étudiants de classes préparatoires, un autre excellent manuel intitulé La France. Atlas géographique et géopolitique, sous la direction de Stéphanie Beucher (agrégée et docteur en géographie, professeur en classes préparatoires à Bordeaux) et Florence Smiths (agrégée et docteur en géographie, inspectrice générale de l'éducation, des sports et de la recherche), a été publié quelques mois auparavant et apporte des compléments bienvenus à l’état des lieux précédent en centrant davantage les analyses sur la dimension spatiale et territoriale. 

A travers huit chapitres parfaitement documentés et cartographiés, les contributeurs proposent un « portrait géographique » de la France, voire une photographie territoriale à l’instant T, concernant plusieurs angles très éclairants : la démographie dynamique mais inégale, l’environnement largement anthropisé et sous pression, le renouvellement des cadres de vie urbains, périurbains et ruraux, les systèmes productifs en difficulté, les acteurs et politiques d'aménagement des territoires, les caractères de la puissance internationale française et, pour finir, un utile atlas régional multidimensionnel. Cette synthèse géographique kaléidoscopique devrait être lue par tout électeur en puissance, se dit-on à sa lecture, lumineuse et très riche, pour comprendre les tendances profondes d’un pays en proie au doute et cherchant un nouveau cap, après des épisodes de division et des épreuves sanitaires et sociales sans précédent depuis des décennies.

Un état des lieux géopolitique et diplomatique

Pour finir cette radioscopie politique et géographique de la France, l’ « état du monde » annuel, sous la direction de Bertrand Badie (professeur émérite à Sciences Po Paris) et de Dominique Vidal (journaliste spécialiste du Proche-Orient), propose pour cette future année 2022 un dossier d’envergure sur La France, une puissance contrariée, permettant de rassembler des contributions diverses et variées de spécialistes de relations internationales sur la politique étrangère française à l’aube des élections présidentielles – même si les analystes savent que ses enjeux sont rarement au cœur des débats et des préoccupations (plus concrètes et quotidiennes) des électeurs.

Vestige passé d’une « grandeur » gaullienne (voire « gaullo-mitterandienne » pour reprendre les termes connus de l’ancien ministre Hubert Védrine et réévalués dans l’ouvrage par Jean-Pierre Chevènement) ou marque d’une présence maintenue dans un monde incertain, sans limites et en proie à des crises multiples, l’outil diplomatique français (toujours le deuxième réseau d’ambassades et de consulats du monde mais pour combien de temps encore ?) est en pleine phase de réflexion, se demandant notamment si son problème fondamental réside dans une question de cap ou de boussole.

Pour mieux comprendre ses ressorts, et sans s’interdire des retours historiques bienvenus, les auteurs analysent tour à tour la culture française de la puissance (Robert Franck, Maurice Vaïsse), sa dimension européenne (Georges-Henri Soutou, Christian Lequesne), (post)coloniale (Alain Ruscio), atlantique (Olivier Zajec) et déclinante voire défaitiste (Pierre Grosser), puis proposent d’étudier les instruments de la politique étrangère française, à travers ses administrations élyséenne (René Backmann) et ministérielles (Yves Aubin de La Messuzière, Aude Leroy, Yves Doutriaux, Pierre Buhler, Agnès Levallois) et ses différents lobbies (Marc Endelweld, Fréféric Amiel), avant de s’attarder sur d’utiles études de cas « régionaux » : la politique française vis-à-vis des Etats-Unis (Philip S. Golub), de la Chine (Dominique Bari), de l’Allemagne (Hans Stark), de l’Afrique (Fanny Pigeaud), du Proche et Moyen-Orient (Denis Bauchard, Dominique Vidal, Karim Emile Bitar). Ces approches renouvellent des sujets classiques en les replaçant dans un contexte actualisé avec des enjeux nouveaux.

Nul doute que ces lectures apporteront des riches éclaircissements à ceux qui veulent mieux comprendre l’état politique d’un pays en passe de se soumettre à son principal examen de conscience électoral !