Trois synthèses de bonne facture pour mieux comprendre un scrutin incertain, dans un contexte qui pose la question de la survie de la démocratie locale.

Les élections municipales de mars 2020 ont lieu dans un contexte à bien des égards inédit. Epreuve de vérité pour un gouvernement et un président de la République aux « antennes » locales très peu implantées, à quelques exceptions près (Le Havre pour le Premier Ministre Edouard Philippe, Tourcoing pour le Ministre des Comptes publics Gérald Darmanin…), enjeu de « relance » voire de « défense des acquis » pour les partis de « l’ancien monde » (LR et PS au premier chef) et scrutin « de conquête » tant pour les écologistes (qui ne comptent depuis 2014 que Grenoble dans les grandes villes qu’ils gouvernent, hors coalition avec les socialistes) que pour le Rassemblement national (RN), ce dernier espérant engranger d’autres villes plus importantes (Perpignan ? ) après celles gagnées il y a six ans (Fréjus, Béziers, Hénin-Beaumont, Hayange…).

Des élections indécises et incertaines

Rares ont été à vrai dire des élections municipales aussi incertaines, qui plus est dans un contexte sanitaire (épidémie mondiale du coronavirus) aussi exceptionnel - qui aurait pu remettre en cause la tenue de ce premier tour et qui, à tout le moins, va renforcer l'abstention -, ce qui fait dire à certains experts et sondeurs que la « prime au sortant » devrait jouer à plein, pour un scrutin qui peine (mis à part, peut-être, à Paris voire à Lyon) à « nationaliser » les enjeux politiques, dans une ambiance politique assez crépusculaire (recours à l’article 49-3 pour le vote de la réforme des retraites, à la hussarde et après des mois de mobilisations sociales, le samedi 29 février dernier…). S’ajoutent enfin à cela de nouvelles circulaires du Ministère de l’Intérieur – fort critiquées par les oppositions – qui vont rendre assez illisibles les résultats politiques des élections territoire par territoire…

Bref, c’est pour tenter d’y voir un peu plus clair que deux ouvrages accessibles écrits par des spécialistes des enjeux politiques locaux viennent de paraître, peu de temps après la publication d’un manuel à destination des candidats aux élections municipales. Le premier, écrit par Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (CEVIPOF-CNRS), est un essai incisif sur les Maires au bord de la crise de nerfs, ces édiles de plus en plus mis sous la triple pression de l’Etat (qui baisse leurs dotations financières et complexifie leur gouvernance), des intercommunalités (qui gagnent progressivement les plus importantes compétences et les budgets afférents) et des citoyens (dont la défiance vient fracasser la figure des maires en « première ligne »). Le second, Municipales : quels enjeux démocratiques ?, du politiste Rémi Lefebvre, professeur à l’Université de Lille, analyse la démocratie locale et ses limites, à partir d’un panorama critique de l’organisation politique autour du maire, du profil sociologique des élus municipaux et de la place des alternatives politiques au niveau local, jusqu’au rôle très important de l’intercommunalité (pourtant très peu connue des citoyens et des électeurs). Enfin, le Manuel du candidat aux élections municipales rédigé par le haut fonctionnaire Jean-Charles Savignac, conseiller-maître honoraire à la Cour des Comptes et lui-même ancien maire, apparaît comme une très claire synthèse pratique des tenants et aboutissants d’un engagement sur une liste lors de ce scrutin important, dont les taux de participation sont historiquement les plus élevés (avec ceux des élections présidentielles).

La démocratie locale est-elle à bout de souffle ?

Tout d’abord, le politiste Martial Foucault, déjà co-auteur d’un ouvrage important sur la sociologie électorale des élections municipales de 1983 à 2014, propose avec son essai Maires au bord de la crise de nerf, un tableau très documenté sur la situation actuelle des maires, ces derniers se sentant « pris en tenaille entre un Etat central omniprésent, de nouvelles intercommunalités de plus en plus omnipotentes et des citoyens de plus en plus exigeants ». A travers une grille d’analyse claire et concise, le directeur du CEVIPOF s’attache à comprendre les causes de ce malaise des maires, en décryptant la crise actuelle de nombreux territoires en déshérence (en milieu rural mais aussi périurbain et urbain), un véritable sentiment d’abandon se faisant jour depuis plusieurs années – et s’exprimant en partie dans la récente crise des Gilets jaunes, (trop) vite perçue par les médias parisiens commune une « jacquerie » de la France provinciale.

Comme le montre le professeur à Sciences Po Paris, enquêtes inédites à l’appui, cette crise présente en réalité des origines profondes et multiples, qui dépassent la seule question territoriale, pour puiser dans les ressorts les plus fondamentaux du modèle politique et social français. En effet, comme le montre son sous-titre (La démocratie locale peut-elle survivre ?), l’enjeu de l’essai de Martial Foucault est ainsi d’apporter au débat public un document précis permettant de mieux saisir la difficile équation municipale actuelle. Ainsi, à travers un portrait de quelques maires, il montre que certains d'entre eux tiennent encore leur territoire et proposent parfois des solutions innovantes pour les recoudre entre eux et pour ré-enraciner des populations locales bousculées par la transition numérique et écologique.

Cette brève radioscopie de la France des maires se termine par une alerte sur la situation de la démocratie locale à la veille des élections municipales de mars 2020 : « ceux qui furent hier les premiers de cordée de leurs territoires en sont-ils devenus aujourd’hui les premiers de corvée, au risque d’une implosion de notre modèle démocratique ? » s'interroge Martial Foucault. La fonction de maire se révélant aujourd’hui particulièrement fragile – l’augmentation des démissions, les nombreux cas de maires qui ne se représentent pas et la forte chute des vocations en attestent –, il en vient de manière éclairante à reformuler leurs missions : « responsable du tout mais pas responsable de tout ».

Un panorama critique de la démocratie municipale

Dans un registre plus engagé, le politiste Rémi Lefebvre, professeur à l’Université de Lille et à Sciences Po Lille, connu pour ses ouvrages sur le Parti socialiste et sur les primaires, propose un point de vue original sur les enjeux démocratiques liés aux élections municipales. Alors qu’il était déjà intervenu dans le débat public en début d’année pour affirmer que le scrutin de 2020 s’annonçait comme imprévisible, il tente de livrer dans son dernier essai quelques enseignements sur les principaux enjeux en termes de proximité, de profil d’élus et d’électeurs, de montée en puissance de l’intercommunalité et de timide progression de la démocratie participative.

Ce court ouvrage revient d’abord sur la figure centrale du maire, dont le rôle est au niveau local équivalent à ce que représente le président de la République au niveau national, le système mayoral laissant peu de place à l’assemblée municipale délibérante dans les principales orientations stratégiques. De manière générale, comme le montre Rémi Lefebvre, les contre-pouvoirs restent faibles au sein du système politique local en France et les maires, en particulier ceux des grandes villes, disposent de larges compétences en termes de pouvoir administratif mais aussi, de plus en plus eu sein d’une gouvernance urbaine intégrée, d’un pouvoir de stratège qui a tendance à devenir, a fortiori lorsqu’il dirige une intercommunalité forte, un rôle d'« entrepreneur de politiques publiques », notamment en matière de développement économique territorial.

En revanche, le pouvoir notabiliaire classique du maire bâtisseur, inscrit sur de longs mandats sans alternance, a laissé place à des maires plus « gestionnaires » et négociateurs, en particulier dans le cadre de l’intercommunalité qui a eu tendance à éroder les liens de proximité avec les citoyens et, à l’inverse, à renforcer la figure du « technotable » (l’expression est du politiste Jean-Pierre Gaudin dans son maître-livre Gouverner par contrat), s’entourant d’un entourage de plus en plus qualifié (notamment du point de vue de la stratégie financière) et développant ses politiques publiques territoriales « en mode projet ».

Rémi Lefebvre s’inscrit d’ailleurs en faux contre cette dernière évolution qu’il estime trop éloignée de la fonction première – politique et militante – des élus municipaux (et, au premier chef, des maires) et qui a eu pour effet à la fois une mise à distance des partis politiques et une forme d’apolitisme érigée en stratégie. Pour les plus importantes collectivités, ce rôle de gestionnaire politique s’est « professionnalisé » et a renforcé une sélectivité sociale de plus en plus forte des édiles les plus puissants. Or, selon le politiste lillois, ce profil de maire-technicien rend plus difficile aux militants « de la base » (qui s’expriment assez naturellement au niveau municipal du point de vue historique) l’accès aux postes les plus importants dans le système politique local, préférant le profil de conseillers en cabinet ou de hauts fonctionnaires connaissant les arcanes de la sphère publique.

Partant de ce constat, Rémi Lefebvre pose la question judicieuse de l’existence de réelles alternatives politiques au niveau local, alors même que les politiques publiques territoriales semblent s’être standardisées et uniformisées (en particulier dans les choix de modes de gestion des services publics), notamment sous l’effet du New Public Management appliqué à la sphère publique locale. Pour une bonne part également, l’affirmation progressive de l’intercommunalité – en réponse à l’émiettement communal très marqué en France – a eu pour effet de complexifier le système politique local en le rendant plus bureaucratique et en l’éloignant de ses préoccupations démocratiques de renforcement des liens de proximité.

C’est finalement pour y remédier que cet essai appelle à l’émergence d’une réelle démocratie participative locale, afin de limiter les effets du cycle électoral – le citoyen ne s’exprimant que tous les six ans dans le cadre de la « démocratie à éclipses » (expression du politiste Yves Sintomer) du système municipal – et de renforcer l’implication des habitants, des contribuables locaux et des usagers des services publics dans la mise en œuvre (conseils de quartiers, réunion de mi-mandat…) voire dans la conception (budgets participatifs, encore embryonnaires, mais testés à Paris, Grenoble, Rennes…) des politiques publiques municipales. Or, jusqu’à présent, ce « nouvel esprit de la démocratie » (Loïc Blondiaux) n’a pas révolutionné les pratiques mais a plutôt « donné le change sans changer la donne » (selon la belle expression de Pierre Sadran dans La République territoriale).

Guide pratique pour le candidat... et futur élu ?

Enfin, dans cette revue de la « littérature municipale », il n’est pas inutile de se plonger dans le Manuel du candidat aux élections municipales de Jean-Charles Savignac qui, comme son titre l’indique, s’adresse prioritairement aux impétrants du suffrage universel local mais qui, plus largement, peut être vu comme une forme de « règle du jeu » démocratique, intéressante pour tout citoyen électeur.

Loin d’être une somme inabordable pour le non-juriste, cet ouvrage pratique se veut une introduction concrète aux enjeux de la confrontation électorale au plan municipal. Il s’adresse donc à tous : « aux déterminés, aux hésitants, à ceux qui finalement ne seront pas candidats, pour les aider à faire leurs choix, en les éclairant sur ce pour quoi ils s’engagent ». A travers des chapitres bien informés, le manuel traite d’abord de la question « Pourquoi être candidat ? », avant de s’attarder ensuite sur les enjeux de la campagne (notamment les règles de la communication pré-électorale), sur le scrutin proprement dit et sur ce qu’il convient de faire à chaque étape, puis sur ce qu’il advient en cas de réussite à l’élection. Dans ce dernier cas, chez le même éditeur et dans la même collection, l’excellent manuel L’élu municipal de Philippe Lacaïle viendra renseigner sur les obligations du nouvel élu et sur le fonctionnement du Conseil municipal.