Deux ouvrages de recherche en science politique renouvellent grandement l'approche des enjeux politiques municipaux.

Bien que décalées par rapport à l’actualité du calendrier électoral, deux publications sorties de manière presque simultanée éclairent d’une lumière nouvelle les enjeux des scrutins municipaux, à la fois en 2014 (pour les dernières élections) mais aussi, sur une plus longue perspective, depuis 1983.

Ces deux ouvrages collectifs de recherche en science politique permettent ainsi de mieux comprendre ce qui se joue à la fois localement et nationalement lors de ces élections, souvent présentées comme des scrutins « intermédiaires » au cours des mandats présidentiels – même si les enjeux sont souvent (plus ou moins, selon la taille des communes) décorrélés de l’actualité gouvernementale.

D’une manière diachronique, puisant ses sources dans les scrutins municipaux de 1983 à 2014 pour un panel de 236 villes de plus de 30 000 habitants, le livre Villes de gauche, villes de droite   (sous la direction de Richard Nadeau, Martial Foucault, Bruno Jérôme et Véronique Jérôme-Speziari) présente brillamment les trajectoires politiques des grandes municipalités françaises sur une trentaine d’années. Sans offrir des clés de lecture « mécaniques » des facteurs de basculement d’une ville à gauche ou à droite – grille par ailleurs chamboulée par le contexte politique issu des élections nationales de 2017, qui appellera sans doute des changements importants pour les municipales de 2020 …, les politistes proposent une analyse fine des résultats des élections et des facteurs d’explication sociologiques et politiques des succès et des défaites des candidats (sortants ou non), en tentant de démontrer notamment pourquoi certaines équipes sont systématiquement reconduites quelle que soit la situation politique nationale (cas « idéal-typique » de la plupart des villes des Hauts-de-Seine, ancrées majoritairement à droite, ou du Val-de-Marne, pour ce qu’il reste de l’ancienne « banlieue rouge »).

Ainsi les auteurs dessinent-ils une typologie de facteurs enracinant ou non certaines villes dans une forme d’héritage politique, en rapport notamment avec les données socio-économiques ou démographiques. Par exemple, la proportion de résidents en HLM (bien connue depuis la loi SRU de 2000, actualisée depuis lors) constitue sans nul doute un indice significatif sans être toujours déterminant – cas spécifique de la ville de Marseille, très pauvre et ancrée à droite –, de même que la performance financière et managériale des maires et leur stratégie politique permettent de comprendre les atouts qu’ils déploient (au-delà de la phase de campagne, décisive du point de vue de la communication politique) pour assurer leur réélection.

Sans être d’une originalité folle, cette étude n’en est pas moins assez inédite – en tout cas dans sa précision – car rares sont les synthèses qui ont embrassé des données aussi larges (au-delà des monographies assez nombreuses sur les trajectoires politiques d’une ville en particulier ou d’une catégories de villes comparables) et marque sans nul doute une inflexion nouvelle de la recherche en science politique, désormais plus riche sur le plan « micro » que sur le plan « macro » (le remplacement de Pascal Perrineau par Martial Foucault au Centre de recherche de Sciences Po y a d’ailleurs largement contribué…). On retiendra notamment la conclusion des auteurs sur le caractère tout relatif de l’influence de la politique nationale dans l’explication des résultats des élections municipales, n’en déplaise aux commentaires et éditorialistes parisiens qui peuplent les plateaux de télévision les soirs de résultats.

Dans un autre registre, A la conquête des villes   (sous la direction de Sandrine Lévêque et d’Anne-France Taiclet) propose un recueil de contributions subjectives en matière de sociologie politique des élections municipales de 2014 en France. La perspective est donc plus immédiate et les enjeux plus locaux, les différents auteurs se centrant sur leurs terrains d’études : Paris, banlieues, Lyon, Avignon, Bourgogne, Nord… Les études recueillies démontrent en particulier que l’impact médiatique de la défaite globale de la gauche et du Parti socialiste, au pouvoir sur le plan national en 2014, sur de nombreux terrains locaux qui faisaient sa force au moins depuis les années 2000 (voire depuis 1977 selon les villes), ainsi que celui de la victoire du Front national dans des communes symboliques, ont en réalité occulté des enjeux politiques et sociologiques plus profonds.

En effet, en s’appuyant sur des enquêtes locales précises, cet ouvrage propose un regard nouveau sur des problématiques essentielles aux dernières élections municipales : la question du renouvellement insuffisant du personnel politique municipal (nul doute, là encore, que l’effet « blast » de 2017 va avoir quelques répercussions en 2020 au plan local), l’inertie créée par les phénomènes de baronnies et de professionnalisation politique, ainsi que la question du travail politique en campagne, particulièrement structurant dans notre vie politique.

Enfin, d’une manière très originale, un dernier chapitre passionnant offre des témoignages de « politistes en campagne » (Bastien François, Rémi Lefebvre, Renaud Payre…) qui mettent en relief les enseignements de la participation (souvent déçue) de chercheurs en science politique aux campagnes électorales des dernières années, démontrant notamment que les savoirs académiques ne constituent pas véritablement des atouts (voire des inconvénients) pour gagner en légitimité politique auprès des électeurs et, surtout, des appareils politiques… En revanche, et heureusement, les leçons issues de ces expériences sont autant de matériaux précieux pour nourrir les recherches !