Les acteurs locaux sont aujourd’hui en première ligne pour le développement économique, social, culturel et l’aménagement des territoires.

Depuis la présidence du Général de Gaulle et la création de la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), l’aménagement du territoire ressemblait à un processus linéaire, une politique volontariste initiée par le centre et destinée à compenser les déséquilibres territoriaux. Par contraste, elle est aujourd’hui le fruit du dynamisme propre des collectivités qui ont grandement gagné en autonomie depuis les années 1980. Le sujet pourrait aujourd’hui sembler « démodé, suranné, voire totalement passéiste »   : l’ouvrage de Damien Augias nous montre à travers ses douze chapitres qu’il n’en est rien. Au contraire, même, c’est un sujet qui s’est profondément renouvelé, depuis qu’un changement de paradigme a ouvert une nouvelle ère de co-construction des territoires, dans une démarche de concertation, de stratégie et de régulation.
La création d’un Ministère à l’égalité des territoires atteste d’ailleurs de cette transformation : une juste répartition des richesses et des infrastructures reste nécessaire pour la cohésion nationale, et, dans ce cadre, l’Etat comme les collectivités territoriales ont leur mot à dire. En particulier, les collectivités ont leur rôle à jouer « pour atteindre cet objectif qui correspond non seulement à l’intérêt général mais également à l’efficience économique de territoires de plus en plus mis en concurrence dans un contexte de mondialisation et de métropolisation (les deux phénomènes étant étroitement liés) »   . Autrement dit, comme l’exprime l’auteur, « on passe bel et bien d’une conception étatiste de l’aménagement du territoire à une multiplication d’opérations de développement local au niveau des territoires »   . Le développement local passe ainsi par deux idées-forces, l’attractivité et la compétitivité.
Damien Augias rappelle les fondamentaux à connaître sur l’histoire politique et l’environnement juridique des collectivités territoriales, reprenant les grandes lois de décentralisation, qui constituent un tournant décisif dans l’histoire de l’aménagement du territoire français. Il aborde également dans son

propos des questions d’organisation des pouvoirs publics comme celles de l’intercommunalité ou de la politique de la ville. Au message alarmiste de Jean-François Gravier, qui dans son ouvrage Paris et le désert français (1947) attirait l’attention sur la nécessité d’équilibrer la concentration des richesses en région parisienne par une meilleure répartition géographique, s’oppose une vision contemporaine mettant l’accent sur la compétitivité et la concurrence des territoires.
Aussi, l’ouvrage montre bien vite grâce à différents exemples à quel point l’adage « penser global, agir local » reste d’actualité, du transport au développement durable en passant par l’aménagement numérique, voire dans l’interaction entre ces différents secteurs – notamment dans le cadre de la « mobilité numérique »   . Comme le note justement Damien Augias dans une comparaison stimulante, le développement des technologies de l’information et de la communication s’apparente aujourd’hui aux « grandes périodes d’équipement propres à l’histoire de l’aménagement des territoires »   , comme hier ou avant-hier les infrastructures de transport.
L’une des forces de l’ouvrage consiste à couvrir l’ensemble des territoires et leurs particularités, des territoires ruraux au Grand Paris. La vie des zones rurales ne se réduit pas à la seule désertification : de nouvelles réalités apparaissent (périurbanisation et rurbanisation), de nouveaux modèles économiques se font jour, s’appuyant parfois sur les « pôles d’excellence rurale ». Le cas plus spécifique du Grand Paris ne se laisse pas facilement étudier comme d’autres cas en France dans la mesure où, de Paul Delouvrier à nos jours, « la constitution de la métropole parisienne n’est pas toujours assimilée à une réforme territoriale «comme les autres» »   . Sa taille justifie également les comparaisons avec d’autres mégalopoles mondiales, comme le « Greater London ».
L’accent mis sur la compétitivité amène nécessairement à s’intéresser à la mondialisation de l’économie et ses effets sur les territoires. L’auteur mentionne au passage différents travaux d’économistes (Paul Krugman, Laurent Davezies) et de géographes, dont ceux de Martin Vanier sur le concept d’interterritorialité (Le pouvoir des territoires, 2008). Selon ce dernier, « les acteurs des territoires sont désormais trop nombreux, publics et privés, à toutes échelles, à produire, à gérer et à orienter le développement territorial, pour qu’on puisse espérer une sorte d’ «autorité organisatrice des territoires», dont on aurait peine à déterminer l’échelon »   .  Quant à la dimension européenne, elle se trouve en prise avec les coopérations transfrontalières, les fonds structurels si importants dans le budget européen, ou encore la présence des régions à Bruxelles, qui s’acquittent avec plus ou moins de succès à des politiques de lobbying déterminées.
Enfin, l’ultime chapitre du livre a le grand mérite de ne pas oublier les outre-mers (2,7 millions d’habitants pour 120 000 km² environ, hors terre Adélie), trop souvent négligés, divers dans leur constitution, leurs ressources économiques et leurs contextes politiques. Entre les départements d’outre-mer (Guyane, Réunion…) et les collectivités d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna…), il existe de grandes différences institutionnelles, mais ces territoires sont également traversés par des défis communs, démographiques, environnementaux ou socio-économiques.
A la lecture du livre, on appréciera particulièrement la compréhension large des enjeux, Damien Augias n’hésitant pas à faire preuve d’interdisciplinarité, et à citer aussi bien Paul Valéry et Fernand Braudel que des géographes, juristes et économistes. Doté d’un solide appareil bibliographique, cet ouvrage permet d’acquérir ou d’approfondir une véritable « culture générale territoriale » en prise avec les réalités contemporaines, qui s’avère utile au public pratiquant les collectivités, dans le public comme dans le privé.

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