Trois tentatives d'analyse de l'écologie politique : deux récits à l'aune du combat partisan et une vision théorique à travers les enjeux du débat public.

Quelques mois après la démission fracassante de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique et solidaire et quelques semaines avant des élections européennes qui, traditionnellement, sont plutôt favorables aux écologistes, plusieurs ouvrages viennent à point nommé pour analyser dans une profondeur historique, politique et conceptuelle la naissance, les combats lointains ou récents, et l’actualité du courant écologique en France.

 

Entre utopie et opportunisme

Le premier ouvrage, Une histoire de l’écologie politique   , de la plume d’un journaliste politique du Journal du dimanche, Arthur Nazaret, se présente comme un récit assez linéaire de l’histoire des courants écologistes en France, de la candidature de René Dumont en 1974 à la démission de Hulot en 2018, en passant par la création des Verts en 1984 et les participations aux gouvernements de gauche de Dominique Voynet en 1997 ou de Cécile Duflot en 2012. Il s’agit donc a priori d’une bonne entrée en matière pour embrasser l’écologie politique française dans une perspective diachronique. Mais c’est également toute la limite de cette démarche qui, comme ne l’indique pas son titre, se cantonne strictement au cas français – alors même qu’un leader tel que Daniel Cohn-Bendit, militant franco-alllemand, ou le changement de nom du parti en 2009 (Europe-Ecologie-Les Verts) invitaient à explorer les dimensions européennes du mouvement, par ailleurs très présent au Parlement de Strasbourg – et se réduit le plus souvent à un récit – au demeurant plutôt plaisant à lire – des intrigues et des stratégies politiciennes des Lalonde, Waechter, Voynet, Mamère, Cochet, Bové, Joly, Duflot et consorts, entre périodes d’opposition, voire de traversées du désert, et participations gouvernementales – conclues par des déceptions et des divisions.

Car, au-delà de cette tentative de récit (ou roman ?) historique d’ailleurs assez inédite – aussi surprenant que cela puisse paraître –, ce que montre en filigrane ce livre au style d’éditorialiste, sans le développer malheureusement outre mesure, c’est la tension permanente entre utopie initiale d’un mouvement groupusculaire (la candidature René Dumont en 1974 n’approchera pas les 2 %), soit une certaine forme de romantisme politique hérité des années 68, et la tendance, de plus en plus présente à partir des années 1980 et surtout de la décennie 1990, d’une forme d’opportunisme politique et d’une fascination croissante pour les ors des ministères (les cas les plus typiques sont Jean-Vincent Placé ou l’actuel ministre François de Rugy) plutôt que pour les terrains vagues et l’occupation du Larzac des années 1970 (tradition incarnée par le militant gauchiste Alain Lipietz, par ailleurs seul véritable théoricien du parti parmi ses dirigeants). Certes s’agit-il sans doute d’un conflit de générations autant que d’un conflit de valeurs mais cette évolution manifeste tranche fortement avec les conditions d’émergence du mouvement écologiste dans les soubresauts des années 68 en France (mais aussi en Allemagne, par exemple).

 

Aux origines de l'écologie politique

Tel est le thème du second ouvrage ici recensé, La naissance de l’écologie politique en France. Une nébuleuse au cœur des années 68   du chercheur en histoire Alexis Vrignon. Travail d’historien et non de journaliste, cette recherche de bonne facture restitue les fondements de la pensée politique écologiste, de manière plus satisfaisante que le récit d’Arthur Nazaret, et les raisons de son apparition dans l’arène politique dans la fièvre des mouvements radicaux post-68. Animés par l’aspiration commune à redéfinir les rapports entre l’homme et la nature pour transformer la société, ces mouvements écologistes (avant leur unification dans les années 1980) n’en sont pas moins différents dans leurs positionnement politique, leur répertoire d’action et leurs approches des enjeux environnementaux, encore peu connus du grand public (la scène télévisuelle du verre d’eau de René Dumont, lors de la campagne présidentielle de 1974, marquera à cet égard les esprits des électeurs français). La culture des premiers « écolos », à la confluence de la lutte politique et de la sensibilisation environnementale, est ainsi parfaitement restituée par l’historien, mobilisant des archives inédites et démontrant que le prolongement des combats sur le terrain n’était pas naturellement évident dans les urnes. Ce dilemme reste d’ailleurs au cœur des débats militants aujourd’hui, entre les tenants de l’écologie profonde et radicale (voire les « ZADistes » de Notre-Dame-des-Landes) et les « pragmatiques » plus prompts à transiger avec les exigences de la défense de l’environnement dans un monde en proie aux changements climatiques majeurs.

Les thèmes développés dans l’ouvrage demeurent également dans l’actualité des combats de l’écologie politique. La contestation nucléaire de Plogoff fait ainsi écho à la demande de démantèlement de la centrale de Fessenheim (la plus ancienne en activité en France), prévu en 2020. La fin des Trente Glorieuses et les chocs pétroliers de 1974 et 1979, tout comme la crise économique et financière de 2007-2008 (dont les conséquences se font toujours sentir), ont posé la question, dans des contextes socio-économiques et politiques différents et à trente ans d’intervalle, de la compatibilité entre la recherche effrénée de croissance économique trop productiviste et la nécessité de plus en plus forte pour la société et les pouvoirs publics d’être à la hauteur des enjeux environnementaux et du « développement durable » (le terme est officiellement apparu en 1987 dans le rapport Brundtland de l’ONU).

 

Une alternative écologique

Enfin, dans une des dernières livraisons de la revue Cités, le dossier « Ecologie et décision politique », coordonné par le philosophe politique Serge Audier, prend de la hauteur par rapport aux seuls enjeux électoraux et de participation gouvernementale en posant la question de la possibilité d’une alternative (politique, sociale et économique) écologique à l’ère de « l’anthropocène ». Economiste, Bernard Perret se penche d’abord sur les conditions sociales de la transition écologique, tandis que son confrère Eloi Laurent tente de faire le récit de ses tentatives récentes en matière de politiques publiques. Concernant l’économie circulaire (notamment les « circuits courts » alimentaires), très en vogue et vue comme une solution alternative aux grands échanges commerciaux peu vertueux en consommation énergétique et en bilan carbone, Christian Arnsperger tente d’en comprendre les limites théoriques et pratiques. Sur le sujet très important des politiques de préservation de la biodiversité et, de manière générale, d’adaptation au changement climatique, la juriste Valérie Cabanes pose la question de l’entrée de la nature en politique ces dernières années (loi de 2016 créant l’Agence nationale de la biodiversité, par exemple). Enfin, le philosophe de l’environnement Dominique Bourg et l’économiste en chef de l’Agence française de développement Gaël Giraud reviennent chacun sur la possibilité de « penser » la politique de l’écologie et, plus largement, « l’économie politique des communs »