"Les émeutes des banlieues…" : partout, ces mots reviennent. Partout, les hommes politiques les emploient pour tenter d’expliquer unbilan catastrophique, des quartiers sous tension et une situation explosive… L’expression est devenue un passage obligé du discours public pour enfouir l’impuissance des politiques de la ville sous des appels au sursaut et des cris d’alarme faussement lucides. Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, reconnaissait lui-même en décembre 2009 l’échec de la droite : "Le président de la République avait lancé un plan banlieue pour lutter contre cette désintégration sociale mais cela n'a pas abouti parce qu'il est très difficile de faire bouger tous les conservatismes, tout l'appareil d'Etat." L’impéritie patente de Fadela Amara lors de son passage au gouvernement n’a fait qu’accroître le sentiment que les réponses politiques à ces problèmes sociaux se réduisent comme peau de chagrin. La politique de la ville semble en effet souffrir de trois grands maux : elle n’est pas lisible pour les citoyens, elle n’est pas une priorité politique, et elle ne cesse de pâtir des conséquences d’un discours hostile à certaines catégories de la population.

La politique de la ville, c’est quoi ?


Le ministère de la Ville a une place ingrate. Il doit coordonner l’action du gouvernement et des collectivités territoriales pour revaloriser certains quartiers sans pouvoir agir de manière autonome. Victime de son éclatement entre tous les domaines qu’elle doit couvrir- l’éducation, l’emploi, la sécurité, le logement ou la mixité sociale- la politique de la ville apparaît comme un capharnaüm sans queue ni tête. Cette dispersion impose aussi au ministre de la Ville une dépendance accrue aux autres budgets ministériels. Fadela Amara est la dernière en date à avoir passé son temps à quémander des crédits auprès de ses collègues du gouvernement sans être véritablement entendue. Pour Emmanuel Heyraud, responsable de la politique de la ville, de l’habitat et de l’urbanisme à l’Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF), et auteur de La politique de la ville. Maîtriser les dispositifs et les enjeux (Editions Berger-Levrault), au sein de cette politique "parfaitement illisible", les maires sont incontournables. Ce sont eux qui comprennent les difficultés sociales des quartiers des zones urbaines sensibles et s’efforcent d’en enrouer les mécanismes. Ils représentent "le dernier filet de sécurité. Face à une situation de plus en plus grave, ils osent plus parler qu’avant. Beaucoup repose sur eux mais ils font face à des choix difficiles et doivent aussi se soumettre à une rigueur budgétaire aux dépens des associations."

Tout sauf une priorité politique

Depuis la loi Borloo de 2003 portant sur un programme national de rénovation urbaine   , la politique de la ville a repris une dimension nationale, au risque de minorer la parole et l’expérience locale des maires. La droite s’est sans doute trompée de méthode en tentant de réduire l’écart entre les zones sensibles et le reste du territoire à une échelle nationale alors que des situations locales ne sont pas réductibles aux mêmes préconisations politiques. Emmanuel Heyraud rappelle que les "émeutes de 2005" ont fait le jeu de la droite, et qu’il ne faut pas négliger les effets électoraux de la communication politique autour des banlieues. Certains observateurs remarquent en effet qu’une partie de la majorité ne verrait pas forcément d’un mauvais œil l’éclatement d’incidents semblables à ceux qui eurent lieu en mars 2007 à la Gare du Nord, à Paris. Des voyageurs et des policiers s’étaient violemment affrontés pendant plusieurs heures à la suite de l’interpellation d’un voyageur sans billet. Cela n’avait pas manqué de remettre le thème de l’insécurité au cœur du débat à deux mois des élections présidentielles, laissant la voie ouverte à l’amalgame entre violences urbaines et jeunes de banlieue.

Depuis 2007, et le "Plan Marshall" promis par Nicolas Sarkozy pour les banlieues, le fossé entre action urbaine et action sociale s’est encore creusé. Le bilan de Fadela Amara- dont le secrétariat d’Etat était sous la tutelle de quatre ministres, dont Brice Hortefeux et Eric Woerth et dont le cabinet n’a cessé de changer- a été unanimement critiqué. Elle ne fut soutenue par le gouvernement ni financièrement ni politiquement. Puis, la crise économique est passée par là. Les plans de budgets triennaux demandés par François Fillon à 11 ministres en juin 2008 pour financer le plan Espoir Banlieues ont été enterrés. Seuls demeurent les contrats d’autonomie, destinés à former les jeunes de moins de 26 ans qui les signent au marché de l’emploi et à les suivre lors des six premiers mois de leur premier contrat. 15 000 contrats ont été signés entre des volontaires et des partenaires privés ou des services publics de l’emploi en 2011. Un chiffre qu’Emmanuel Heyraud juge "ridicule".

L’esprit de ghetto

Face à des résultats aussi décevants, lenouveau ministre de la Ville, Maurice Leroy, a décidé de rester mesuré et de communiquer le moins possible. Son arrivée a coïncidé avec la publication d’un rapport parlementaire accablant des députés François Pupponi (PS) et François Goulard (UMP) sur l’évolution de la politique de la ville depuis 2003, qui pose des questions essentielles : "Les objectifs de la politique de la ville ont-ils […] été bien définis ? S’il s’agit de "réduire les écarts", cela passe-t-il par une "mixité sociale" accrue s’appuyant sur un "brassage" organisé des populations ou faut-il s’appuyer sur une distribution des moyens privilégiant les populations les moins bien dotées ? La politique de la ville consiste-t-elle à intensifier l’aide en direction des zones de concentration de la pauvreté ou doit-elle contribuer à briser cette "concentration", source endogène de problèmes accrus ?". En effet, le système de zonage et de gouvernance actuel ne permettrait pas une connaissance approfondie des quartiers en difficulté et de l’intensité des problèmes qu’y subissent leurs habitants. D’après ce rapport, la dichotomie entre l’action sur le bâti (pilotée par l’Anru) et l’action sociale (pilotée par l’Acsé) reste "trop prononcée".

L’Etat a donc le devoir de s’implanter localement dans les quartiers pour se donner les moyens de résorber une inégalité territoriale persistante et de faciliter le travail indispensable des élus locaux. Pour cela, ne faut-il pas aussi qu’il abandonne un discours d’exclusion qui insiste sans cesse sur la marge, la périphérie ou le ghetto, comme si notre société devait fatalement paupériser et isoler les quartiers populaires et ses habitants ?   A l’heure où les débats sur le modèle républicain font florès, ne faut-il pas cesser d’enjoindre certains Français de s’intégrer dans une modèle de société préconçu alors même qu’on ne leur en donne pas les moyens en termes d’éducation, d’emploi et de mobilité sociale ?

 

Pierre Testard



Pour approfondir la réflexion sur la politique de la ville et ses enjeux, nonfiction.fr publie aujourd’hui  un dossier qui comprend :

 

-    Un décryptage du New Deal urbain du PS, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Nathalie Perrin-Gilbert, secrétaire nationale du Parti socialiste au Logement, par Lilia Blaise et Pierre Testard.


-    Une analyse des rapports entre politique de la ville et politique d'intégration, par Quentin Molinier.


-    Un bilan du Plan Espoir Banlieues, par Charlotte Arce.

 

-    Une interview de Grégory Busquet, sociologue et urbaniste, par Lilia Blaise.

 

-    Une interview de Luc Bronner, journaliste au Monde, par Charlotte Arce. 

 

-Une interview d'Adeline Hazan, maire de Reims, par Lilia Blaise

 

-    Un point de vue de David Alcaud pour en finir avec le mythe de la politique de la ville.


-    Une interview de Jacques Donzelot, directeur de la collection "La ville en débat" (aux PUF), par Xavier Desjardins.


-    Un entretien avec Didier Lapeyronnie, sociologue, par Xavier Desjardins.

 

Des critiques des livres de :



-    Christophe Guilluy, Fractures françaises, par Violette Ozoux.


-    Hugues Lagrange, Le déni des cultures, par Sophie Burdet.

 

-    Luc Bronner, La Loi du Ghetto, par Alexis Gonin.



-    Julien Damon, Villes à vivre, par Xavier Desjardins


-    Joy Sorman et Eric Lapierre, L’inhabitable, par Tony Côme.


-    Jean-Luc Nancy, La ville au loin, par Quentin Molinier.


-    Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public. Ville, paysage, démocratie, par Antonin Margier.


-    Rem Koolhaas, Junkspace, par Antonin Margier.


-    Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l’Etat prépare la guerre urbaine dans les banlieues, par Antonin Margier.


-    Michel Agier, Esquisses d’une anthropologie de la ville. Lieux, situations, mouvements, par Antonin Margier.

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

 

- Le vieillissement de la population est-il un obstacle à l'alternance politique en 2012 ?, par Matthieu Jeanne.