Sociologue à Paris X Nanterre, conseiller scientifique au PUCA (Plan, Urbanisme, Construction, Architecture) et membre du comité de rédaction de la revue Esprit, Jacques Donzelot est un spécialiste reconnu de la question urbaine. Récemment, il a publié Faire société, la politique de la ville en France et aux Etats-Unis (2003) et  Quand la ville se défait (2006), aux éditions du Seuil.
Jacques Donzelot est également critique pour le portail des livres et des idées, nonfiction.fr.


nonfiction.fr : Plutôt qu’une longue présentation institutionnelle, peut-être pouvez-vous nous dire comment vous en êtes venus à vous intéresser aux villes ?

Jacques Donzelot : Je me suis intéressé aux villes à travers la politique de la ville ; et à celle-ci à partir d’un livre sur "l’invention du social" (en 1984) et donc la genèse de l’État providence. Je concluais ce livre en profilant l’apparition d’un État animateur susceptible de contrecarrer la déresponsabilisation politique induite à terme par ce dernier. C’est à ce moment que j’ai rencontré des gens qui m’ont dit : "Un État animateur ? C’est exactement cela que nous sommes en train de promouvoir !" Il s’agissait de gens appartenant à la nébuleuse originelle de la politique de la ville, ceux que l’on retrouvait  derrière les rapports Dubedout, Bonnemaison et Schwartz qui ont impulsé cette politique.

Pour en avoir le cœur net, j’ai travaillé avec eux, comme responsable scientifique de l’évaluation de la politique de la ville peu après son intronisation officielle, entre 1991 et 1994. Cela a donné un livre : L’État animateur. Essai sur la politique de ville (Esprit édition, 1994). Lequel ouvrage théorisait ladite politique, faisait ce que j’avais appelé son "apologie conceptuelle", qui a donné lieu à suffisamment de critiques pour me donner envie de persister dans l’effort et de me plonger cette fois sur les variations internationales de cette politique (d’où le livre Faire société qui compare les politiques en question aux États-Unis et en France) et sur ce qui faisait problème dans l’objet même de cette politique, de partir du problème plus que de sa solution (ce qui a donné Quand la ville se défait).


nonfiction.fr : Vous venez de lancer une nouvelle collection aux PUF, en partenariat avec le PUCA, "La Ville en débat". Pourquoi une nouvelle collection consacrée spécifiquement à la question urbaine ?

Jacques Donzelot : Parce que le genre n’existe pas !  Et ce alors que nous sommes à un moment où l’on constate que toute la société est urbanisée, que les formes de la ville favorisent la transformation de la défunte "question sociale" en des termes de "cohésion sociale" – si l’on en croit du moins les intitulés ministériels et le vocabulaire officiel. Je ne dis pas qu’il faut faire des collections pour chaque thème qui surgit dans l’actualité. Il est bon que les titres des collections soient assez larges pour accueillir des idées et des problèmes sans trop contingenter leurs thématiques. Mais quand un objet focalise à ce point toute une série de problèmes (les rapports sociaux, les modes de vie, les problèmes de gouvernement, d’environnement), cela devient frustrant qu’il n’y ait pas une collection qui se propose de rassembler sous une étiquette unique toutes ces questions que la ville met en débat et qui la mettent en débat.


nonfiction.fr : Quels sont les thèmes privilégiés par cette collection ? Les deux premiers ouvrages sont consacrés à la sécurité (Thierry Oblet, Défendre la ville) et aux gouvernements locaux (Philippe Estèbe, Gouverner la ville en mouvement). La collection se penchera-t-elle également sur les questions de forme urbaine et de production architecturale de la ville ?

Jacques Donzelot : Les thèmes privilégiés de cette collection sont ceux que l’on retrouve dans toutes les bibliographies  actuelles sur la ville, dans tous les recueils d’articles. Ils s’ordonnent autour de quatre grandes rubriques.

La gouvernance, dont l’ouvrage de philippe Estèbe inaugure le genre à travers ses réflexions sur les deux types d’intercommunalités, centrale et périphérique, que l’on peut observer. Il montre la difficulté de  gouverner des agglomérations comprenant ces deux types de communes et de regroupements de communes, mais aussi la nécessité de trouver un chemin qui en tienne compte.

La cohésion sociale, qui regroupe les  questions de mixité de l’habitat, de transports publics, d’inégalité d’accès à l’emploi, de sécurité des lieux et des personnes. L’ouvrage de  Thierry Oblet , Défendre la ville, définit bien le cadre de cette dernière, montrant que la ville est un espace comportant une part nécessaire d’insécurité, et que s’il convient de la sécuriser il ne faut pas que cela soit au prix d’une annihilation de ce qui en fait l’essence, de la faculté de rencontre qu’elle offre.

Enfin, les deux autres rubriques sont la compétitivité (ou, si l’on préfère l’attractivité) et puis la "soutenabilité" (ou faut-il dire "durabilité")  pour désigner la dimension environnementale et la question de la consommation d’énergie induite par la forme urbaine.


nonfiction.fr : Les ouvrages seront-ils tous issus de recherches françaises récentes ou pensez-vous également publier des ouvrages plus théoriques ou des traductions d’ouvrages majeurs peu connus en France ?

Jacques Donzelot : Les ouvrages sont conçus à partir de recherches récentes, dont pour beaucoup celles qui ont été financées par le PUCA, lequel constitue la principale structure de soutien de la recherche urbaine en France. Les ouvrages prévus  présentent une recherche particulièrement brillante (comme dans le cas de celui d’Estèbe) ou bien offrent une synthèse de plusieurs recherches avec une mise en perspective théorique (comme celui de T. Oblet).

Il est envisagé de présenter des traductions d’ouvrages étrangers, notamment ceux dont on ne comprend pas qu’ils ne l’aient pas déjà été. Mais le plus probable est la mobilisation de chercheurs étrangers pour qu’ils rédigent dans le cadre de cette collection des ouvrages à destination du public français et fassent ainsi l’effort de penser pour nous la manière dont se pose la question urbaine chez eux.


nonfiction.fr : Pourquoi ce format d’environ 80 pages ? Quel public visez-vous ?

Jacques Donzelot : Le choix du format correspond à l’esprit du temps. On sait bien que seuls les étudiants lisent et qu’ils n’ont pas le temps de lire de gros livres ni les moyens de se les acheter. Je ne plaisante qu’en partie ! Il est sûr que nous visons également un public d’acteurs, des équipes municipales de techniciens  et d’élus, des administratifs aussi, ceux d’entre eux qui ne croient plus trop dans les vertus de la technocratie et aspirent à prendre du recul et des idées auprès des chercheurs et de leurs collègues étrangers.


nonfiction.fr : Quelle est votre conception du rôle d’un directeur de collection ?

Jacques Donzelot : Je n’en avais aucune avant de commencer. Je vois avec ce début qu’il y va d’un rôle pas très différent de celui d’un directeur de thèse, à cette différence près qu’il s’agit de demander aux auteurs de faire court plutôt que long… et que c’est plus difficile !


Propos recueillis par Xavier Desjardins

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