Un ouvrage remarquable sur le "Grand Paris", et qui permet d'éclairer un débat riche en mettant en relation travaux de chercheurs et propos d'acteurs politiques.

Dans cet ouvrage, modeste par sa taille, 119 pages, le projet de Jean-Marc Offner est ambitieux : donner à comprendre les enjeux politiques, économiques, sociaux et territoriaux, d’une idée qui réapparaît de temps en temps dans le débat public : celle du "Grand Paris". Ce débat a été relancé récemment. En juillet 2006, la Conférence métropolitaine est mise en place sous l’impulsion de Bertrand Delanoë, maire de paris, et de son adjoint chargé des relations avec les collectivités territoriales d’Île-de-France, Pierre Mansat. En juin 2007, inaugurant un nouveau satellite à l’aéroport Charles-de-Gaulle, le président de la République en appelle à "l’organisation des pouvoirs", soulignant que "Paris est la seule agglomération de France à ne pas avoir de communauté urbaine". Pour faire comprendre les enjeux d’une telle structuration administrative, Jean-Marc Offner propose, après une substantielle introduction, une sélection de textes sur la région parisienne et son gouvernement. Les textes sont principalement issus de travaux de chercheurs parmi lesquels on retrouve Patrick Le Galès, Philippe Thiard, Pierre Beckouche, Matthieu Flonneau, Annie Fourcaut, Jacques Lévy, Gérard Marcou, mais également de responsables importants de l’aménagement et de l’architecture comme Vincent Fouchier, Roland Castro, Simon Ronai ou Paul Chemetov et d'élus tels que Bertrand Delanoë, Patrick Braouzec, Roger Karoutchi ou encore Françoise de Panafieu pour n'en citer que quelques-uns. Aussi, l’ouvrage permet-il de judicieux va-et-vient entre textes de décideurs et de chercheurs, faisant vivre, en son sein, un débat si souvent difficile à établir de manière approfondie entre ces deux mondes.

Pourquoi le Grand Paris ? Depuis de nombreuses années, beaucoup de politiques publiques semblent pâtir d’une insuffisante coordination entre les institutions publiques. Cela rend plus difficile à mettre en oeuvre les politiques dites "de la ville" (c’est-à-dire en direction des quartiers pauvres), mais aussi la construction de logements dans des conditions urbaines et financières pertinentes ou encore la mise en place d'actions dans le domaine des transports et du développement économique. Beaucoup de décisions ne sont manifestement pas prises à la bonne échelle et la fragmentation communale peut apparaître comme un frein au développement métropolitain. Pour créer une nouvelle instance de régulation, on sait qu’il faut dépasser la question, typiquement parisienne, de la coupure entre ville centre et
alentours. La coupure entre Paris et les communes voisines se manifeste par le périphérique : les zones de la Carte Orange, les changements de numérotation des lignes d’autobus de deux chiffres à trois, mais également aujourd’hui … les limites d’utilisation du Velib ! Le Grand Paris est tout autant un enjeu politique que symbolique.

Mais si on pressent que certaines politiques sont à partager et à coordonner, quelle est la limite souhaitable ? Et quoi partager ? Les limites en tant que telles ont peu de sens si on ne s'accorde pas avant sur ce qu’on va décider en commun. Par ailleurs, l’idée de créer une structure unique qui rassembleraient toutes les communes et tous les départements d’Île-de-France pour gérer toutes les affaires locales semble rejeter par tous. Les avantages de la solidarité ainsi permise seraient contrebalancés par les inconvénients d’un "machin" difficile à gérer et loin des "gens".

Jean-Marc Offner propose une solution. Celle-ci est cohérente avec les textes qu’il donne à lire : la solution ne réside ni dans la constitution d’un "Gargantua" engloutissant les communes, ni dans la création d’une communauté urbaine, qui "autorise peu la souplesse, quant à la progressivité de la démarche (recommandée par les apprentissages collectifs à effectuer) et la flexibilité des limites comme des compétences (suggérée par le rythme des mutations et le temps des projets". Il propose donc de conserver les syndicats sectoriels et d’en créer éventuellement d’autres pour partager des politiques sur des périmètres ad hoc et d’inventer une "instance intégrative", structure d’interface et de médiation pour articuler les échelles géographiques, coordonner les programmes sectoriels, les grands projets urbains et les évaluations transversales. Cet "atelier de montage du projet métropolitain" va nécessiter du temps pour se mettre en place. Plus que l’enjeu des limites géographiques, n’est-ce pas aujourd’hui la question de la temporalité de l’émergence de cette agence intégrative qui importe ? Le grand mérite de cet ouvrage est de rappeler que derrière les débats parfois byzantins sur le devenir métropolitain et les structures juridiques possibles, l’essentiel n’est pas le sexe des anges, mais la qualité de vie de millions de citadins, la performance des réseaux de transports, la construction de logements et le devenir économique et écologique d’une grande métropole. Après la partie conclusive sur le "débat géopolitique", il est ainsi utile de relire la première partie qui rappelle les enjeux de la région urbaine !


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