En cette période électorale, décrire les enjeux des politiques urbaines est un projet utile et ambitieux. Un essai juste dans ses grandes lignes, mais insuffisant.

En cette période électorale, décrire les enjeux des politiques urbaines est un projet utile et ambitieux. Il ne faudra néanmoins pas compter sur cet essai pour épuiser le sujet.

Montrer que "les enjeux urbains, ce n’est pas si sorcier"   , tel est l’objectif de Sibylle Vincendon. Rédactrice en chef adjointe à Libération, elle s’appuie sur la connaissance qu’elle a acquise au gré de ses reportages pour les cahiers "Villes" du quotidien, dont elle a été la conceptrice et la coordinatrice de 2003 à 2007. Mais, malgré son intention louable de rendre accessibles la politique de la ville et l’urbanisme, l’auteur ne nous semble pas être allé au bout de son ambition.

L’ouvrage souffre d’une très mauvaise entrée en matière. Le sujet est en effet introduit quelque peu platement. "Il s’est passé quelque chose", nous dit-on : nous aimions la ville hier, nous ne l’aimons plus aujourd’hui, pourquoi donc ? Le constat d’une crise de la ville ainsi posé, l’auteur nous annonce, par un truisme, que "ce n’est pas la peur qui réhabilitera la ville. C’est peut-être plutôt la ville elle-même"   . La superficialité de ces réflexions est d’autant plus dommageable qu’au cours de l’essai, les réels enjeux de la réhabilitation de la ville sont bien mis en lumière : la crise du sens collectif, le manque de volonté politique, les effets pervers du marché…

La principale faiblesse de l’ouvrage est son style, beaucoup trop relâché. La vulgarisation de la politique urbaine aurait pourtant pu se passer de facilités de langage, d’inutiles anecdotes et d’approximations.      

La structure de l’essai a le mérite de la clarté : l’auteur procède à un "état des lieux", avant de stigmatiser les "mauvais choix", pour mieux dégager de "bonnes pistes" d’action.

L’intérêt de l’état des lieux dressé par Sibylle Vincendon est de montrer en quoi la ville, dans la crise qui l’affecte, reflète des évolutions contemporaines plus globales. Elle décrit ainsi un processus de formatage des villes par la grande distribution, "fatalité de l’époque, commodité associée à la ville qu’elle tue à petit feu"   . Pour mieux comprendre les ressorts de la politique urbaine, l’auteur dresse un portrait rapide des multiples acteurs de la ville. Il s’agit d’abord des présidents de la République, car "pour que (la ville) soit un enjeu politique majeur, (il faut) que la tête de l’État en fasse son affaire personnelle"   . Dans un chapitre assez enlevé, l’auteur associe à chacun un idéal-type urbain : Georges Pompidou a cherché à adapter la ville à la voiture, François Mitterrand a été le président des grands travaux, tandis que Jacques Chirac demeure, lui, un mystère urbain, "étrange étranger à la ville, à sa ville"   . Nicolas Sarkozy, enfin, renvoie à une ville ambivalente, marquée par "le clinquant pour lui, et le chacun pour soi pour les autres"   .

Au-delà du président, le politique de la ville, c’est avant tout le maire. Sibylle Vincendon pose une "question compliquée" : qu’est-ce qu’un bon maire ?   On comprend qu’il est celui qui préserve l’équilibre social de sa ville (Louis Besson à Chambéry), qui la rend attractive par un vrai travail de fond (Jean-Marc Ayrault, à Nantes), ou qui parvient à la sortir d’une crise structurelle (Jean-Michel Thiollières, à Saint-Etienne). Le cas Bertrand Delanoë est traité plus en détail, à l’aune de son "apprentissage difficile de l’urbanisme"   , c'est-à-dire son renoncement, jusqu’à la présente campagne électorale, à s’engager sur des projets urbains d’importance. Le mauvais maire, lui, est le "maire inculte et vaniteux"   , qui est la proie du marché - Jean Bousquet à Nîmes et Georges Frêche à Montpellier en prennent, au passage, pour leur grade. Enfin, les habitants apparaissent quant à eux comme les acteurs passifs de la ville, qui semblent subir des évolutions qui les dépassent : la spéculation immobilière, le phénomène pavillonnaire, la ségrégation sociale, l’individualisme…

Après avoir décrit la crise urbaine actuelle, Sibylle Vincendon en cherche les responsabilités. À ce titre, c’est le marché qui est dénoncé avec force. La critique du phénomène pavillonnaire est convaincante, à défaut d’être neuve et originale : il s’agit en réalité d’une "fausse urbanité"   , par laquelle les habitants perdent leur sociabilité, et leur argent. Or, le marché, certes parfois encouragé par les politiques publiques, continue de livrer ces solutions clés en main très rentables, au détriment de l’émergence de la ville. Le marché est aussi coupable de mettre en œuvre des choix d’urbanisme peu courageux, qui répondent à ce que l’on croit être les attentes du public, mais qui aboutissent en réalité à une dégradation de l’espace urbain. En creux apparaît clairement la responsabilité du politique, qui a renoncé à faire des choix, alors même que "faire la ville devrait être l’action politique par excellence"   . La crise de la ville est également à mettre en lien avec l’évolution des transports, notamment le train qui, côté TGV, crée de nouveaux espaces urbains modernistes, mais, côté Corail, laisse à l’abandon des pans entiers de territoires. Par ailleurs, l’auteur tente également des explications plus psychologiques des difficultés urbaines. Elle se demande ainsi si les gens n’aimeraient pas les villes "parce qu’elles ne leur permettent pas cette illusion qu’offre la nature en se modifiant trop lentement pour qu’une vie d’homme perçoive que le paysage n’est plus pareil"   . Elle pointe également la "tentation du toc"   , qui, à l’image de la réhabilitation du quartier du port Rambaud à Lyon, dénature la ville et lui fait perdre sa poésie.

Viennent enfin, après ce sombre tableau, des solutions dessinant des perspectives plus favorables. Sibylle Vincendon dégage une orientation indispensable pour assurer le salut de la ville : la promotion de la mixité sociale, qui s’oppose à la tendance actuelle au repli sur soi. Dès lors, "la recette du mélange, c’est celle du courage politique"   . L’auteur s’attache à démontrer qu’une véritable sociabilité urbaine est possible. À ce titre, elle souligne assez justement que ce n’est pas le cadre urbain qui constitue un obstacle au "vivre ensemble", mais les difficultés économiques des habitants des villes. Ainsi, les grands ensembles n’interdisent pas en eux-mêmes une vie urbaine épanouie, car "ce n’est pas la forme extérieure des immeubles qui génère le malheur"   , mais la misère. Par suite, "le fantasme du coup de gomme"   est dénoncé avec efficacité, qui consiste à détruire les constructions existantes pour reconstruire du propre, sans se soucier de ce que deviennent les habitants. Une transformation de l’existant et une approche au cas par cas apparaissent à la fois plus réalistes et plus pertinentes. La politique de Jean-Louis Borloo, qui repose sur la démolition et la reconstruction de 250.000 logements, est clairement mise en cause. Possible, la renaissance de la ville serait également en gestation. À cet égard, Sibylle Vincendon dégage des pistes intéressantes : la prise de conscience environnementale, l’intercommunalité, la concertation, et le meilleur encadrement du privé par la puissance publique. Mais la présentation des leviers concrets de la réhabilitation urbaine est trop superficielle pour convaincre, et plus encore pour inviter à l’action, alors même que cette question aurait pu constituer le cœur de l’essai.

Pour conclure, l’auteur en appelle au bon sens, au temps et à la modestie de ceux qui transforment la ville. Un rappel salutaire, mais un peu court. Une conclusion à l’image de cet essai : juste dans ses grandes lignes, mais insuffisant.


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