A l'occasion de l'Euro, retour sur trois publications concernant l'importance de plus en plus grande du football au sein de la société, avec un regard historique, sociologique et... décalé !

Le récent échec de l’équipe de France en huitièmes de finale de l’Euro de football a démontré à quel point ce sport mondialisé avait des impacts sociaux voire politiques. Dans le monde académique, l’essor récent de l’histoire et de la sociologie du sport témoignent de la place de plus en grande de ces pratiques dans les sciences sociales. Trois ouvrages récents, fort différents dans leurs formes et leurs auteurs, viennent s’ajouter aux nombreuses publications du printemps liées à l’actualité de la compétition européenne de football.

Le football comme « fait social total »

Dans une synthèse classique de la collection « Repères » des éditions de La Découverte, dressant l’état des lieux des savoirs et axes de recherche, la courte Sociologie du football des universitaires Stéphane Beaud (professeur de sociologie à l’Université de Poitiers) et Frédéric Rasera (maître de conférences en sociologie à l’Université Lyon-2) constitue une excellente entrée en matière pour comprendre les ressorts d’un « fait social total » (concept forgé par Marcel Mauss) tel que la pratique du football (amateur ou professionnel) dans nos sociétés contemporaines.

Dans un tableau clair et concis des travaux et axes de recherche, l’ouvrage revient d’abord sur la diffusion mondiale, bien connue, d’un sport collectif, à grands renforts de marketing et de merchandising, avant de s’intéresser plus en détail à la question des pratiques sociales du football, en éclairant à la fois les transformations économiques récentes (et toujours en cours) du monde professionnel – le « foot business », bien souvent dénoncé mais devenu obsession médiatique et objet de fascination des fans –, sans oublier cependant la dimension proprement populaire d’un sport « de rue » sur tous les continents et la force massive des clubs amateurs, y compris chez les femmes (nouveau champ de recherche auquel les auteurs consacrent un chapitre instructif).

L’un des intérêts de ce livre très didactique est notamment de revenir, dans une démarche de socio-histoire, sur les différentes origines mondiales du football : d’abord une pratique élitiste (voire aristocratique) en Angleterre, une pénétration très rapide sur le continent européen (dès la fin du XIXe siècle) puis, par effet de diffusion, une exportation précoce (et très populaire) en Amérique latine jusqu’en Afrique et, bien plus récemment, en Amérique du Nord et en Asie.

La construction d’un « modèle » de jeu collectif (avec ses postes, ses techniques et ses références tactiques) et, plus tardivement, d’un « métier » de footballeur sont à l’origine du cadre de socialisation particulièrement prégnant dans les pratiques et dans les esprits – le football étant d’assez longue date un objet de fascination des intellectuels, les stades leur apparaissant comme un rapprochement avec les catégories populaires.

Une histoire « mythifiée » de l’équipe de France de football

Dans une logique diachronique et par un récit plus linéaire, l’historien François da Rocha Carneiro (Université d’Artois) propose avec Les Bleus et la Coupe. De Kopa à Mpabbé une histoire de l’équipe de France de football lors de quatre Coupes du monde, de 1958 (génération Kopa-Piantoni-Fontaine) à 2018 (génération Mbappé-Griezmann-Pogba), en passant par 1982 (génération Platini-Tigana-Giresse) et 1998 (génération Zidane-Deschamps-Henry). A travers des chapitres par compétition, assumant une restitution sous la forme d’une « épopée », l’ouvrage analyse comment se sont bâtis progressivement les collectifs, d’horizons très divers d’un point de vue sociologique et des origines, qui ont marqué le modèle français du football professionnel.

Au-delà des péripéties et de la dramaturgie propre au sport de compétition (Suède en 1958, Séville en 1982, Saint-Denis en 1998, Moscou en 2018…), l’intérêt de ce livre est d’insister sur l’alchimie humaine qui se crée, à la fois dans les vestiaires et au sein des supporters (dans les stades et devant les écrans), lors de ces moments-clés de l’histoire sportive. François da Rocha Carneiro revient notamment sur les « mythes contemporains » se nourrissant socialement des gloires, postérités et personnalités propres à chaque « aventure » durant les quatre compétitions où brillèrent les différentes équipes de France. On sait à quel point certains historiens en ont fait des signaux de reconnaissance et de fierté nationale (l’auteur cite notamment dans sa bibliographie les synthèses récentes de Jean Vigreux et Ludivine Bantigny).

Une histoire décalée de l’Euro de football

Enfin, dans un registre plus léger voire humoristique, le journaliste Pierre Dubourg (écrivant notamment pour le magazine mensuel So Foot, bien connu des passionnés) propose, à l’occasion de l’Euro 2020 (joué en 2021 en raison de la crise sanitaire) une courte fresque intitulée, non sans ironie, La Grande Histoire de l’Euro de foot. Matchs mythiques, guerre froide et buts en or, qui retrace, des arrêts spectaculaires du gardien soviétique Lech Yachine (première compétition en 1960) aux larmes de l’attaquant portugais Cristiano Ronaldo (vainqueur lors de la dernière édition de 2016 en France), un récit détaillé des quinze premiers Championnats d’Europe de football, soixante ans après leur création.

Avec la dérision du passionné et l’expertise du connaisseur, l’auteur s’attarde sur l’évolution des règles de la compétition (que seule la sagacité de l’UEFA peut parfois rendre assez baroques, comme l’illustre le « but en or » en 2000 ou encore l’arbitrage par vidéo lors de l’édition de cette année), bien entendu sur les équipes et principales figures également, mais aussi sur les contextes (géo)politiques, parfois oubliés, de certaines compétions : le boycott de l’Espagne franquiste par l’UEFA en 1960 (mais quatre ans après, le général « prend sa revanche » en organisant une édition que remporte son équipe nationale), les victoires et succès du « bloc de l’Est » pendant la guerre froide (l’URSS en 1960 lors du tournoi organisé par la France, la Tchécoslovaquie en 1976 lors d’une compétition accueillie par la Yougoslavie, l’URSS à nouveau en finale en 1988, trois ans avant sa désintégration, s’inclinant en RFA contre une équipe brillante des Pays-Bas) – alors qu’aucune équipe d’un pays communiste n’a en revanche jamais gagné la Coupe du monde – et enfin l’éclatement de la Yougoslavie (dont l’équipe est exclue par l’UEFA, ce qui offre au Danemark une qualification inespérée lors de l’édition suédoise de 1992… que le pays scandinave gagne à la surprise générale face à l’Allemagne récemment réunifiée et championne du monde deux ans plus tôt). Une façon bien informée de comprendre une compétition européenne qui a été témoin des passions qui ont agité le Vieux Continent…