Alors qu'un livre-manifeste et une revue alternative dénoncent le système politique et économique du sport de compétition, l'ouvrage de Pascal Boniface se montre très peu critique dans sa description de la géopolitique sportive.
Si les ouvrages recensés dans cet article divergent fondamentalement sur le sens que l'on peut donner aux « valeurs sportives », ils s'accordent cependant sur l'importance de plus en plus grande du sport professionnel dans tous les domaines de l'activité économique, mais également de la sphère publique. Cette importance est toutefois jugée disproportionnée et condamnable par le collectif « Quel sport ? » dans L'idéologie sportive. Chiens de garde, courtisans et idiots utiles du sport , ainsi que par les auteurs des articles du numéro de la revue Mouvements intitulé : Peut-on aimer le football ? », tandis que Pascal Boniface, directeur de l'IRIS et spécialiste autoproclamé et très médiatique des « relations internationales sportives », considère dans sa Géopolitique du sport que le sport devient ainsi un symbole fort de concorde sociale, limitant les antagonismes et (re)créant des identités au sein des communautés nationales ou locales.
Pascal Boniface est d'ailleurs souvent cité dans L'idéologie sportive car le collectif « Quel sport ? » l'assimile à l'idéal-type du « chien de garde » du système politique et idéologique constitué par le « sport-spectacle de compétition », véhiculant le culte de la performance et fermant hypocritement les yeux sur les dérives du dopage industriel. Comme on le voit, la critique du sport professionnel exprimée par L'idéologie sportive est au vitriol, tel que le laisse d'ailleurs penser le sous-titre de l'ouvrage. De manière générale, tous les maux de la société (ou presque) sont concentrés dans le sport, tous les acteurs associatifs, politiques et économiques du mouvement sportif (ou ses simples défenseurs) sont attaqués au sniper par un collectif anonyme et à vrai dire assez mystérieux (le quatrième de couverture indique uniquement qu'il s'agit de la section française de la critique internationale du sport) qui conçoit le sport dans un sens large (sa vitrine professionnelle mais aussi ses pratiques d'amateurs) comme un nouvel « opium du peuple » dont l'un des buts les plus essentiels – et jamais avoué – est de détourner les masses des questions politiques et économiques les plus essentielles.
Une critique globale du système sportif
Car la critique proprement politique du sport que laisse apparaître L'idéologie sportive est en réalité l'analyse d'une « puissance matériellement dominante de la société capitaliste ». Pour rendre sa propagande efficace, le collectif « Quel Sport ? » considère que le système sportif – celui qui conduit à la production et à la marchandisation du sport professionnel tel qu'il inonde aujourd'hui tous les écrans – a besoin de véhiculer une vision du monde, renforçant l'esprit de compétition et le culte de la performance – il est d'ailleurs frappant de constater à quel point ces termes sportifs sont au cœur du management d'inspiration néolibérale. Dans l'esprit des contempteurs du sport, l'institution sportive s'appuie sur quelques relais au sein de la sphère intellectuelle afin de s'auto-légitimer et de gagner en respectabilité. Ce sont ces « sportologues », improvisés ou non (Michel Serres, Jean-Claude Michéa, Georges Vigarello, Stéphane Beaud, Alain Finkielkraut, Paul Yonnet, Pascal Boniface, Olivier Pourriol et bien d'autres), selon le terme employé par l'ouvrage, que L'Idéologie sportive cherche à dénoncer, non sans véhémence. S'en prenant vivement aux penseurs véhiculant les bienfaits du sport de compétition, issus de tous les secteurs de la culture, de la science ou de l'art, le collectif « Quel sport ? » dénonce ainsi leur aveuglement plus ou moins volontaire face aux affaires qui gangrènent le monde sportif : violence, dopage, corruption et pratiques mafieuses.
Au-delà de son ton extrêmement offensif, l'ouvrage n'est pas sans qualités argumentatives. Dans un premier temps, les auteurs proposent une vision très politique de l'univers sportif, s'inspirant de la critique marxiste et insistant sur les infrastructures socioéconomiques du système sportif. Reprenant des termes chers à la pensée alternative (« la totalité organique du sport capitaliste », « l'impérialisme du sport-spectacle de compétition », « les fonctions socio-politiques de l'opium sportif »), la grille de lecture de la sphère sportive est pensée comme globale : « il faut donc d'abord constater avec lucidité que tout se tient et que tout est déterminé par un fait majeur : l'unification du sport en un « ensemble organique » qui est un mode de production assimilé au mode de production capitaliste » . Décortiquant la « pieuvre multinationale » qu'est devenu depuis plusieurs décennies le « sport-spectacle de compétition », les auteurs se plaisent à investir le « cœur du réacteur » du système sportif, en analysant notamment le pouvoir et les scandales propres au CIO et à la FIFA. Car ce qui intéresse le collectif « Quel sport ? » n'est pas tant ce qu'expriment les résultats sportifs en tant que tels mais bien davantage les innombrables ramifications institutionnelles, économiques politiques et culturelles du sport professionnel dans un contexte de mondialisation de l'économie et de globalisation financière.
Pourtant, cette dimension de L'idéologie sportive est loin d'être la plus intéressante parce qu'elle ne surprend guère et n'apprend pas grand-chose. Sa dernière partie est véritablement la plus originale car elle en vient à critiquer « l'union sacrée sportive des partis politiques » et ne ménage aucun des acteurs de l'échiquier politique national, tous coupables, selon les auteurs, de relayer de manière faussement naïve et réellement démagogique une vision angélique du sport, en opposant notamment la sacro-sainte « réalité du terrain » (sportif) aux excès du « sport-business ». Du FN au NPA, en passant par l'UMP, l'UDI, le PS ou le PC, le sport est devenu un nouveau lieu commun du débat politique, un slogan utilisable à bons frais pour vanter le fameux « vivre ensemble » cher aux responsables politiques, un miroir aux alouettes cherchant à faire rêver à « l'émancipation sportive » – le sportif qui réussit est un arbre isolé qui cache la forêt des recalés, souvent livrés à leur piètre condition économique et sociale – et un argument pour vendre le « mythe frelaté du sport pacificateur », alors même que, selon les membres du collectif « Quel sport ? », la violence s'exprime autant sinon plus dans les terrains de proximité que dans les grands stades.
Comme on le voit, l'analyse politique du sport exprimée dans L'idéologie sportive est brute et sans nuance. Son ambition est de contribuer à une critique globale du sport par un travail théorique et idéologique (la « Théorie critique du sport ») qui doit, selon ses fervents combattants, être mené à l'échelle internationale et nationale pour combattre les méfaits d'une vision du monde et d'un imaginaire propres à notre époque postmoderne. Si l'on doit avouer que la lecture de certaines pages fait parfois froid dans le dos – on a ainsi presque l'impression de se sentir coupable d'avoir véhiculé le « nouvel esprit du capitalisme » en s'étant prêté à la simple pratique du cyclisme ou du football dans des compétitions d'amateurs... – et que la dimension totalisante de la théorie critique du sport manque de subtilité, il faut reconnaître que L'idéologie sportive est un pavé bienvenu dans l'océan de bons sentiments et de lieux communs propre au traitement médiatique du sport professionnel. Le plus grand apport de cet ouvrage est en effet de renforcer notre esprit critique qui est souvent éclipsé par l'euphorie de la victoire – que l'on pense avec un recul de plus de quinze ans au traitement médiatique de la victoire de la France à la Coupe du monde de 1998, érigée en symbole par le prêt-à-penser sportif – et les extases de la passion sportive. Quel que soit l'intérêt que l'on porte aux compétitions sportives, il faut garder à l'esprit le caractère anecdotique de ses résultats, tout en étant conscient des enjeux politiques, économiques et sociaux qu'elles charrient.
Est-il raisonnable d'aimer le football moderne ?
Partant de cette réflexion, la revue Mouvements, dans un registre un peu plus léger – ce qui ne fait pas de mal – en vient à se demander s'il est bien raisonnable d'aimer le football moderne, pratique la plus populaire et la plus emblématique du « sport-business », centré sur des icônes commerciales et plus proche du marketing et de la publicité que de l'esprit originel du mouvement sportif, si tant est qu'il ait un jour existé sous sa forme la plus pure (comme le laisse croire « l'idéologie sportive » !).
Dans un premier temps, plusieurs articles de fond traitent des « territoires du foot marchand » et montrent à quel point le football mondialisé cherche à trouver ses racines dans des identités locales. Juliette Rousseau et Jean-Charles Basson expliquent ainsi dans leurs contributions respectives que la dernière Coupe du monde au Brésil a d'abord cru pouvoir largement s'appuyer sur l'engouement légendaire des Brésiliens pour le ballon rond afin de faire accepter par les citoyens les constructions de stades pharaoniques exigés par les normes de la FIFA dans le but de maximiser et de sécuriser les ventes de tickets dans le monde entier (souvent d'ailleurs au détriment des populations locales, incapables de payer de tels montants !). Pourtant, un an avant cet événement planétaire qui se compte en milliards de téléspectateurs – seuls les Jeux Olympiques peuvent rivaliser avec une telle audience dans l'écosystème des « méga-événements » mondiaux –, lors de cette répétition générale que fut la Coupe de confédérations, organisée également par la FIFA et remportée d'ailleurs par l'équipe nationale brésilienne, des mouvements sociaux de grande ampleur, inattendus et spontanés, sont venus bouleverser le bel ordonnancement voulu par les dirigeants internationaux du football – Michel Platini, confortablement installé à la tête de l'UEFA sur les bords du lac Léman, aura ainsi un peu plus tard l'audace de demander aux Brésiliens, non sans mépris et arrogance, de se calmer et d'attendre la fin de la « fête du football » qu'est selon lui la Coupe du monde pour exprimer leur colère. Les citoyens brésiliens, que l'on croyait en effet en haut lieu (notamment au sein du luxueux siège de la FIFA, à Zurich) comme « drogués à l'opium » du ballon rond et plus prompts à danser la samba qu'à se révolter, sont ainsi descendus pendant plusieurs semaines dans les rues pour exiger plus de moyens en faveur des politiques de réduction des inégalités sociales (pour l'éducation, pour la santé et pour la redistribution des richesses), rappelant cruellement au gouvernement du Parti des travailleurs dirigé par Dilma Rousseff – même si une bonne partie de la candidature puis de l'organisation de la Coupe du monde brésilienne devait beaucoup à son illustre prédécesseur, Lula, issu du même parti – que les milliards de dollars investis dans la construction des stades ne pouvaient tenir lieu de priorité politique pour un pays en proie à des graves difficultés économiques et à un effondrement total du pouvoir d'achat de ses classes populaires et moyennes.
Plus près de nous, Barnabé Binctin consacre un article au projet de construction d'un stade géant dans la périphérie de Lyon pour l'Olympique Lyonnais de Jean-Michel Aulas, président emblématique du « foot-business » à la française depuis une quinzaine d'années, malgré un récent déclin sportif de son club. Projet dont l'utilité ne saute pas aux yeux – le stade de Gerland, au cœur de la ville de Lyon, d'une taille tout à fait respectable et répondant à toutes les normes internationales, par ailleurs l'un des plus remplis de France, est très populaire chez les supporters lyonnais –, la construction de cet « OL Land » – constitué par le stade, mais aussi par un futur centre commercial, des restaurants et des hôtels « de prestige », un centre de remise en forme, un complexe médical, un golf, un musée du sport, une piste de karting...– répond à une certaine folie des grandeurs de son président, relayée par le maire de Lyon (et président du Grand Lyon) Gérard Collomb. Dans ce dossier, l'auteur de l'article, journaliste spécialiste d'écologie, ne cache pas sa perplexité face à cet « OL Land » aux finalités largement extra-sportives et qui « semble à cet égard l'illustration parfaite d'un projet d'infrastructure aussi contre-productif que superfétatoire [car] tant dans le montage du projet que dans son financement, l'instrumentalisation du fait sportif dissimule mal les enjeux d'une opération économique incertaine au profit de quelques intérêts privés locaux » . Présenté comme une urgence en vue de l'organisation par la France de l'Euro 2016, la construction de ce nouveau complexe, calqué sur les infrastructures de clubs plus huppés tels que Manchester United ou le Bayern Munich, est par ailleurs largement financée par les pouvoirs publics, alors même qu'à la différence de la plupart des grands stades français, il sera à terme la propriété privée de l'Olympique lyonnais.
Les autres contributions à ce numéro spécial football de la revue alternative Mouvements concernent des thèmes de société largement traités également dans L'idéologie sportive. Il y est notamment question de la médicalisation de la performance dans le football moderne, ainsi que du problème de la violence – en particulier celle des supporters ultra – et des discriminations ethniques – Patrick Simon revient dans son article sur « l'affaire des quotas » de la FFF, révélée en 2011 par Mediapart – et sexuelles – deux articles traitent de manière très intéressante de la difficulté de l'émergence du football féminin dans un univers où seul le sport masculin est considéré sérieusement par les sponsors – au sein du football français.
Dans un style différent mais avec le même regard critique, L'idéologie sportive et la revue Mouvements participent ainsi d'une lecture très politique du sport moderne en investissant la complexité des rapports de forces propres à son système institutionnel et économique.
Une description par trop naïve du sport mondialisé
De ce point de vue, l'ambition de l'ouvrage Géopolitique du sport de Pascal Boniface n'est pas comparable car il ne s'agit ni d'un manifeste ni d'un pamphlet mais d'un panorama – qui se veut objectif et très descriptif – de l'importance du sport dans les relations internationales actuelles. A vrai dire, comme cela était déjà le cas dans son précédent ouvrage JO Politiques , l'analyse du directeur de l'IRIS a tendance à manquer de rigueur – l'ouvrage a sans doute été écrit trop vite et à l'aide de plusieurs autres mains (Pim Verschuuren et Carole Gomez, cités en exergue) – alors même que certains développements intéressants voire originaux (tel que, par exemple, le développement inattendu de la pelote basque dans les pays asiatiques et latino-américains comme signe de la mondialisation de pratiques sportives pourtant très ancrées territorialement) auraient mérité d'être approfondis.
Au-delà de thèmes déjà largement battus en brèche, y compris par lui-même dans ses précédents livres , concernant en particulier la mondialisation du sport en général et du football en particulier et la « multipolarisation » du sport mondial depuis quelques années – ou plutôt de certains sports car certains d'entre eux, comme le tennis, résistent à la contestation de la domination occidentale –, Pascal Boniface exprime une conviction que l'on pourrait qualifier, avec plus ou moins de sévérité, comme étant naïve : la pacification des relations internationales par le développement du sport. Si le politologue ne va pas jusqu'à croire qu'un match de football puisse avoir le pouvoir d'évoluer sur des relations conflictuelles – il considère tout de même, et sans doute à raison pour une part, que la « diplomatie du ping pong » a permis aux Chinois et aux Américains de se parler lorsque la Guerre froide était à son paroxysme –, Pascal Boniface croit en la capacité du sport à rapprocher, dans un cadre réglementé, des communautés nationales qui, sur le terrain de la diplomatie classique, ne parviennent plus à s'entendre. Loin des critiques adressées par les auteurs de L'idéologie sportive à la toute puissante FIFA ou au non moins tentaculaire CIO (notamment au sujet de leur corruption), le panorama dressé par la Géopolitique du sport a tendance à faire de ces acteurs des relais de la « diplomatie sportive » et des organismes concourant à une pacification des relations internationales, par les rencontres fréquentes entre fédérations, que ce soit sur les terrains de jeu ou en dehors, dans les cénacles des « bureaucrates » des institutions nationales ou internationales du sport.
Comme on le voit, même s'il ne nie pas le caractère proprement politique du sport de compétition (il évoque de nombreux cas bien connus d'instrumentalisation du sport au service du pouvoir politique, en particulier lors des Jeux Olympiques de Berlin de 1936 ou pendant la Coupe du monde de 1978 en Argentine), Pascal Boniface est un fervent défenseur des valeurs « originelles » du « mouvement sportif » et conçoit le spectacle à grande échelle qu'est devenu le sport moderne comme un outil de paix, alors même que sa création relevait de la volonté de trouver un substitut à la guerre (les Jeux olympiques furent d'ailleurs remplacés par des « jeux patriotiques » à visée militaire pendant la Première guerre mondiale en France). Développant cette idée, le géopolitologue considère que le sport contribue à recréer pacifiquement des identités nationales et/ou locales fortes et, alors que la mondialisation a tendance à effacer ces identités, à ressouder les communautés autour d'un projet fédérateur. Spécialiste de la puissance et de stratégie, le directeur de l'IRIS va jusqu'à considérer l'équipe de football et le maillot sportif national comme un vecteur de souveraineté dans les relations internationales, légitimant ainsi les lourds efforts financiers fournis par les pays émergents et les BRIC (essentiellement le Brésil, la Russie et la Chine, l'Inde restant aux yeux de Boniface l'idéal-type du « nain sportif » sur le plan mondial, à l'exception notable du cricket) pour renforcer leurs résultats sportifs sur la scène internationale, comme l'ont illustré les premières places remportées par les pays organisateurs lors des Jeux Olympiques de Pékin de 2008 ou de Sotchi en 2014.
Pour illustrer ce propos, qui fait bondir les tenants de la « critique internationale du sport », Pascal Boniface consacre plusieurs chapitres aux diplomaties sportives de plusieurs acteurs emblématiques de la scène sportive mondiale. Sans grande surprise, il s'attarde ainsi sur l'exemple américain, la seule superpuissance encore incontestée du sport-business – si l'on exclut la sphère footballistique ou le rugby – mais s'attache également à des exemples sans doute moins connus, bien que de plus en plus actuels, tels que l'Inde (décrite comme l'archétype de la « sous-puissance sportive », malgré son poids démographique et son effort récent pour y développer le football) ou le Qatar.
Il convient de s'intéresser justement sur la manière dont Pascal Boniface s'intéresse à ce pays car cela révèle toutes les limites de sa description trop peu critique des mécanismes institutionnels du sport moderne. Petit pays – avec la même superficie que la Corse – sur la carte, le Qatar, comme on le sait, assoit sa puissance économique sur ses ressources pétrolières et financières, ce qui lui a permis de développer, malgré ses conditions climatiques extrêmement défavorables au sport de plein air, un championnat professionnel de football attirant d'anciennes gloires à la recherche de salaires astronomiques (sinon de défi sportif) et, surtout, de se voir attribuer par la FIFA, non sans polémiques et soupçons de scandales de corruption, l'organisation de la Coupe du monde en (hiver) 2022. Pour Pascal Boniface, cette diplomatie sportive du Qatar, qui passe également par le rachat ou le sponsoring de clubs européens (tel que le PSG en France), est un pari gagnant qui permet à ce pays de gagner en visibilité et en respectabilité et à la FIFA d'élargir le champ (et surtout le marché juteux) des méga-événements sportifs à un pays arabe et musulman. Si l'on est parfois surpris par le ton comminatoire de L'idéologie sportive, il faut reconnaître ici que la complaisance de Pascal Boniface vis-à-vis du sport-business est pour le moins troublante, comme on peut en juger par ce développement hasardeux : « L'extrême visibilité du Qatar a […] suscité, notamment en France, un Qatar bashing. C'est un peu le revers de la médaille. Mais, au final, le Qatar sort gagnant de son engagement. Il est désormais un acteur mondial qu'il n'est plus possible d'ignorer » . En bon réaliste des relations internationales, Pascal Boniface décrit ainsi froidement la stratégie politico-économique d'un pays qui, par ailleurs, comme il le rappelle de manière trop allusive, est peu regardant sur la condition des travailleurs immigrés des chantiers de construction des stades de la Coupe du monde, dont les décès sur leurs lieux de travail se comptent par dizaines au fil des mois. Quant aux questions de corruption, l'un des maux essentiels des instances sportives mondiales, Pascal Boniface les survole le plus facilement du monde d'un revers de manche : « Une grande partie des réactions négatives au choix du Qatar vient d'une difficulté, pour une grande partie des élites occidentales, à saisir les conséquences réelles de la mondialisation. Des accusations de corruption ont été lancées contre le Qatar après l'obtention de l'organisation de la Coupe du monde de football 2022. Dans le passé, l'attribution des Jeux Olympiques et de la Coupe du monde a souvent été accompagnée de ce type d'accusations, émanant des perdants bien sûr » .
Cet aveuglement et cette absence de regard critique sur les faces les plus sombres (ou à tout le moins les plus cachées) du sport professionnel – ce qui n'empêche pas d'apprécier et de pratiquer le sport par ailleurs, n'en déplaise aux tenants de la « critique internationale du sport » – constitue bel et bien, comme le dénonce de manière vindicative les auteurs de L'idéologie sportive, la plus grande faiblesse de la Géopolitique du sport de Pascal Boniface, livre qui, par ailleurs, comporte des analyses intéressantes sur les différents acteurs du paysage sportif mondial actuel. A trop vouloir décrire de manière soi-disant objective les ressorts de cette géopolitique sportive, il tombe en effet dans les travers de la fausse naïveté vis-à-vis d'acteurs institutionnels (FIFA, CIO) et/ou étatiques qui, dans la diplomatie sportive comme dans les relations internationales, de manière générale, peuvent être difficilement assimilés à des acteurs désintéressés voire à des philanthropes, malgré tous les slogans marketing des grandes compétitions mondiales vendues comme des odes à la paix mondiale. Pascal Boniface, en bon connaisseur de la scène internationale, ne pouvait pourtant pas ignorer que l’organisation pacifique des JO de Sotchi par Vladimir Poutine, dans lesquels il avait investi des dépenses colossales, ne l'a pas empêché de décider au même moment de l'invasion militaire de la Crimée, sans que le bel « outil de paix » qu'est le CIO n'y trouve rien à redire