Sur fond de fraternité, d’idéologie et de sport, La patrie des frères Werner retrace le parcours de deux frères au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans une Allemagne partagée

Après le succès de leur première bande dessinée, Le voyage de Marcel Grob (Futuropolis, 2018), Prix Historia de la meilleure bande dessinée historique en 2019 et Prix Découverte (Prix des lycées) à Angoulême en 2020, Philippe Collin et Sébastien Goethals poursuivent leur exploration de l’histoire allemande contemporaine post-Seconde Guerre mondiale. Une mosaïque de récits individuels qui se croisent, se mélangent, se complètent, et construisent l’Histoire. 8 mai 1945, au lendemain de la capitulation inconditionnelle des forces allemandes, Konrad et Andréa, deux jeunes juifs orphelins de guerre, fuient les ruines de Berlin. Leur destin les mène à Leipzig où ils survivent en marge du monde des adultes. Capturés par des agents de la Stasi, ils deviennent agents de la police secrète de la République démocratique allemande. Dans les années soixante, à la suite d’un échec lors d’une mission, leur séparation est inévitable : Konrad est envoyé à l’Ouest alors qu’Andréa demeure à l’Est. Les retrouvailles auront lieu à l’occasion d’un match de football, lors de la coupe du monde 1974, organisée par la République fédérale allemande. Au-delà de l’opposition sportive entre deux sœurs ennemies, les enjeux politiques auront de terribles conséquences…

Second album du scénariste, producteur de télévision et de radio (Personne ne bouge sur ARTE et L’œil du tigre sur France Inter) Philippe Collin et du dessinateur Sébastien Goethals, La patrie des frères Werner s’inspire à nouveau de l’histoire allemande contemporaine. Les auteurs abordent cette fois-ci l’après-guerre, de 1945 à 1974, et proposent un récit dans lequel le drame du romanesque recouvre la réalité. Un cahier pédagogique et une bibliographie finale, documentés par Fabien Archambault, maître de conférences à l’université de Limoges, sont des outils précieux pour comprendre les faits présentés dans l’ouvrage, et offrent la possibilité aux lecteurs de poursuivre leur découverte (ou redécouverte) des soubresauts de l’histoire allemande, mais aussi européenne et mondiale. La vraisemblance du récit est soignée et le lecteur est emporté dans un moment de plaisir instructif. La trame narrative est bien construite. Nous suivons l’évolution des personnages depuis leur enfance jusqu’à l’âge adulte, et leur parcours semé d’embûches résonne comme une métonymie des deux Allemagne : d’un côté la République fédérale allemande, Allemagne de l’Ouest, capitaliste et libérale, de l’autre, la République démocratique Allemande, Allemagne de l’Est, socialiste. Alors que les frères ne font qu’un au début du récit, les jeux et les idéologies politiques les éloignent, soulignant leur humanité. L’identification du lecteur est facilitée par l’expression du doute et le vacillement des certitudes ; certains se sentiront sûrement plus proches de Konrad tandis que d’autres auront une plus grande empathie pour Andréa.

Durant cette dixième édition de la coupe du monde de football, le match opposant la RFA et la RDA revêt une saveur particulière. Plutôt une partie d’échecs, à onze contre onze, dans laquelle les pions sont les joueurs, car il s’agit d’une finale politique, symbolique et non plus sportive. L’enjeu est clair, la suprématie d’un système politique sur l’autre : gloire au vainqueur et honte au vaincu. Ce livre démontre une nouvelle fois que le sport en général, et le football en particulier, est un formidable outil du soft power. Les deux frères de sang se trouvent, bien malgré eux, embarqués au cœur d’un combat qui les dépasse, un antagonisme politique qui rejaillit sur la fratrie. La patrie des frères Werner est de très bonne facture. Dès les premières cases, l’histoire captive le lecteur qui prend plaisir à remonter le cours de l’Histoire. Le scénario rythmé et le dessin très soigné apportent beaucoup de dynamisme. Les personnages sont expressifs, et la galerie dessinée est suffisamment ample pour bien représenter les différents acteurs de la période sans pour autant perdre le lecteur : Jürgen Sparwasser le buteur boute-en-train de la RDA, Paul Breitner le défenseur romantique de la RFA, le « kaiser » Franz Beckenbauer au pragmatisme froid, le colonel Gronau de la Stasi et Steffi la directrice de l’hôtel ouest-allemand. La gamme chromatique, gris et sépia, permet un retour dans le passé fort savoureux comme si nous feuilletions les pages jaunies d’un album familial.

La patrie des frères Werner est un bel album à la fois pour les amoureux de l’Histoire et pour les amateurs du ballon rond. Le récit comporte tous les ingrédients pour passer un bon moment de lecture entre action, passion, politique et trahison ; une guerre froide vintage.