L’Italie se serait-elle lancée à la conquête des librairies de l’Hexagone ? Les romans d’Elena Ferrante y semblent indétrônables, les textes de l’historien Carlo Ginzburg font toujours un peu d’ombre à leurs voisins. Les opuscules et les sommes de Giorgio Agamben se succèdent ou s’accumulent à un rythme frénétique sur les étals, où ils semblent séduire un nombre de lecteurs inhabituel pour une philosophie d’accès difficile. Bref, il n’y a pas de doute : l’énigme littéraire posée par le pseudonyme de l’une (?) fascine autant que la microstoria de l’autre, et que l’archéologie philosophique du troisième.

Ils ne sont pas les seuls : portés par des éditeurs (Verdier, L’éclat…) ou par des figures assurant les rôles de pionniers et de passeurs, c’est toute une foule d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes jusque-là peu connus du grand public francophone que l’actualité éditoriale donne aujourd’hui à découvrir. Alessandro Baricco, Antonio Moresco ou Elena Ferrante côté roman ; Aldo Schiavone, Giacomo Todeschini ou Alessandro Barbero côté histoire ; Paolo Virno, Furio Jesi, ou d’une autre manière Emanuele Coccia en philosophie : les lecteurs voient apparaître comme un nouveau territoire de la pensée.

Les nouveaux venus rapportent dans leur bagage le souvenir d’ancêtres plus ou moins oubliés : les romans bouleversants d’Elsa Morante ou ceux, inavouables, de Curzio Malaparte ; les recherches historiques et historiographies monumentales de l’inépuisable Arnaldo Momigliano ; les pensées souvent redites au présent du père refondateur Antonio Gramsci… Sur l’ensemble plane aussi l’ombre de Pasolini, qu’on ne cesse de redécouvrir, alors que les écrans français voient renaître un cinéma italien redevenu incontournable avec les succès publics et critiques de Gomorra, Habemus Papam, La Grande Bellezza, Suburra, Youth, Mia Madre et tant d’autres films encore.    

Nonfiction a donc décidé de consacrer un dossier à cette actualité intellectuelle, littéraire, artistique et éditoriale. Y a-t-il pourtant quelque-chose comme une « italianité » qui justifierait d’embrasser d’un même regard des travaux et des œuvres parfois si différents ? A chacun d’en juger. Certains retrouveront peut-être des motifs dans les théories des uns et dans les images des autres – un certain regard social sur le peuple et ses élites, sur l’échelon individuel de la vie politique, une certaine manière d’engager la pensée dans la cité, ou encore un rapport original à l’écriture et à l’oralité, au fragment et à l’œuvre… D’autres n’y verront peut-être qu’une contingence géographique situant sur un territoire trop resserré des intellectuels et des artistes dont les œuvres résistent à la logique des frontières. Chacun aura sans doute raison, et Nonfiction n’a qu’une certitude : lire et voire cela, ça vaut le coup.

Nous publierons un article chaque mercredi.

 

PHILOSOPHIE

Giorgio Agamben, Qu'est-ce que la philosophie ?, par P.H. Ortiz

     Toutes nos critiques de Giorgio Agamben

Furio Jesi, Spartakus. Symbolique de la révolte, par S. Minelli

Paolo Virno, L'usage de la vie et d'autres sujets d'inquiétude, par S. Minelli

Collectif, Differenze italiane. Politica e filosofia : mappe e sconfinamenti, par L. Pisano

CollectifL'Italian Theory existe-t-elle ?, par P.H. Ortiz

Entretien avec Davide Luglio, Le style de la pensée italienne, propos receuillis par P. Gentile et S. Minelli

 

HISTOIRE

Aldo Schiavone, Ponce Pilate. Une énigme entre histoire et mémoire, par P.-H. Ortiz

Aldo Schiavone, À la recherche de Spartacus, par P. Ducret

Alessandro Barbero, Barbares : Immigrés, réfugiés et déportés dans l'Empire romain, par S. Crouzet

Giacomo Todeschini : à propos de Richesse Franciscaine et d'autres livres, par F. Besson

Carlo Ginzburg, Mythes emblèmes traces. Morphologie et l'histoire, par P.H. Ortiz

     Toutes nos critiques de Carlo Ginzburg

 

ANTHROPOLOGIE, PSYCHOLOGIE, RELIGION...

Ernesto de Martino, La fin du monde : essai sur les apocalypses culturelles, par C. Ruby

Entretien avec Massimo Recalcati : Van Gogh, la suppléance et la psychose, par E. Le Mée

Entretien avec Vito Mancuso, « La doctrine chrétienne ne peut survivre que si elle évolue », par E. Martelli

 

LITTERATURE ET ARTS

Romans

Elena Ferrante, Celle qui fuit et celle qui reste. L’Amie prodigieuse III, par A. Coudreuse

Elena Ferrante, Le nouveau nom, par A. Coudreuse

Antonio Moresco, Les incendiés, par M. Emel

Alessandro BariccoLa jeune épouse, par A. Pollin

Luca Rastello, Sur la pointe des pieds, par E. Martelli 

 

Essais

Roberto Saviano, Gomorra. Dans l'empire de la Camorra, par A. Aubert

Curzio Malaparte, Mémoires de guerre. La Volga nait en Europe, par V. Bouyx 

     Toutes nos critiques de Curzio Malaparte

 

Etudes littéraires

Valérie Nigdélian-Fabre, Pétrole de Pasolini. Le poème du retour, par E. Sciarrino 

Manuele GragnolatiAmor che move (langage du corps et forme du désir chez Dante, Pasolini et Morante), par F. Bourlez

 

Théâtre :

Daria Deflorian, Antonio Tagliari, Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, par R. Bardon

Entretien avec Daria Deflorian et Antonio Tagliari, autour de Ce ne andiamo... et Il Cielo non e un fondale, par R. Bardon

Romeo Castellucci, Ethica, Origine e Natura della mente, par N. Margotteau

Pier Paolo Pasolini, Affabulazione, par A. Dorey

Curzio Malaparte, Kaputt, par P.H. Ortiz

 

Cinéma :

Mauro Carbone, Jacopo Bodini (dir.), Voir selon les écrans, penser selon les écrans, par M. Emel

Marco Tullio Giordana, Piazza Fontana, par F. Champy

Bernardo Bertolucci, Mon obsession magnifique, par G. Sapio

Collectif, Michelangelo Antonioni. Anthropologue de formes urbaines, par A. Scoffier

 

Arts :

Giovanni Lista, Qu'est-ce que le futurisme ?, par V. Giroud