Résultat d'une grande enquête à travers le monde sur la perception citadine de la qualité de vie, ce livre témoigne de l'intérêt grandissant pour les préoccupations environnementales en milieu urbain.

Pendant longtemps, la ville a été considérée comme un problème du point de vue environnemental. Les villes, qui regroupent la moitié des habitants de la planète, ne contribuent-elles pas à deux tiers de la consommation mondiale d’énergie et à trois quarts des émissions de gaz à effet de serre ? Pourtant, la ville est aujourd’hui parfois érigée en solution, grâce à une transition potentielle des modes de vie et des infrastructures vers des sociétés post-carbones. Mais les habitants des mégalopoles sont-ils soucieux de la protection de l’environnement ? Les grands enjeux environnementaux, pollutions des eaux, changement climatique ou encore gestion des déchets, vont-ils conduire à transformer les modes de vie urbains ? Par quelles actions et via quels acteurs, les citadins pensent-ils pouvoir modifier leurs impacts sur l’environnement ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par cet ouvrage, dirigé par Julien Damon, qui rend compte d’une vaste enquête réalisée avec l’appui de l’observatoire Veolia des modes de vie urbains. Cette enquête, deuxième pilotée par cet observatoire, a été menée auprès de 7000 personnes dans sept des trente plus grandes villes du monde, Bombay, Le Caire, Chicago, Londres, Paris, Pékin, São Paolo. Certaines enquêtes ont été menées en face-en-face, d’autres par Internet, ce qui peut modifier quelque peu les résultats. 

L’ouvrage est présenté de manière originale. Au début de l’ouvrage un premier chapitre présente les résultats de l’enquête (Philippe Méchet et Emmanuel Rivière), un deuxième les confronte aux résultats d’autres enquêtes internationales auprès des habitants (Julien Damon). A la fin de l’ouvrage, sont présentées vingt réponses d’experts sur les liens entre ville et environnement dans le monde. Au milieu, différentes contributions proposent une lecture des résultats selon différents angles d’analyses, philosophiques (Thierry Paquot), sociologiques (Pierre-Yves Cusset, Cyria Emialianoff, François Cusin, Julien Damon), urbanistiques (Eric Charmes) ou encore prospectivistes (François de Jouvenel). 

Les lieux d’enquête sont très différents par leur poids démographiques (près de 20 millions pour Bombay, environ 8,6 millions pour Londres), mais surtout par leurs niveaux de vie. Calculés à partir des « produits urbains bruts » en parité de pouvoir d’achat, ceux-ci s’échelonnent en 2008 entre 145 dollars au Caire et 574 à Chicago. Le degré d’inégalité sociale est aussi très disparate et les deux extrêmes sont Pékin d’un côté et São Paolo, très inégalitaire, de l’autre. Les problèmes environnementaux s’y manifestent différemment selon les villes : Paris connaît des épisodes caniculaires, Bombay des pluies torrentielles, Pékin des tempêtes de sables, Londres des pluies subites, Chicago des changements brutaux de température, Le Caire des tempêtes de sable. Pourtant, des similitudes apparaissent entre les villes. Les gens sont satisfaits de vivre en ville. Toutefois, s’ils sont très nombreux à vouloir que leurs enfants et petits-enfants habitent leur ville à Pékin et au Caire, ils sont plus dubitatifs à Londres et à Paris. Les enquêtés sont très attachés à la voiture, partout, surtout à Chicago et Sao Paolo, mais le souhait, partout majoritaire, est de voir la place de l’automobile réduite en ville, avec des zones interdites et des voies réservées aux autobus. Ce souhait est même tout juste majoritaire à Chicago. On retrouve cette aspiration commune à une réduction de la place de l’automobile, même si le niveau d’attachement reste élevé, dans les réponses à une question sur le moyen de transport qu’il faudra développer en priorité dans les prochaines années. Jamais l’automobile n’est citée en premier ou en deuxième. Partout, les gens pensent qu’il faudra changer de modes de vie pour la protection de l’environnement. A qui les gens font-ils confiance pour améliorer l’environnement ? Dans toutes les villes, ce sont d’abord à eux-mêmes, puis dans les associations humanitaires ou organismes non gouvernementaux, qu’ils font confiance. Si les institutions locales sont souvent jugées plus efficaces que les gouvernements nationaux, partout (sauf au Caire) les enquêtés font davantage confiance aux entreprises de services collectifs (eau, déchets, transport) qu’aux institutions publiques pour améliorer l’environnement. 

Au final, habitants des villes riches et habitants des villes pauvres se distinguent peut-être moins par le souci qu’ils accordent à l’environnement et aux solutions qu’ils préconisent, qu’à leur optimisme vis-à-vis de l’amélioration de l’environnement. Les citadins vivant dans les pays développés (Londres, Paris, Chicago) font preuve d’une vision assez négative de l’avenir. Bombay et Pékin se singularisent par l’optimisme le plus élevé. Certes, François de Jouvenel note que si 80 % des Londoniens pensent que dans les dix ans qui viennent la qualité de la ville ne va pas s’améliorer, cela peut être liée au fait qu’elle est déjà très élevée et peut-être 86 % des Pékinois pensent-ils qu’elle va s’améliorer parce qu’elle pourrait difficilement être pire ….

Ce livre apporte des éclairages nouveaux sur les opinions des habitants des grandes villes. Pour mieux comparer le point de vue des décideurs, la part des experts des pays émergents aurait pu être plus importante parmi les personnes interrogées dans la dernière partie de l’ouvrage. On pourra également regretter que l’appréhension des questions environnementales par les citadins ne soit pas replacée plus intimement dans leurs contextes culturels spécifiques. Mais ce livre offre une enquête originale sur les modes de vie et l’environnement et révèle une sensibilité écologique partagée par les habitants des différentes métropoles. Si une entreprise comme Veolia s’y intéresse, c’est qu’il ne s’agit déjà plus des "signaux faibles" émis par quelques avant-gardistes, mais d’une transformation qui s’annonce puissante des modes de vie urbains. Transformation jusqu’où et dans quel but ? A suivre !

 

A lire aussi dans le dossier de nonfiction.fr sur la politique de la ville : 

 

-    Un décryptage du New Deal urbain du PS, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Nathalie Perrin-Gilbert, secrétaire nationale du Parti socialiste au Logement, par Lilia Blaise et Pierre Testard. 


-    Une analyse des rapports entre politique de la ville et politique d'intégration, par Quentin Molinier.


-    Un bilan du Plan Espoir Banlieues, par Charlotte Arce.

 

-    Un point de vue de David Alcaud.

 

-    Une interview de Grégory Busquet, par Lilia Blaise.


-    Une interview de Jacques Donzelot, directeur de la collection "La ville en débat" (aux PUF), par Xavier Desjardins.


-    Un entretien avec Didier Lapeyronnie, sociologue, par Xavier Desjardins.

 

Des critiques des livres de :



-    Christophe Guilluy, Fractures françaises, par Violette Ozoux.


-    Hugues Lagrange, Le déni des cultures, par Sophie Burdet.


-    Joy Sorman et Eric Lapierre, L’inhabitable, par Tony Côme.


-    Jean-Luc Nancy, La ville au loin, par Quentin Molinier.


-    Denis Delbaere, La fabrique de l’espace public. Ville, paysage, démocratie, par Antonin Margier.


-    Rem Koolhaas, Junkspace, par Antonin Margier.


-    Hacène Belmessous, Opération banlieues. Comment l’Etat prépare la guerre urbaine dans les banlieues, par Antonin Margier.


-    Michel Agier, Esquisses d’une anthropologie de la ville. Lieux, situations, mouvements, par Antonin Margier.

 

A lire aussi sur nonfiction.fr :

 

Le vieillissement de la population est-il un obstacle à l'alternance politique en 2012 ?, par Matthieu Jeanne.