Olivier Roy signe un ouvrage pédagogique qui reprend ses principales thèses et propose une lecture critique de l'actualité du Moyen-Orient. Une excellente entrée en matière.

Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, a élaboré dans ses précédents ouvrages sa thèse sur l'échec de l'Islam politique et les recompositions en cours au Moyen Orient. Ce dernier opus reprend et redéveloppe ses thèmes de prédilection dans des termes plus ou moins identiques à ses articles et ouvrages antérieurs. A l'aide de l'actualité internationale le chercheur vulgarise et conforte ses thèses. Son livre s'articule autour de quatre grands pôles : l'attitude des Etats-Unis et leur vision du Moyen-Orient ; les évolutions stratégiques au sein du Moyen-Orient ; l'Iran et la bombe ; le réseau Al Qaida.


L'Irak.

    Le livre s'ouvre sur un décryptage des fondements idéologiques de l'intervention en Irak. Olivier Roy renvoie dos à dos des thèses assez répandues : ce ne sont ni les intérêts pétroliers, ni le lobby pro-israélien, ni la conviction de trouver des armes de destruction massive qui ont conduit le gouvernement américain à attaquer l'Irak. Il montre comment la lecture idéologique de la démocratisation du Moyen-Orient « par le bas » ou Grand Moyen-Orient, a pu conduire à sous-estimer les apories d'un tel projet - ce qu'Olivier Roy avait pourtant annoncé à plusieurs reprises dans ses articles, comme il le rappelle ici. La volonté de démocratisation affichée par le gouvernement américain reposait sur une vision universaliste : un même modèle, celui de la puissance de la société civile et de la libéralisation, devait mener logiquement à une demande démocratique. Or cette vision présentait de nombreux effets pervers, et un refus quasi-utopiste de prendre en compte les différences structurelles entre l'Irak de Saddam Hussein et l'Allemagne de l'après Seconde Guerre mondiale.


Recompositions régionales.

L'échec de l'intervention américaine l'amène naturellement à s'interroger sur les recompositions et l'avenir régional. Ce chapitre est l'occasion de refaire un point presque pédagogique sur les différences profondes entre l'islam politique, territorialisé et un islamisme déterritorialisé, mondialisé. La première évolution importante des dernières décennies est l'échec du panarabisme qui trouve une prolongation dans des mouvements panislamistes. Ces derniers évoluent à leur tour et échappent souvent au contrôle de leurs fondateurs, comme le salafisme avec l'Arabie Saoudite. La seconde évolution majeure concerne les relations entre chiites et sunnites. La révolution islamique en Iran a été un premier grand bouleversement dans l'équilibre entre ces deux branches de l'Islam. Aujourd'hui, l'éclatement de l'Irak et le succès du Hezbollah contre Israël ont causé un profond retournement. L'analyse d'Olivier Roy va plus loin et perçoit les relations entre chiites et sunnites de façon plus complexe, voyant au-delà d'un simple clivage religieux. En fonction d'autres allégeances, des intérêts économiques, locaux ou nationaux, il observe une ethnicisation du clivage. Le rôle de l'Iran devient primordial dans ce nouveau contexte. Ses ambitions de puissance régionale sont réaffirmées, mais il est coincé entre deux stratégies concurrentes et contradictoires : la carte du front anti-israélien, et la carte de l'axe chiite. A terme, un choix devra se faire qui conditionnera la place de l'Iran.


Al Qaida.

Le livre s'achève sur une rapide étude d'Al Qaida, qui ressemble à un passage obligé plus qu'elle ne s'intègre logiquement dans le fil de l'analyse. A nouveau, les propositions de l'auteur sont celles qu'il a déjà défendues à de multiples reprises. Il termine d'ailleurs sur une recommandation déjà faite mais utile à rappeler : il ne faut pas voir le monde au travers du prisme d'Al Qaida, afin de ne pas leur donner cette force. Il relève, à toutes fins utiles, qu'on ne peut proposer une solution territorialisée à un terrorisme globalisé et déterritorialisé. Ce mouvement doit donc être pris pour ce qu'il est : un réseau d'acteurs qui agissent de façon plus ou moins indépendantes mais ne pèsent pas vraiment dans les conflits locaux qu'il essaie de parasiter.

 Les analyses proposées dans ce livre sont intéressantes car elles permettent de faire un point sur la situation au Moyen-Orient, sans céder à la facilité ou à une étude superficielle. Olivier Roy explique de façon approfondie les dynamiques internes, en utilisant comme à son habitude de nombreux exemples pour étayer ses idées. La nouveauté est plutôt à chercher dans la forme que dans le fond, avec un réel souci pédagogique, qui est un parti pris de la collection « Tapage ». Des couleurs vives, un texte aéré et un sommaire simple visent à faciliter l'accès à la thèse de l'auteur. L'objectif affiché est de « troubler la tranquillité » des lecteurs, et, sans doute d'élargir le lectorat habituel à toute personne désireuse d'avoir une lecture critique de l'actualité. Pour autant, on peut douter de l'effet « tapage » de ce livre, qui n'est qu'une reprise actualisée et vulgarisée des thèses de l'auteur. Cette constance est bien sûr positive, les idées d'Olivier Roy méritant d'être réexaminées et connues. On s'interroge seulement sur l'intérêt d'un nouveau livre sinon pour alimenter un buzz limité à l'auteur et ses lecteurs fidèles.


À lire également :

* Sur les relations Occident / Islam :

- La critique du livre de Gilles Kepel, Terreur et Martyre (Flammarion), par Frédéric Martel.
(Malgré un air de 'déjà vu', Gilles Kepel dévoile et démêle avec brio les fils de l'"Orient compliqué").

- La critique du livre de Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations (Seuil), par Youssef Aït Akdim.
(Dans Le rendez-vous des civilisations, le démographe Youssef Courbage et l’historien Emmanuel Todd rament à contre-courant du discours majoritaire sur le "choc des civilisations". Louable, mais peu convaincant).

- Un débat entre Régis Debray et Élie Barnavi sur les rapports interreligieux au Proche-Orient, par Bastien Engelbach.


* sur le Proche et Moyen-Orient :


- La critique du livre dirigé par Sabrina Mervin, Les mondes chiites et l'Iran (Karthala), par Thomas Fourquet.
(Cet ouvrage, publié sous la direction de Sabrina Mervin, met en évidence la diversité et la vitalité du chiisme aujourd'hui).

- La critique du livre de François Hesbourg, Iran, le choix des armes ? (Stock), par Thomas Richard.
(Un petit livre d’actualité. Avec toutes les qualités et les défauts inhérents à ce type d’ouvrage. C’est la formule par laquelle on peut résumer ce Choix des armes).

- La critique du livre d'Henri Laurens, Orientales (CNRS), par Nejmeddine Khalfallah.
(Une réédition en un volume de l’œuvre phare d’Henry Laurens, plus que jamais d’actualité, à propos des rapports entre l'Europe et l'islam).

- La critique du livre de Gilbert Achcar et Noam Chomsky, La poudrière du Moyen-Orient (Fayard), par Thomas Fourquet.
(La poudrière du Moyen-Orient retranscrit un dialogue tenu en janvier 2006 au MIT entre Noam Chomsky et Gilbert Achcar, où ont été évoqués les problèmes de cette région. Un livre qui fournit matière à débat).

- La revue de presse à propos de Kanan Makiya, par Laure Jouteau.


* Sur les néo-conservateurs américains et la politique étrangère américaine :

- La critique du livre de Marc Weitzmann, Notes sur la terreur (Flammarion), par Éric l'Helgoualc'h.
(Un romancier parcourt le monde de l'après 11 septembre et s'interroge sur son soutien à la guerre en Irak).

- La critique du livre de Susan George, La pensée enchaînée. Comment les droites laïques et religieuses se sont emparées de l'Amérique (Fayard), par Romain Huret.
(Susan George explore les raisons de l'hégémonie conservatrice aux Etats-Unis. Si le constat est juste, l'explication reste partielle).

- La revue de presse à propos de l'article de Parag Khanna paru dans le New York Times "Waving goodbye to hegemony", par Frédéric Martel.

- L'article à propos du décès de William F. Buckley Jr., intellectuel conservateur américain et fondateur du magazine National Review, par Vassily A. Klimentov.

- L'article à propos de Joseph Nye : "Un 'smart power' encore à définir", par Michael Benhamou.


* Sans oublier :

- La critique du livre de Robert Castel, La discrimination négative (Le Seuil), par Jérémie Cohen-Setton.
(Un bon livre sur la discrimination, les minorités et la crise des banlieues qui recadre un débat souvent marqué par des digressions stériles).


- "Les primaires américaines en continu"