Cinq ans ont passé depuis les soulèvements, d’ampleur inédite, qui ont secoué le monde arabe en 2011. Les mobilisations de masse qui ont eu lieu en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Libye, au Maroc, en Algérie, à Bahrein, au Yémen... paraissaient porter et être portées par un souffle d'espoir en une société plus juste, et elles ont provoqué une forte empathie dans les médias occidentaux. La chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte ont été les symboles de la possible libération des régimes autoritaires en place depuis des décennies. Ces mouvements ont aussi eu un grand retentissement car une nouvelle forme de révolte semblait surgir : c’étaient toutes les classes sociales, et aussi bien les militants de longue date que les individus n’ayant jamais manifesté, portant toutes sortes de revendications, qui sont descendus dans les rues et ont occupé les places. Par la suite, les mouvements Occupy Wall Street, les Indignados espagnols ou les occupants de la place de Gezi à Istanbul se sont d’ailleurs référés explicitement aux soulèvements tunisien et égyptien, et certains parlent aujourd’hui de « démocratie de la place publique » pour définir ces nouvelles formes de la lutte politique.

 

La lecture de ces événements doit donc articuler plusieurs échelles : si le syntagme « printemps arabes » invite à analyser les mouvements au sein du « monde arabe » comme relevant d’une dynamique commune ou du moins de tendances comparables, une lecture à l’échelle mondiale est aussi possible, qui fait le lien entre la crise économique de 2008 dans un monde de plus en plus globalisé et interdépendant, et les révoltes « de la place ». Une telle lecture ne peut cependant pas négliger le fait que le monde arabe (et a fortiori la scène mondiale) n’est pas un bloc monolithique, chaque pays étant caractérisé par un héritage politique singulier, par des données démographiques spécifiques, ou encore par une importance variable dans l’échiquier géostratégique.

 

D’autre part, si les mouvements ont eu un grand écho en 2011, alors qu’ils semblaient avoir ouvert un nouveau « champ du possible » dans le « monde arabe » et même au-delà, les accents pessimistes n’ont pas tardé à se faire entendre. Dès 2012, on a entendu parler, après les « Printemps arabes » (rappelant les Printemps des peuples de 1848), d'« hiver islamiste », ou d'« hiver » tout court. Aujourd’hui, cinq ans après, la guerre sévit en Syrie, en Libye et au Yémen. En Égypte, le régime militaire du président al-Sissi, au pouvoir depuis 2014, s’est révélé encore plus autoritaire  que celui de Moubarak... Pour la plupart, les révoltes semblent avoir échoué, laissant place à des réactions contre-révolutionnaires comme en Égypte, ou au chaos de la guerre comme en Syrie.

 

Après de tels retournements, à cinq ans de distance, on discerne sans doute un peu mieux les enjeux des soulèvements et les intérêts des acteurs, les dynamiques et les tendances qui échappaient encore aux observateurs de 2011. Mieux comprendre les impasses et les échecs des Printemps arabes, c’est peut-être aussi se donner les moyens d’envisager un avenir possible des mouvements pour la justice et la liberté. Car ceux-ci n’ont pas disparu, gelés dans un prétendu « hiver » : il suffit, pour s’en convaincre, de lire le dossier « Polyphonies syriennes » sur les intellectuels, artistes et écrivains syriens en exil à Paris qui continuent de lutter.

 

Cinq ans après, donc, Nonfiction vous propose de revenir sur les « Printemps arabes », en alliant les approches analytiques et artistiques, pour relire les révolutions arabes à différentes échelles – nationale, régionale, mondiale – et selon différentes temporalités – de l’analyse des événements qui se sont succédés très rapidement au cours de l’année 2011 aux études des dynamiques structurelles de l’évolution historique sur le temps long. Pour prendre toute la mesure de l’évolution de ces regards comme des nôtres, un volet du dossier reprend d’autre part les articles sur les « Printemps arabes » parus sur Nonfiction depuis 2011.

 

 

SOMMAIRE

 

1. Études et essais  

- Hamit Bozarslan, Révolution et état de violence. Moyen-Orient 2011-2015, par Pauline Guéna

- Adonis et Houria Abdelouhaed, Violence et islam, par Tigrane Yegavian

- Samir AminLe monde arabe dans la longue durée : le "printemps" arabe ?, par Sina Badiei

- Entretien avec Hamza Esmili, Le moment révolutionnaire au Maroc, propos recueillis par Sara Minelli et Sina Badiei

 

 

2. Arts et littérature

 

Films : 

- Anna RoussillonJe suis le peuple, par Nada Chaar (ÉGYPTE) 

- Christophe Cotteret, Démocratie année zéro, par Nada Chaar (TUNISIE)

- Ossama Mohammed, Eau argentée, par Claire A. Poinsignon (SYRIE)

 

Bande dessinée :

- Jean-Pierre Fiuliu et Cyrille PomèsLe printemps des Arabes, par Nada Chaar

 

Photographie : 

- Pauline Beugnies, Génération Tahrir, par Maryse Emel                        

 

Roman :  

- Isabelle Hausser, Les couleurs du sultan, par Claire A. Poinsignon (SYRIE)

- Rosa Yassin Hassan, Les gardiens de l'air, par Claire A. Poinsignon (SYRIE)

 

 

3. Les printemps arabes sur nonfiction (2011-2015) :

 

 - Gilbert Achcar, Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, par Tigrane Yegavian

- Yves Gonzalez-QuijanoArabités numériques : le printemps du web arabe, par Tigrane Yegavian

- Tourya GuaaybessLes médias arabes. Confluences médiatiques et dynamique socialepar Théo Corbucci

Mathieu Guidère, Atlas des pays arabes : des révolutions à la démocratie ?, par Thomas Fourquet 

- Pierre Puchot, Tunisie, une révolution arabe, par Lilia Blaise

-- Entretien avec cinq journalistes tunisiensLe printemps arabe : la parole libérée des journalistes, propos recueillis par Lilia Blaise

- Entretien avec Farhad KhosrokhavarLe Printemps arabe à la lumière de la révolution iranienne, propos recueillis par Pierre-Henri Ortiz