Quel que soit le résultat de l'élection présidentielle de 2012, l'avenir des collectivités territoriales – de leur organisation, de leur « gouvernance » et de leurs compétences –, sera une question rapidement portée à l'agenda du futur locataire de l'Élysée et de la prochaine équipe gouvernementale.

Ne constituant l'apanage ni de la droite ni de la gauche, la décentralisation est aujourd'hui à la croisée des chemins. Des choix doivent être faits dans les prochaines années pour améliorer le fonctionnement et la vie démocratique des communes, départements et régions – mais aussi des intercommunalités – qui sont en France les premiers investisseurs publics et le moteur de politiques publiques ambitieuses, tant en termes d'aménagement du territoire que de développement économique, de transports, d'éducation, d'action sociale ou encore de culture. Aujourd'hui, les incertitudes issues de la « réforme territoriale » (loi du 16 décembre 2010) sont trop nombreuses, en particulier sur le plan financier, pour que la question d'un « acte III » de la décentralisation, après les lois Defferre de 1982-1983 et la réforme Raffarin de 2003-2004, ne soit pas directement posée dès après les échéances électorales du printemps. Ces questions seront d'autant plus brûlantes que se préparent déjà les premières « élections territoriales » de 2014, qui concernent une grande majorité des parlementaires et des ministres, eu égard à l'importance du cumul des mandats – une vraie « exception française » en Europe.

D'aucuns peuvent considérer que la réforme des collectivités territoriales a déjà constitué un chantier important du quinquennat finissant et que, par conséquent, d'autres priorités doivent être portées désormais. Ce serait ignorer à quel point la réforme territoriale du gouvernement actuel a été inachevée.

Si, en apparence, les ambitions initiales de la loi du 16 décembre 2010 étaient louables, en particulier en temps de crise des finances publiques, puisqu'il s'agissait de réduire le « millefeuille territorial » et de dégager des économies, il faut constater qu'au regard de ces intentions, les avancées restent minces et peuvent se résumer à la rationalisation de l'organisation politique et administrative du « bloc communal », avec la programmation d'un achèvement et d'une refonte de la carte intercommunale d'ici 2013. En pratique, toutefois, les délais laissés aux préfets pour mettre en place, en concertation avec les élus locaux, les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) ont été allongés, principalement en raison du mécontentement des édiles qui, par le biais des sénateurs en particulier, ont réussi à infléchir le contenu de la réforme territoriale. Or, quelle que soit la légitimité du préfet comme représentant de l'Etat au niveau local, il semble difficile voire impossible de réformer le bloc communal sans l'assentiment des maires et des conseillers municipaux, ces élus qui font vivre la « démocratie de proximité » en France. La concertation ne doit pas se faire sous la contrainte, cette voie choisie par le gouvernement semble contraire à l'esprit de la décentralisation.

Concernant les Conseils généraux et régionaux, au-delà de la création emblématique des « conseillers territoriaux » – fusionnant les élus départementaux et régionaux et non les compétences départementales et régionales –, la réforme territoriale du 16 décembre 2010 ne fait qu'esquisser l'articulation d'un bloc « régions-départements ». Le dispositif repose sur la base du volontariat – l'exemple actuel de la tentative de création d'une collectivité unique en Alsace, à la place du Conseil régional et des deux Conseils généraux, en témoigne –, contrairement à la constitution des intercommunalités, fondée sur la contrainte préfectorale. Pourquoi avoir choisi deux méthodes différentes, chacune révélant des lacunes importantes en termes d'efficacité ? Les choix semblent ainsi être peu clairs ou, ce qui est sans doute pire, peu assumés.

Enfin, et peut-être surtout, la clarification attendue des compétences et des financements qui leur sont corrélés apparaît comme la grande faiblesse d'une réforme qui n'a sans doute pas été assez réfléchie – malgré la constitution d'une Commission ad hoc présidée par Edouard Balladur en 2008-2009 – et qui, à tout le moins, n'a pas assez associé les acteurs locaux à la prise de décision.

Le basculement à gauche de la haute assemblée lors des élections sénatoriales de septembre 2011 – une première sous la Ve République ! – a été, pour une bonne part, le résultat du mécontentement des élus locaux concernant une réforme de la décentralisation dont ils attendaient autre chose. À la différence, sans doute, des précédentes étapes de 1982-1983 et de 2003-2004, le manque de concertation et d'écoute a été l'objet de vives critiques alors que les assises des libertés locales en 2002, malgré leur manque d'ambition par rapport à l'acte I d'il y a trente ans, avaient au moins su faire participer davantage les pouvoirs locaux à la réflexion que la réforme territoriale du gouvernement actuel.

Pomme de discorde entre les élus locaux et le gouvernement, la situation financière des collectivités territoriales est aujourd'hui loin d'être réglée, ce qui laisse en suspens la question de leurs relations avec l'Etat central. À la raréfaction des ressources publiques et à la disparition de l'autonomie financière réelle, s'est ajoutée récemment la crise de liquidités, conséquence de la crise financière nationale et internationale, démontrant que les pouvoirs locaux sont moins menacés par un problème d'endettement – à la différence de l'Etat – que par une réelle difficulté d'accès au crédit bancaire, alors même que leur rôle de premiers investisseurs publics n'est plus à démontrer. Cela a pour conséquence de tendre davantage les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, l'affrontement se cristallisant en particulier sur la réforme de la taxe professionnelle – supprimée à la hussarde, sans concertation et sans que le comité Balladur ne l'ait proposée, privant ainsi les collectivités d'une ressources essentielle –, les transferts de compétences non compensés et le gel et ou la baisse des dotations d'Etat, y compris pour les territoires en difficulté, qu'il s'agisse des nouveaux « déserts ruraux » ou des banlieues relevant de la politique de la ville, pourtant en déficit de services publics.
Concernant la gouvernance locale, il est patent que la voie choisie par le législateur est délicate car, on a vu que, d'une part, la question de la fusion des départements et régions n'a pas été clairement assumée et, d'autre part, la refonte du bloc communal par l'accélération du regroupement intercommunal rencontre des difficultés nombreuses. D'un point de vue juridique, ces choix hasardeux et périlleux posent également la question de leur compatibilité avec le principe, de valeur constitutionnelle, de libre administration des collectivités territoriales. De surcroît, la dispersion des modes électifs entre scrutins majoritaire et proportionnel, uninominal et de listes, récemment accentuée, entretient une confusion démocratique et ne règle pas davantage la question de la démocratie territoriale, contrairement au dessein originel. Si le renforcement de l'intercommunalité de projet prend tout son sens au regard de l'émiettement communal, très important en France pour des raisons historiques, afin de créer des mutualisations fonctionnelles et des économies budgétaires, il doit davantage s'accompagner d'une réelle démocratisation – le « fléchage » des élus intercommunaux lors des élections municipales est de ce point de vue un bon début – car les citoyens restent les grands absents des intercommunalités, comme l'ont souligné récemment deux chercheurs en science politique dans un ouvrage éclairant (Fabien Desage, David Guéranger, La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions intercommunales, éditions du Croquant, 2011).

Enfin, il apparaît que la volonté de l'Etat est actuellement de rapprocher les pratiques managériales des collectivités de celles mises en œuvre depuis 2007 au niveau des administrations centrales, jugés trop coûteuses, par le biais de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Bien qu'une telle orientation ne relève pas du bon vouloir gouvernemental mais reste une prérogative des élus locaux, l'Etat bénéficie, avec les divers concours et dotations d'ordre financier, d'un levier important pour faire appliquer une politique de rigueur budgétaire aux pouvoirs locaux. Les coupes budgétaires de l'Etat vers les collectivités ont par ailleurs été dénoncées par de nombreux élus locaux, de gauche comme de droite, et en particulier plusieurs présidents de Conseils généraux, qui ont obtenu gain de cause auprès des tribunaux, les juges administratifs ayant condamné l'Etat à rembourser les départements pour des transferts de charges non compensés, datant des lois de 2004.

Pour toutes ces raisons, Jean-Pierre Bel, président du Sénat – la chambre haute étant la représentante des collectivités selon la lettre de la Constitution – depuis le 1er octobre 2011, avec l'appui de la nouvelle majorité qui l'a élu, considère que des états généraux sont aujourd'hui indispensables pour faire vivre la démocratie territoriale, pour rendre la parole aux élus locaux et pour s'entendre sur une nouvelle étape de la décentralisation. Si cet appel salutaire n'a pas été relayé pour l'instant, ni par la majorité à l'Assemblée nationale, ni par le gouvernement, il semble envisageable qu'il le soit davantage après les échéances électorales de cette année. Il s'agira alors d'une opportunité à ne pas manquer pour une décentralisation qui est aujourd'hui au milieu du gué et qui a besoin de nouvelles avancées claires et urgentes afin de mieux fonctionner sur un plan gestionnaire, mais aussi et surtout d'un point de vue démocratique, pour mieux associer les citoyens aux politiques menées au niveau des territoires