Un petit livre d’actualité. Avec toutes les qualités et les défauts inhérents à ce type d’ouvrage. C’est la formule par laquelle on peut résumer ce Choix des armes.

La question de l’éventuelle fabrication d’une bombe nucléaire par l’Iran revenant plus que régulièrement au sommet de l’agenda international, il était attendu, presque naturel, qu’un des noms qui reviennent le plus souvent pour l’analyse des relations internationales évoque précisément un sujet aussi explosif, dont les enjeux croissent comme champignons après la pluie. Mais en même temps, un sujet si difficile à manipuler.


Petit livre, avons-nous dit : 174 pages pour faire le point sur la question du nucléaire iranien. François Heisbourg trace rapidement, de façon assez claire, concise et relativement précise, une bonne partie des questionnements qui apparaissent autour de la possession potentielle de l’arme atomique par la république islamique. Il remet en perspective les précédents de l’époque du Chah, les fournitures diverses  obtenues grâce  aux puissances nucléaires, de façon officielle ou non ; la position politique et juridique de l’Iran sur le nucléaire, les positions de principe des grandes puissances, les marges relatives de négociation de part et d’autre, et tente en fin d’ouvrage un effort de prospective, autour de trois développements imaginables : "coopération, compromission et confrontation". Ainsi,  le lecteur qui souhaite faire ses premiers pas sur le sujet dispose d’un outil assez pratique, plutôt maniable, rapidement assimilé, sans se perdre dans les logiques parfois remarquablement tortueuses de la situation au Moyen-Orient. Un ouvrage de vulgarisation, simple, assez efficace, pour tout dire.


 

Un ouvrage de vulgarisation avant tout


Là où le bât peut blesser, revers quasi-inhérent à ce type d’ouvrages, c’est dans le cas d’un lecteur qui disposerait d’une certaine connaissance de l’Iran et / ou des questions relatives à l’arme atomique, et qui souhaiterait approfondir ce qu’il a pu apprendre par ailleurs. Ce serait en demander trop à ce livre. Vite assimilé, mais aussi, semble-t-il, vite écrit et rapidement publié. Quelques fautes de frappe ou de correcteur d’orthographe, des phrases parfois écrites au rythme de la pensée plus qu’à celui de la lecture, peu de notes, parfois des manques dans les références… Non que l’auteur de ces lignes soit un monomaniaque paranoïde de la note de bas de page, bien au contraire, sa paranoïa irait plutôt dans le sens inverse. Mais, sans en abuser, elles contribuent à donner de l’épaisseur à la réflexion, surtout, elles permettent un dialogue entre les textes et les auteurs. Ici, à part quelques notes culturelles explicatives, elles sont surtout issues de documents officiels disponibles sur le net, quelques références à des réunions de l’IISS que François Heisbourg préside, et des renvois à des articles dans la presse quotidienne ou hebdomadaire. En fait, peu d’information en plus de ce que le lecteur aurait pu recueillir au fil des pages de la presse quotidienne. Au-delà de la mise à disposition du plus grand nombre d’éléments épars, ce qui est déjà louable, la réflexion marque quelque peu le pas, et pèche parfois dans l’approfondissement de l’analyse, restant un point de repère utile mais nécessairement vite dépassé. Rappelant son opposition à l’intervention en Irak de 2003, l’auteur tend à se distancer de ceux, si critiqués depuis, qui, selon la formule consacrée, se sont lancés à l’assaut de l’Orient compliqué avec des idées simples. Mais, par l’impression de fixité qui se dégage des points de repère ici posés, une lecture trop rapide, insuffisamment critique, pourrait parfois conduire à négliger à quel point les évolutions sont rapides, fluctuantes et parfois discrètes.


C’est là un des écueils du sujet lui-même : s’il y a bien un programme clandestin d’armement nucléaire en Iran, le mot important est au moins autant "clandestin" que "nucléaire". En d’autres termes, François Heisbourg est aussi contraint de travailler avec les quelques documents à disposition, les déclarations, nombreuses, mais souvent répétitives, sinon creuses des différents protagonistes, et, si les doutes abondent sur cette question, les certitudes se comptent  sur les doigts d’une main. Programme nucléaire très opaque, affrontements internes à l’Iran plus que feutrés, diplomatie réelle dans les petites salles plus que les grands amphithéâtres… Le degré de visibilité est proche de celui d’un beau jour de smog californien. Une des règles, officieuses, de la diplomatie, est que les grandes conférences et débats ne servent guère qu’à mettre en scène les positions, ou finaliser les accords déjà conclus en coulisses. Dans le cas iranien, au mieux, la situation est encore dans ce brouillard, pour une fois non de la guerre, mais de la négociation. Et François Heisbourg travaillant essentiellement d’un point de vue politique et diplomatique, l’analyse s’en ressent par contrecoup. Si tout ce que l’on peut connaître en ce domaine est mentionné, cela reste parfois bien maigre. En l’occurrence, peut-être aurait-il été intéressant d’ajouter à la réflexion des aspects sociologiques, économiques, militaires, qui sont évoqués, mais passent rapidement, et de la mythologie du nucléaire, de son aspect symbolique, en général, et en particulier dans la région.



Une bonne introduction malgré des imprécisions

Un point sur lequel l’auteur peut être pris en défaut relativement facilement serait cette dernière partie, prospective, dans laquelle il se hasarde à imaginer les futurs possibles. Là aussi, difficulté d’une actualité fluctuante. Attaquer l’auteur sur ce point est facile : lui-même n’avance rien de compliqué. La prospective est l’aspect le plus difficile du travail de recherche, et, si les aventures de Michael J. Fox ont eu plus de succès que les écrits de Leibniz   , elles sont là pour rappeler à quel point le futur reste du domaine de l’incertitude. Toutefois, c’est dans ces scénarios que l’aspect fixe que nous évoquions apparaît sans doute le plus : considérer Hillary Clinton comme la prochaine présidente des Etats-Unis est certes une possibilité, mais le faire systématiquement est peut-être aller trop loin. Mme Clinton a toutes ses chances, mais les élections sont encore loin et le scrutin est loin d’être joué. Comme de l’imaginer, élue, faire acte de repentance pour la participation américaine au coup d’Etat contre le docteur Mossadegh : cela est possible, mais, dans l’immédiat, difficile au vu des positions passées de la candidate, très circonspecte, envers l’Iran, surtout sans repentance iranienne parallèle pour la prise en otage du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran.

 


Conclure en jouant sur la citation de Kubrick dans Dr Folamour "how I learned to stop worrying and love the (Iranian) bomb" serait sans doute exagéré, et là aussi, trop facile. En somme, un livre du milieu, peut-être du juste milieu par certains aspects, ni indispensable, ni totalement inutile. Tout est fonction de la situation du lecteur, et de son degré de familiarité avec les problématiques évoquées, pourvu que celui qui les découvre ne prenne pas cet ouvrage pour parole définitive. La réflexion novatrice, approfondie, fouillée, sur le nucléaire iranien reste à écrire. Peut-être n’est-elle pas encore possible.


 

À lire également :


* Sur les relations Occident / Islam :

- La critique du livre de Gilles Kepel, Terreur et Martyre (Flammarion), par Frédéric Martel.
(Malgré un air de 'déjà vu', Gilles Kepel dévoile et démêle avec brio les fils de l'"Orient compliqué").

- La critique du livre de Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations (Seuil), par Youssef Aït Akdim.
(Dans Le rendez-vous des civilisations, le démographe Youssef Courbage et l’historien Emmanuel Todd rament à contre-courant du discours majoritaire sur le "choc des civilisations". Louable, mais peu convaincant).

- Un débat entre Régis Debray et Élie Barnavi sur les rapports interreligieux au Proche-Orient, par Bastien Engelbach.


* sur le Proche et Moyen-Orient :


- La critique du livre dirigé par Sabrina Mervin, Les mondes chiites et l'Iran (Karthala), par Thomas Fourquet.
(Cet ouvrage, publié sous la direction de Sabrina Mervin, met en évidence la diversité et la vitalité du chiisme aujourd'hui).

- La critique du livre d'Henri Laurens, Orientales (CNRS), par Nejmeddine Khalfallah.
(Une réédition en un volume de l’œuvre phare d’Henry Laurens, plus que jamais d’actualité, à propos des rapports entre l'Europe et l'islam).

- La critique du livre de Gilbert Achcar et Noam Chomsky, La poudrière du Moyen-Orient (Fayard), par Thomas Fourquet.
(La poudrière du Moyen-Orient retranscrit un dialogue tenu en janvier 2006 au MIT entre Noam Chomsky et Gilbert Achcar, où ont été évoqués les problèmes de cette région. Un livre qui fournit matière à débat).

- La critique du livre d'Olivier Roy, Le croissant et le chaos (Hachette Littératures), par Laure Jouteau.
(Olivier Roy signe un ouvrage pédagogique qui reprend ses principales thèses et propose une lecture critique de l'actualité du Moyen-Orient. Une excellente entrée en matière).

- La revue de presse à propos de Kanan Makiya, par Laure Jouteau.


* Sur les néo-conservateurs américains et la politique étrangère américaine :

- La critique du livre de Marc Weitzmann, Notes sur la terreur (Flammarion), par Éric l'Helgoualc'h.
(Un romancier parcourt le monde de l'après 11 septembre et s'interroge sur son soutien à la guerre en Irak).

- La critique du livre de Susan George, La pensée enchaînée. Comment les droites laïques et religieuses se sont emparées de l'Amérique (Fayard), par Romain Huret.
(Susan George explore les raisons de l'hégémonie conservatrice aux Etats-Unis. Si le constat est juste, l'explication reste partielle).

- La revue de presse à propos de l'article de Parag Khanna paru dans le New York Times "Waving goodbye to hegemony", par Frédéric Martel.

- L'article à propos du décès de William F. Buckley Jr., intellectuel conservateur américain et fondateur du magazine National Review, par Vassily A. Klimentov.

- L'article à propos de Joseph Nye : "Un 'smart power' encore à définir", par Michael Benhamou.


* Sans oublier :

- La critique du livre de Robert Castel, La discrimination négative (Le Seuil), par Jérémie Cohen-Setton.
(Un bon livre sur la discrimination, les minorités et la crise des banlieues qui recadre un débat souvent marqué par des digressions stériles).


- "Les primaires américaines en continu"