Outre une nécessaire solidarité internationale, David Van Reybrouck formule plusieurs propositions liées à l’exercice démocratique pour résoudre la crise écologique.
Tous les ans, l’université de Leyde organise une conférence en hommage à l’historien de la culture néerlandais Johan Huizinga. A l’occasion de la cinquantième édition, en 2021, l’écrivain et historien David Van Reybrouck a été invité à la prononcer. L’auteur de Congo et de Revolusi a d’emblée placé son propos sous le signe des crises environnementales (effondrement de la biodiversité et dérèglement climatique) et a réaffirmé le lien entre histoire naturelle et histoire culturelle. Huizinga, bien que décédé en 1945, s’était lui-même inquiété de la destruction de la nature.
Décoloniser l’avenir
Fin connaisseur de la colonisation, à travers les exemples du Congo et de l’Indonésie, David Van Reybrouck fait le parallèle entre ce phénomène passé – la responsabilité et la culpabilité qu’il engendre – et l’avenir de l’humanité : « Le colonialisme s’inscrit désormais dans le temps, et non plus dans l’espace ; le pire n’est peut-être pas derrière nous, mais devant nous. Nous nous comportons en effet en colonisateur des générations futures. » Paradoxalement, ce sont les effets présents – les catastrophes « naturelles » – qui nous poussent à agir, bien que tardivement et encore trop lentement. Si nous nous sentons de plus en plus concernés, le degré d’exposition diffère d’un espace de la planète à l’autre, tout comme celui de responsabilité. Les pays du Sud sont les victimes du « tabagisme passif » des pays du Nord.
L’urgence première n’est pas la décolonisation des esprits. « Si nous voulons vraiment instaurer un monde postcolonial, nous devons aller au-delà de la lutte contre les symboles locaux du passé ; il nous faut combattre les structures mondiales du présent. » L’heure est à la solidarité pour David Van Reybrouck. Il questionne la question des réparations, notamment abordée lors de la COP27, et de leur efficacité. Reprenant l’exemple du règlement de la Première Guerre mondiale, il pointe le ressentiment généré par un tel processus et plaide davantage pour que les pays du Nord abondent généreusement les fonds destinés à l’atténuation et à l’adaptation des pays du Sud, tout en réduisant plus rapidement que la moyenne leurs émissions. La question est aussi d’ordre moral.
Faire participer les citoyens
Outre la justice climatique inter-étatique, David Van Reybrouck se penche sur le rôle que la démocratie doit jouer dans ce combat. Déjà l’auteur d’un essai Contre les élections, il plaide pour une plus grande implication des citoyens dans les processus de décision concernant l’environnement. L’écrivain tire ainsi les leçons de la Convention citoyenne pour le climat qui a eu lieu en France. Si les propositions étaient ambitieuses, leur traduction concrète a été très décevante. En conséquence, il suggère de faire suivre cette assemblée citoyenne d’un référendum préférentiel ou « préférendum », permettant à la population d’évaluer les propositions. Autrement dit, de transformer des préférences individuelles en priorités collectives. Un tel exercice pourrait être annualisé afin de suivre au mieux le respect du budget carbone de chaque Etat, sur le même modèle que la discussion du budget.
Il suggère aussi de mettre en place une « assemblée planétaire » afin de permettre une consultation de citoyens issus du monde entier, sélectionnés de manière représentative géographiquement. Il donne en exemple la Global Assembly soutenue par l’ONU et représentée dès la COP26. Elle permettrait à la « base » de s’exprimer, par exemple en septembre, avant chaque nouvelle COP.
Sa troisième proposition ne vise pas tant à faire participer les citoyens au processus de décision, qu’à les engager dans les changements nécessaires à la réduction de leurs émissions. Il avance l’idée de « droits d’émission individualisés ». Chaque citoyen disposerait d’un crédit annuel carbone, porté par exemple sur l’équivalent d’une carte de crédit, auquel on aurait recours au moment les plus critiques dans ses usage d’énergies fossiles (plein d’essence, voyage en avion, chauffage au gaz, etc.). Les entreprises devraient acheter ces crédits, ce qui pourrait financer en retour des actions de décarbonation pour les plus démunis. Le volume annuel des crédits serait déterminé chaque année en fonction des objectifs à respecter. David Van Reybrouck estime qu’une telle solution serait plus efficace que le prix du carbone, puisque les plus riches peuvent toujours payer pour s’affranchir des efforts à fournir. Une telle solution se fonde davantage sur la répartition et la justice.
Enfin, et en dernier recours, David Van Reybrouck s’inspire de la désobéissance civile prônée par l’écrivain américain du XIXe siècle, Henry David Thoreau, auteur d’un essai sur le sujet, qui cessa de payer ses impôts contre l’esclavagisme puis la guerre avec le Mexique. Dans le cas qui l’intéresse, David Van Reybrouck propose de défalquer des impôts le pourcentage des dépenses néfastes à l’environnement (subventions aux énergies fossiles ou à l’industrie agroalimentaire détruisant la biodiversité...). D’abord symbolique, ce calcul pourrait conduire à une désobéissance fiscale, les sommes collectées pouvant abonder un fonds destiné à couvrir la défense de la démarche en justice. Toutefois, David Van Reybrouck espère que les précédentes solutions esquissées et surtout le courage politique éviteront aux citoyens d’en arriver là.