Thierry Pech, directeur du cercle de réflexion Terra Nova, nous livre ici le premier ouvrage systématique sur la Convention citoyenne pour le climat.

Créée à l’initiative du Président de la République au printemps 2019, la convention avait pour mandat, rappelons-le, de faire des propositions aux pouvoirs publics en matière de transition énergétique, en vue de lutter contre le réchauffement climatique. Constituée de 150 citoyens tirés au sort, elle s’est régulièrement réunie pendant neuf mois pour, à la fois, s’informer sur cette éminente question politique, dans laquelle se joue, pour partie, notre avenir, et y apporter, en en délibérant, des réponses crédibles.

Que faut-il donc retenir de cette expérience politique ? A-t-elle abouti à des résultats substantiels et probants ? Quelles leçons pouvons-nous tirer de son fonctionnement et des débats qui s’y sont tenus ? Quels en sont le sens et la valeur au plan démocratique ? Serait-il souhaitable de la renouveler ? L’auteur, qui fut coprésident, avec l’universitaire Laurence Tubiana, du comité de gouvernance de la Convention, a rassemblé, dans cet ouvrage, l’ensemble des éléments factuels et conceptuels nécessaires pour apporter des réponses à ces questions.

Pourquoi une convention citoyenne ?

Rappelons, pour commencer, pourquoi la convention a été mise en place et à quelle intention elle a répondu. Thierry Pech en retrace la genèse avec précision. Elle a d’abord été, rappelle-t-il, une initiative du président de la République pour répondre à la situation de crise aiguë ouverte par le mouvement social des Gilets jaunes. Prenant la suite du Grand débat national, ensemble de réunions locales entre maires et citoyens dans lesquelles, on s’en souvient, Emmanuel Macron avait donné de sa personne, la création de la Convention entendait répondre à des demandes contradictoires en faisant d’une pierre deux coups. Il s’agissait, d’un côté, d’apporter des réponses aux défis écologiques, autres que la taxe carbone qui avait, précisément, mis le feu aux poudres et donné naissance aux Gilets jaunes. De l’autre, il s’agissait de donner un gage aux revendications de démocratie directe, qui émanaient tant de militants écologistes actifs, engagés au même moment dans des marches pour le climat, que des Gilets jaunes eux-mêmes lorsqu’ils revendiquaient, au nom du pouvoir du peuple, un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Ainsi, la Convention citoyenne fut une réponse de circonstance à une situation bien particulière. Pourtant, ses principes constitutifs, qui pour l’essentiel ont été empruntés à des expériences précédentes, l’inscrivent dans le contexte plus large d’une crise de la démocratie représentative et d’un renouveau d’intérêt pour des formes démocratiques dans lesquelles les citoyens pourraient être sollicités plus directement et plus continument.

La nature de la Convention citoyenne

L’ouvrage mêle deux aspects. Il comprend, en premier lieu, une description détaillée de la Convention citoyenne : ses principes constitutifs, ses règles du jeu, son fonctionnement effectif et, enfin, ses résultats. Tout cela est clairement exposé et fort instructif : le lecteur y trouvera les réponses à la plupart des questions qu’il pouvait se poser à ce propos. Thierry Pech ne s’en tient toutefois pas là et se donne l’ambition de conceptualiser cette expérience. Quelle en est donc la nature et le statut ? Comment s’insère-t-elle dans le système des institutions existantes ? Quelle est, demande l’auteur, sa « fonction démocratique »    ? Ce sont là des questions de philosophie politique, décisives dans la perspective du nécessaire renouvellement démocratique. Les analyses de Thierry Pech, nourries des précédents et des théorisations existantes   sont, à cet égard, toujours utiles et suggestives. C’est aussi, naturellement, le terrain sur lequel surgissent des interrogations, voire quelques objections. Arrêtons-nous sur cet aspect.

Dans l’effort pour caractériser la nature de cette convention, nous rencontrons, avec l’auteur, plusieurs concepts incontournables de la théorie politique de la démocratie : la participation et la délibération, la représentation et la représentativité, la consultation et la décision. Etant donnés les différents éléments composants susceptibles d’entrer dans une institution démocratique et les diverses conceptions de celle-ci, la question est donc, au plan théorique, celle de la juste formule rendant compte de la Convention. Il lui faut d’abord prendre en compte les modalités de désignation de ses membres. Elles en fournissent, pour partie du moins, le principe de légitimité. Il est nécessaire ensuite de préciser le genre de travail politique effectué par les conventionnels. Est-il législatif ? Est-il gouvernemental ? S’agit-il d’élaborer des lois, de prendre des décisions de gouvernement ou encore de simplement formuler un avis consultatif ? Il convient, donc, de préciser la spécificité de la mission de la Convention relativement au Parlement, au gouvernement ou encore à des conseils ou comités divers.

C’est, nous rappelle l’auteur, en faisant appel à « la combinaison de deux principes : le tirage au sort et la représentativité », que la Convention s’est constituée   . Ils incarnent, selon lui, deux conceptions de la démocratie, d’un côté le recours au hasard, fondé sur l’idée que tous les citoyens sont radicalement égaux, de l’autre une construction déterminée, et même calculée, pour que, sous forme miniaturisée, les citoyens retenus ressemblent, collectivement, à la société dans sa diversité et en fournissent ainsi une « représentation microcosmique »   . On exige donc, dans ce cas, qu’ils soient sociologiquement représentatifs. L’association des deux principes fait, nous dit Thierry Pech, que la Convention pour le climat participe, sur la base d’une « figuration » de la population d’ensemble, et selon une expression empruntée aux politologues Loïc Blondiaux et Bernard Manin, du « tournant délibératif de la démocratie ». Pourtant, l’auteur exprime certaines réserves à l’égard de cette conception délibérative, dont Jürgen Habermas a donné, au plan philosophique, la formulation la plus élaborée. Il faut, soutient-il, trouver un équilibre, toujours délicat, entre le critère quantitatif de la participation et le critère qualitatif de la délibération   . L’auteur ne formule donc pas de position tranchée et simpliste. Il n’en soutient pas moins une thèse : la Convention doit être, pense-t-il, comprise comme une forme de la démocratie représentative, et non comme l’introduction d’un élément de démocratie directe, à laquelle pourtant renvoie la procédure du tirage au sort. Elle est, précise-t-il, un complément démocratique aux institutions caractéristiques de notre régime politique. En tant que tel, elle est susceptible, dans son esprit, de raviver en particulier la vie parlementaire. Il conviendrait donc de la concevoir comme « une forme nouvelle de la démocratie représentative »   .

Une concurrence au Parlement ?

Cependant, un doute s’introduit ici dans l’esprit du lecteur. Lorsque Thierry Pech caractérise, dans le titre même de son livre, la Convention citoyenne comme un « parlement des citoyens », il la met, semble-t-il , en concurrence avec les institutions parlementaires établies, l’Assemblée nationale et le Sénat. A moins de soutenir, ce qui ne semble guère justifié, que députés et sénateurs ne sont pas, eux-mêmes, des citoyens. Or,comme ils ne sont jamais que des citoyens élus par des concitoyens, quel besoin est-il d’autres « citoyens-représentants »   en la personne des conventionnels, dès lors que nous disposons déjà de deux assemblées de représentants ? En effet, s’ils doivent préparer ou proposer des lois, ils empiètent alors sur le travail du gouvernement ou du Parlement. Nous peinons ici à voir la nécessité d’une institution du type de cette Convention, qui semble manifester, en outre, une défiance à l’égard des institutions représentatives. Certes, la position de l’auteur est, à cet égard, sans ambiguïté : la Convention ne doit, en aucun cas, venir concurrencer les autres institutions. Elle n’a aucune vocation à s’y substituer, car sa mission se cantonne, dit-il, à effectuer un travail « prélégislatif  », pour lequel il s’efforce de concevoir un statut intermédiaire, ni simplement consultatif, ni contraignant pour les pouvoirs publics   . Mais qu’en est-il au plan des faits ?

La difficulté tient peut-être ici à l’équivocité du verbe représenter. Il possède au moins deux sens différents et, de ce fait, prête à confusion. Les députés de l’Assemblée nationale ‘représentent’ la population par élection. Ici, représenter, c’est, pour eux, s’efforcer de réaliser, au nom des électeurs, le mandat que ceux-ci leur ont confié. En revanche, les membres de la Convention ‘représentent’ la population pour autant qu’ils en sont représentatifs sociologiquement. S’ils donnent, en un modèle réduit, dont Thierry Pech discute les modalités techniques   , une image fidèle de la population, ils ne se substituent donc pas à elle : ils s’expriment, indépendamment de tout mandat électif, en leur nom propre. La représentation, elle, n’implique pas nécessairement la représentativité, comme le montre la sociologie des députés et sénateurs. Dans sa logique, la communauté d’origine sociale du député avec ses mandants n’est pas un gage de fidélité au mandat, bien que, régulièrement dans l’histoire des démocraties représentatives, certains aient prétendu que cette identité sociologique était nécessaire à l’authenticité de la représentation. A la lumière de cette clarification conceptuelle, la Convention apparaît comme un collectif de citoyens représentatifs, mais ne saurait être une assemblée de citoyens représentants, ne constituerait-elle-même qu’un « parlement temporaire »   .

Certes, l’auteur entend probablement mettre ainsi l’accent sur la forme parlementaire comprise comme assemblée délibérative de citoyens ordinaires. Cependant, en dépit de toutes les précautions prises, la spécificité de principe des conventionnels relativement aux députés et sénateurs ne semble pas solidement établie. De ce fait, si les premiers ne menacent pas sérieusement les seconds, ils sont l’expression objective d’une défiance malencontreuse à l’égard de la légitimité de ces derniers. Il conviendrait donc, nous semble-t-il, pour concevoir un régime démocratique hybride   , de hiérarchiser deux principes de légitimité, d’un côté la démocratie représentative des assemblées d’élus, de l’autre ce qu’il faut reconnaître comme la démocratie directe des assemblées de citoyens tirés au sort. Tel serait le juste principe de leur coexistence non conflictuelle. Ainsi, dans nos sociétés, où les principes de la démocratie représentative ont indiscutablement la préséance, chaque fois où les préférences des conventionnels entreraient en contradiction avec celles des parlementaires, elles devraient s’incliner devant ces dernières. A cet égard, l’engagement du Président de la République de reprendre « sans filtre » les propositions de loi des conventionnels apparaît, si ce n’est démagogique, du moins bien maladroit. Il devait nécessairement créer une forte déception chez les membres de la Convention, mais aussi susciter, dans l’opinion publique, un soupçon sur l’expérience en son entier.

Une défiance à l’égard de la démocratie directe

Si l’on adopte ce principe de hiérarchisation, il est alors possible d’introduire des éléments de démocratie directe dans nos institutions sans mettre en cause leur caractère essentiellement représentatif. Peut-être, la démocratie directe pourrait-elle , dans la perspective d’une révolution politique qui n’est pas d’actualité, devenir, à son tour, prédominante ; elle devrait alors se subordonner les éventuelles composantes représentatives. Mais, la démocratie directe ne trouve pas réellement place dans le raisonnement de Thierry Pech, elle semble même lui inspirer de la défiance. Pourtant, la véritable spécificité de la Convention réside dans son principe de constitution : c’est l’appel fait à des citoyens ordinaires. Certes, il ne s’agit pas d’une auto-institution, puisque c’est le président de la République qui en fut à l’initiative. Par contre, les individus tirés au sort ou sélectionnés pour leur représentativité ne sont, sauf à une très faible probabilité, ni des professionnels de la politique, ni des experts d’un domaine quelconque. Or, c’est là, précisément, une caractéristique de la démocratie directe telle que la concevaient les Anciens Grecs, les Athéniens en particulier. Pour eux, tout membre de la communauté était, concernant les questions politiques, du moins pour les plus importantes d’entre elles et hors les questions techniques, réputé a priori compétent et, partant, autant que n’importe quel autre. De ce fait, concernant les questions générales d’intérêt public, une compétence politique universelle était admise.

A cet égard, c’est vers les expériences historiques de démocratie directe qu’il faut se tourner plutôt que de spéculer à son propos. L’adjectif ‘direct’ ne renvoie pas nécessairement, comme semble le penser Thierry Pech, à l’expression immédiate de l’opinion et de la volonté d’un peuple ou d’une simple multitude d’individus. C’est le sondage d’opinion tel que le pratiquent nos sociétés ou encore le plébiscite tel qu’en usait, en son temps, Napoléon III ou, aujourd’hui, les dirigeants dits populistes, qui correspondent à cet usage du terme ‘direct’. Dans ce cas de figure, l’absence de médiation tient à la sollicitation directe du peuple par un chef qui, par l’entremise d’une question sommaire, demande à être confirmé dans son pouvoir. Le régime athénien présentait, lui, un tout autre aspect de la démocratie directe. Le débat public y était fortement valorisé, l’argumentation et la rhétorique y étaient même enseignées à des fins politiques. Un système institutionnel complexe comprenait, par exemple, des procédures par lesquelles une assemblée populaire pouvait faire appel des décisions prises par une autre   . L’helléniste Pierre Vidal-Naquet a qualifié, de manière générale, la Grèce antique de « civilisation de la parole politique » et ses cités démocratiques manifestent que la participation active de milliers de citoyens n’est pas incompatible avec une intense culture de la discussion publique.

Pour éviter que la Convention citoyenne n’empiète sur les missions du gouvernement et du parlement, elle ne doit donc être habilitée ni à prendre des décisions, ni à élaborer des lois. En s’en tenant même à une mission prélégislative, comme le souhaite Thierry Pech, les conventionnels ne doublonneraient-ils pas encore le travail des cabinets ministériels et des commissions parlementaires ? S’ils devaient, en revanche, s’en tenir à une pure activité délibérative débouchant sur un simple avis consultatif, ils n’ajouteraient jamais qu’une composante au débat public général et la Convention resterait alors dans le cadre de la conception communicationnelle de la démocratie, qui ne satisfait pas l’auteur. Celui-ci veut croire que des citoyens ordinaires pourraient prendre part, temporairement et de manière limitée, à l’initiative législative aux côtés du gouvernement et du Parlement, que les propositions normatives qu’ils élaboreraient de leur côté pourraient, sans contraindre ni l’un ni l’autre, valoir plus qu’un avis. La répartition des rôles est-elle ainsi suffisamment claire et précise ? L’intérêt principal de ce type d’expérience ne tient-il pas plutôt à sa caractéristique la plus propre, l’appel aux citoyens ordinaires ? Le « renouveau démocratique » que nous pouvons en attendre ne consiste-t-il pas, plus qu’à « réveiller la culture parlementaire », à rappeler la possibilité et la pertinence d’un fonctionnement direct de la démocratie ? Nous y voyons, en effet, à l’œuvre comment une assemblée de simples citoyens, quels qu’ils soient, peut fort bien, sans la médiation de représentants, s’impliquer dans le travail suivi d’information, de réflexion et de délibération propre à conduire à des propositions de lois intelligentes et plausibles. Toutefois, il est vrai, dans cette conception délibérative de la démocratie, les citoyens restent cantonnés au point de vue de l’observateur sur les affaires publiques, en-deçà des décisions et de la responsabilité qu’elles impliquent.

La Convention citoyenne a eu le mérite important de relancer, en France, les expériences de démocratie dite participative. Thierry Pech nous fait entrer, avec son livre, dans « le laboratoire à ciel ouvert » de cette tentative et y présente au lecteur, dans un langage clair, les principales clefs du débat.