Un ouvrage collectif invite les bibliothécaires à mieux appréhender la diversité de l’offre de bandes dessinées, ses possibilités de médiation ainsi que les partenariats potentiels pour la valoriser.

* Ce texte est extrait du « Mode d’emploi » introductif du livre.

La question de la légitimité de la bande dessinée, que cela soit au sein de la société française ou des bibliothèques, est désormais derrière nous. Sociologues, historiens et spécialistes de la bande dessinée ont enregistré la progression de sa reconnaissance depuis les années 1960. De « la constitution de son champ » étudiée par Luc Boltanski au mitan des années 1970  à sa « reconnaissance en demi-teinte » constatée par Eric Maigret dans les années 1990 en passant par « la majorité des arts mineurs » et à l’émergence d’un « art de la bande dessinée » pour Pascal Ory, il est désormais possible de parler, pour reprendre les termes de Thierry Groensteen, d’un « tournant » pour la bande dessinée, aux manifestations plurielles en termes de format de publication, de visibilité médiatique ou de patrimonialisation.

La relation entre bandes dessinées et bibliothèques est largement positive comme l’avait confirmé une grande enquête sur son lectorat en date de 2011. Les premières sont bel et bien présentes dans les collections des bibliothèques, en grande majorité de lecture publique. Elles figurent souvent parmi la liste des titres les plus empruntés, la lecture sur place est très pratiquée et les lecteurs assidus de bande dessinée sont davantage inscrits en bibliothèque que la moyenne des Français. Le stade de la censure ou du rejet apparaît également dépassé, malgré quelques épisodes ou interrogations ponctuels – sur lesquels la contribution sur les mangas de cet ouvrage reviendra notamment.

Ayant gagné ses lettres de noblesse, il n’est plus concevable de considérer la bande dessinée comme un simple produit d’appel devant ensuite amener à des lectures plus sérieuses ou recommandables. Art à part entière, la bande dessinée doit bénéficier de la même attention, et donc du même traitement, que les autres collections présentes en bibliothèques. Pour autant, elle reste partiellement un impensé, en témoigne l’état de la littérature professionnelle. Ce manque de réflexion à son sujet traduit-il avant tout une logique de réponse à la demande du lectorat ?

En 2010, la revue Bibliothèque(s) lui avait consacré un numéro entier, abordant sa présence dans différentes bibliothèques (municipales, BDP, BU, spécialisées comme celle de la Cité de la BD), les dernières grandes tendances (mangas, romans graphiques) ou encore son exposition… Des mémoires professionnels, notamment ceux de fin d’études pour les conservateurs encadrés par Pascal Robert, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Enssib, se sont multipliés à son sujet. En 2018, est apparu le premier ouvrage professionnel (Bande dessinée en bibliothèques, sous la direction de Maël Rannou) lui étant consacré, auxquels plusieurs des auteurs du présent livre ont contribué. 

Ce volume de la collection « La Boîte à Outils » a une double ambition : aller plus loin dans l’appréhension de sa diversité et richesse, en présentant notamment des objets documentaires moins connus ou en révélant l’étendue de certains que l’on estime – à tort – bien ou trop connus ; envisager leur médiation et leur valorisation afin de dépasser la simple adéquation entre une offre et une demande. Pour cela, il apparaît nécessaire de mieux connaître la bande dessinée, de se repérer dans la masse de production – dont témoignent annuellement les records de chiffres d’affaires et de nouveaux titres – et de se faire une idée des modalités de sa valorisation, via la collaboration avec des partenaires, qu’ils soient auteurs, libraires ou associatifs, pour n’en citer que quelques-uns. La mise en avant de la « bibliodiversité » de la bande dessinée est un enjeu d’autant plus important que l’une des dernières grandes enquêtes sur sa lecture a clairement montré que cette pratique perdure d’autant plus que le lectorat ne se limite pas à un seul genre (le manga, le franco-belge, etc.) mais a une connaissance large de l’offre.

En conséquence, les premières contributions prendront d’abord le temps de présenter la diversité de la bande dessinée, en revenant sur ses grandes tendances contemporaines, sur sa déclinaison numérique, sur la question de la présence des femmes dans l’histoire du médium, les frontières parfois poreuses entre bande dessinée et illustration, avant d’apporter un éclairage sur les mangas et leur richesse. Il s’agira ensuite de présenter quelques possibilités de médiations autour de celle-ci : de sa présence en bibliothèque universitaire en tant que fonds documentaire ou support de formation, dans le cadre d’un réseau de bibliothèque départementale avant d’offrir un panorama des recommandations dont elle est l’objet en bibliothèque. Enfin, plusieurs partenariats autour de la bande dessinée seront évoqués : avec les libraires, notamment via les marchés publics, avec les auteurs et autrices eux-mêmes, avec les chercheurs en envisageant la bande dessinée comme une source et enfin avec les festivals, le plus souvent associatifs.