Un recueil anniversaire sous la forme d'un album richement illustré, retraçant magistralement à la fois l'histoire de l'hebdomadaire et celle du continent africain.
Dans un bel album, illustré de nombreuses couvertures marquantes, l'hebdomadaire Jeune Afrique célèbre ses 50 ans d'existence (même si, à proprement parler, l'ancêtre du titre, Afrique Action, a été créé en octobre 1960, au moment de plusieurs indépendances africaines ) et propose au lecteur, fidèle ou néophyte, un vaste panorama très intéressant de l'histoire du magazine à travers ses cinq décennies. Comme le suggère le titre de l'ouvrage, Jeune Afrique. 50 ans, une histoire de l'Afrique , c'est donc également une histoire du continent africain qui apparaît en filigrane, à travers les couvertures (aux photographies et aux dessins parfois très originaux) mais aussi les articles qui ont fait date pour les Africains, avec des signatures prestigieuses : Jean-Paul Sartre, Frantz Fanon, Kateb Yacine, Abdou Diouf, Jean Lacouture, Stéphane Hessel, Jean Daniel, Paul-Marie de la Gorce, Jean Ziegler, Siradiou Diallo, Sennen Andriamirado, Amin Maalouf, François Soudan, sans oublier bien sûr son président-fondateur tunisien, Béchir Ben Yahmed.
Considéré aujourd'hui comme un titre de référence par les cadres et les élites africaines (au nord comme au sud du Sahara), cet hebdomadaire, basé à Paris depuis 1964 mais réalisant l'essentiel de ses ventes hors de l'Hexagone – ce qui est exceptionnel –, a été créé au plus fort de la guerre d'Algérie par un jeune Tunisien ayant fait ses études à Paris, à HEC. Membre pendant deux ans de la délégation tunisienne négociant l'autonomie interne puis l'indépendance du protectorat, il souhaitait créer, d'abord pour son pays, puis pour le Maghreb et l'Afrique, devenue indépendante à quelques exceptions près, un "news-magazine" sérieux et généraliste, s'inspirant en cela de L'Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de Françoise Giroud. Comme le rappelle dans l'avant-propos celui que ses collaborateurs ont coutume d'appeler "BBY" à la rédaction, ses références politiques et journalistiques sont directement liées à ses années de formation en France et sont également symbolisées par des initiales restées célèbres : "JJSS", donc, pour le journalisme, mais aussi "HBM" (Hubert Beuve-Méry), le fondateur du quotidien Le Monde, et, pour la politique, "PMF" (Pierre Mendès France) avec le rôle qui fut le sien dans l'indépendance de la Tunisie, au-delà de l'empreinte laissée par son passage rapide mais décisif au gouvernement en 1954-1955.
Mais le contexte de l'époque, en Tunisie en particulier et en Afrique en général, n'est pas aussi propice que celui de Paris pour la liberté de la presse, Ben Yahmed entrant en conflit avec le président Habib Bourguiba (dont il fut pourtant un des proches) au moment des premières années de l'indépendance tunisienne . L'histoire d'Afrique Action (devenu Jeune Afrique en 1961) est donc d'abord marquée par la censure, la rédaction du magazine devant rapidement s'exiler à Rome, dès 1962, puis à Paris à partir de 1964. De manière générale, l'indépendance de l'hebdomadaire, à la fois par son ton, son contenu et par son autonomie par rapport à tout pouvoir politique, sera l'objet d'agacement voire de colère de la part des chefs d'État africains, qui parfois n'hésiteront pas à censurer ce titre trop subversif dans leur pays (ce fut le cas notamment de Sékou Touré en Guinée à partir de 1963 jusqu'à sa mort en 1983, d'Houphouët-Boigny en 1963 puis en 1987-1989 en Côte d'Ivoire ou encore de Houari Boumédiène en Algérie de 1976 à 1992 et du roi Hassan II au Maroc de 1972 à 1975).
Mais le succès du titre vient progressivement contre-balancer ces difficultés et Jeune Afrique est aujourd'hui le plus important magazine francophone d’Afrique – et sans réel équivalent en Afrique anglophone – avec une diffusion dépassant 60 000 exemplaires vendus par semaine (pour un tirage moyen de plus de 90 000). Ces chiffres sont tout à fait exceptionnels pour un continent dont le taux d'alphabétisation est le plus faible du monde, alors que la stratégie du groupe de presse a toujours été de diffuser le plus largement possible en Afrique, cherchant à traiter de l'actualité politique et économique de l'ensemble de ses pays et y envoyant les exemplaires par avion, dans des zones parfois très reculées sinon franchement hostiles. L'hebdomadaire, pour élargir cette diffusion, a donc dû faire des "compromis", selon les termes de BBY, et a eu aussi une fâcheuse tendance à s'entendre avec les gouvernements et les compagnies nationales pour qu'ils puissent insérer leurs positions officielles à l'intérieur de dossiers-pays réguliers et subjectifs, mais qui ont permis également, sans nul doute, la survie de cet organe de presse dans certains pays, au mépris d'une certaine idée de l'indépendance de la presse et de la démocratie, selon ses détracteurs.
Présent sur la toile depuis la fin des années 90, Jeune Afrique, comme son nom l'indique – pendant quelques années, au tournant de l'an 2000, le titre sera d'ailleurs rebaptisé JA L'Intelligent –, s'est cependant donné comme mission de véhiculer une image moderne et dynamique du continent, sans en masquer ses difficultés structurelles d'un point de vue économique et social et ses errements politiques (les nombreux coups d'Etat et assassinats ont souvent fait l'objet de couvertures choc et de reportages fouillés et fortement critiques) et c'est pour cette raison qu'il est devenu dès les années 60, et sans net recul depuis , l'étendard des élites porteuses de la démocratie libérale et bien souvent fortement occidentalisées, tout en étant parallèlement critiqué pour ses positions parfois tranchées, en matière économique notamment, mais aussi pour ses silences concernant certains régimes (le Gabon d'Omar Bongo par exemple).
Autre aspect critiquable, BBY fait, fort justement, l'éloge, dans plusieurs de ses chroniques, des grands démocrates africains, tels Senghor au Sénégal et Mandela en Afrique du Sud, qui ont su se dessaisir du pouvoir de leur vivant – ce qui constitue malheureusement toujours une rareté sur le continent africain – et en ne le laissant pas non plus à leur descendance. N'appliquant pas à lui-même ce dernier principe, le fondateur de Jeune Afrique a décidé il y a quelques années de confier les rênes de l'hebdomadaire à ses deux fils, certes bien épaulés par le journaliste François Soudan.
Parmi le florilège de Unes et de chroniques, on retiendra en particulier les dossiers traitant de la situation en République démocratique du Congo lors de l'assassinat de Patrice Lumumba en 1961 – ce fut l'un des premiers événements majeurs de l'Afrique traités par le magazine –, de l'indépendance algérienne et des accords d'Evian en mars 1962, de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka à Paris en 1965, du coup d'Etat contre Kwame Nkrumah au Ghana en 1966, de "l'horreur de la dernière guerre coloniale" (titre d'un numéro de 1973) au Mozambique, de l'assassinat du président Sadate en 1981 en Egypte, de la libération de Mandela en Afrique du Sud en 1990 puis de la fin de l'apartheid, du génocide rwandais en 1994 ou, plus récemment, de la chute de Ben Ali , de Moubarak et de "Kaddafou" (selon la une de Jeune Afrique) en 2011, en passant par les nombreuses crises et autres événements propres à la "Françafrique", notamment au Cameroun, en République Centrafricaine – le reportage sur le "président à vie" Bokassa (qui s'auto-sacrera plus tard "Empereur") par Jeune Afrique en 1972 est tout à fait édifiant – , au Tchad, au Togo et en Côte d'Ivoire.
Outre les cahiers photographiques rassemblant des clichés d'excellente facture (surtout ceux en noir et blanc signés Abdelhamid Kahia, Abbas et Guy Le Querrec), une série de témoignages vient également compléter les différents dossiers thématiques et chronologiques, à la fois du point de vue politique et économique (le "cœur de métier" de la rédaction) mais également sur le plan culturel. On retiendra ainsi le bel article de l'écrivain guinéen Tierno Monénembo à propos d'Ahmadou Kourouma, surnommé "Un Voltaire africain" par la une de Jeune Afrique au moment de sa mort, le 11 décembre 2003, alors que son pays natal, la Côte d'Ivoire, sombrait dans une guerre fratricide qui le désespérait. Il y était rappelé que, malgré "seulement" quatre romans publiés (en particulier Les Soleils des indépendances et En attendant le vote des bêtes sauvages ), ceux-ci avaient révolutionné la littérature africaine et avaient été reconnus comme tels par la critique internationale (Allah n'est pas obligé avait par exemple reçu le Prix Renaudot).
Aujourd'hui, malgré d'épais nuages, les "soleils des indépendances" continuent de briller, tant bien que mal, sur l'Afrique, mais aussi sur son principal magazine, devenu un quinquagénaire respecté