Thématique actuellement en vogue en France et en Europe, notamment au vu de la vigueur partout confirmée de l’extrême droite, le populisme est également florissant outre-Atlantique. Il est depuis deux ans incarné de manière paroxystique par les Tea Party, qui ont fondé leur succès médiatique et électoral sur le retour au "bon sens populaire", le rejet des élites et l’action politique dite "grassroots" ("de terrain"). Les Tea Parties ont créé leurs propres think tanks, dont la majeure partie de l’activité consiste, via une réflexion sans nuance, des formules lapidaires et une iconographie humoristique, à dénigrer les "puissants" de Washington et de New York, à demander des coupes drastiques dans les budgets publics et les impôts fédéraux, et à appeler à la signature de pétitions variées ("Non à la mosquée de Ground Zero", "Non aux règles limitant le réchauffement climatique", etc.).

 

La défiance vis-à-vis des institutions et des élites est un classique des périodes de crise économique et d’incertitude identitaire, comme les États-Unis en traversent depuis quelques années. L’élection de Barack Obama et son programme de dépenses publiques (notamment le projet de réforme de la santé) a soulevé un vent de révolte parmi les libertariens, dont les Tea Parties sont issus. De fait, aux États-Unis, le populisme est avant tout de droite : peu, voire pas de traces de mouvements politiques parlant au nom du peuple pour exiger une augmentation des dépenses publiques (contrairement, par exemple, à la France). Les raisons en sont historiques : la construction même du pays s’est faite en opposition aux colons britanniques, d’une part, et au pouvoir central de l’autre, avec l’idéologie de la liberté d’entreprise. L’intervention de l’État dans l’économie et la société y a donc plus d’opposants que de partisans. C’est davantage la peur que le souhait d’un "big government" qui y fait le succès du populisme.


Dans un colloque organisé par la Brookings Institution, le 11 mars dernier, les intervenants rappelaient que les populistes, aux États-Unis, étaient attachés à leur nation, à leur religion, voire à leur "race", qu’ils revendiquaient l’exceptionnalisme américain, se méfiaient des intellectuels et craignaient plus que tout d’être dépossédés de leurs valeurs, de leur culture, comme de leurs richesses. 

 

Plusieurs articles publiés, depuis 2010, sur le site de l’American Enterprise Institute (AEI), l’un des principaux think tanks néoconservateurs, retraçaient quant à eux la généalogie et décryptaient l’actualité du populisme américain. Pour l’AEI, celui-ci véhicule rejet, ressentiment et haine, mais il est aussi un moyen d’"équilibrer et de régénérer" la République pour que les administrations centrales ne confisquent pas (complètement) le pouvoir à leurs électeurs. Cette "exception américaine" serait donc bénéfique au système politique du pays et la baisse des impôts (et donc des dépenses publiques), toujours payante électoralement car, de tous temps, le peuple américain se serait méfié du partage des richesses et aurait rejeté l’assistanat, au profit de l’idéologie de l’effort individuel et de la méritocratie. "Nous ne sommes pas des Européens", peut-on ainsi lire sur le site de l’AEI. Certes… Même en temps de crise, la redistribution n’a pas, aux États-Unis, la popularité qui est la sienne en France où, comme l’extrême gauche, le Front National tient, sur le plan économique, un discours qui est très en faveur des "petits".

 

Néanmoins, à l’instar des extrêmes droites européennes, le public américain le plus réceptif aux thèses des populistes se retrouve essentiellement dans la "white working class", autrement dit la part de la population "blanche" issue des classes populaires qui s’inquiète d’un certain nombre de bouleversements économiques – la mondialisation, le néolibéralisme -, géopolitiques – l’ouverture des frontières –, et culturels – l’immigration et le métissage. La peur de l’avenir et le repli sur le passé (qui a l’avantage, lui, de ne pas être inconnu) leur est commun, des deux côtés de l’Atlantique.

 

Comme le note l’AEI, en 2009, le discours sur l’état de l’Union du Président Obama – surnommé par Sarah Palin, égérie du populisme, "le professeur de droit", autrement dit l’incarnation de la quintessence de l’élite de la côte Est - possédait de notables accents de populisme de gauche : il promettait de redonner au peuple l’argent qui lui avait été spolié par les banquiers malhonnêtes ou incompétents. La conjoncture n’y était pas étrangère : au cœur de la crise financière, il souhaitait redonner espoir au peuple américain. Y est-il à ce jour parvenu ?

 

A lire aussi sur nonfiction :

 

4 critiques de livre : 

Kate Zernike, Boiling Mad : Inside Tea Party America, par Boris Jamet-Fournier.

Jill Lepore, The Whites of Their Eyes: The Tea Party's Revolution and the Battle over American History, par Françoise Coste.

Scott Rasmussen et Douglas Schoen, Mad as Hell. How the Tea Party Movement is Fundamentally Remaking Our Two-Party Systempar Romain Huret.

Sébastien Caré, Les libertariens aux Etats-Unis, sociologie d'un mouvement asocial, par Arnault Skornicki.

 

2 interviews de spécialistes :

Une interview de Justin Vaïsse, chercheur à la Brookings Institution de Washington D.C., par Emma Archer et Quentin Molinier.

Une interview de Mark Lilla, essayiste et historien des idées à Columbia University, par Emma Archer (traduction de Quentin Molinier).

 

2 analyses du mouvement :

Une analyse du Tea Party Movement, publiée sur nonfiction en septembre 2010, par Françoise Coste.

Une analyse critique d'une note de la Fondapol consacrée au Tea Party, par Quentin Molinier.

 

Ce dossier a été coordonné par Emma Archer et Quentin Molinier