Le parti républicain prend-il vraiment le mouvement Tea Party au sérieux?

Le programme républicain pour les midterms

Après les tumultueuses primaires de la semaine dernière où les outsiders issus du Tea Party Movement l’ont remporté dans de nombreux états, le parti républicain institutionnel a repris la main cette semaine en annonçant son programme officiel pour les midterms de Novembre : "The Pledge to America", le Pacte pour l’Amérique. Le Pacte était censé sceller l’alliance entre le parti républicain et le mouvement Tea Party avant la grande victoire attendue de Novembre. Mais personne dans la blogosphère américaine n’a été vraiment impressionné par ce texte.

Comme l’on pouvait s’y attendre, les blogueurs de gauche ont éreinté le programme républicain. Pour eux, le Pledge est l’énième preuve de l’aveuglement idéologique et de l’incompétence intellectuelle de la droite américaine. Nick Gillepsie, sur le site reason.com, est frappé par le contraste entre les promesses républicaines et la réalité de leurs pratiques politiques :

1."For much of, oh, the past decade, the GOP has been staggeringly incompetent in defining themselves as the party of small government. Their standard-bearer, George W. Bush, managed to jack up total federal outlays 104 percent over his predecessor in eight short years" [Depuis au moins une décennie, le parti républicain échoue lamentablement à s’auto-définir comme le parti qui veut un gouvernement à taille réduite. Son leader George W. Bush a réussi à augmenter le budget fédéral de 104% par rapport à son prédécesseur en 8 petites années].

2. "The GOP leadership, with incredibly few exceptions, has never offered up a serious alternative to Obama's spend-spend-spend agenda. Earlier this year, Rep. Eric Cantor (R-Virg.), one of the self-styled "Young Guns," debuted a YouCut website, where bored prisoners and shut-ins with Internet access could vote on various ways to cut the federal budget. The average annual price tag of each possible reduction came to a whopping $638 million, or about 0.02 of a $3.7 trillion budget" [le leadership républicain n’a jamais proposé d’alternative sérieuse à la politique de dépenses d’Obama. Au début de l’année, le Représentant Eric Cantor, qui se considère comme l’un des jeunes Turcs du GOP, a lancé un site où des prisonniers qui s’ennuient et des ermites qui ont accès au Net peuvent voter pour différentes façons de baisser le budget fédéral. Le prix annuel moyen de chaque réduction proposée revient à une valeur époustouflante de 638 millions de dollars, soit 0.02% d’un budget de 3.7 trillions de dollars]”.

Sur Washington Monthly, Steve Benen prend les propositions républicaines au pied de la lettre et il en ressort consterné: “As the "Pledge to America" makes the rounds today, that it was apparently crafted by Republicans who lacked access to a calculator [Alors que tout le monde aujourd’hui étudie le Pacte, il est évident qu’il a été écrit par des Républicains qui n’ont pas de machine à calculer]. Right off the bat, House Republicans seriously want Americans to believe the struggling economy will be better off if we scrap investments in the economy and reduce the number of Americans (public workers) with jobs. That, in a word, is crazy. [Déjà, les Républicains veulent sérieusement faire croire aux Américains que notre économie malade s’améliorera si on annule tous les investissements publics et si on réduit le nombre d’Américains qui ont du boulot (ceux qui ont des emplois publics). En un mot, c’est de la folie.] But let's also pause to appreciate the proposed $100 billion in cuts to discretionary spending. .. To do as the "Pledge" suggests would require drastic cuts to education and essential public services. But, House Republicans say, these cuts are necessary to restore fiscal responsibility. Except, that's crazy, too [Prenons aussi un instant pour étudier la proposition de baisser les dépenses fédérales de 100 milliards de dollars… Cela signifierait des réductions drastiques dans l’éducation et les services publics…  D’après les Républicains, cela est nécessaire pour restaurer la responsabilité fiscale. Sauf que ça aussi, c’est de la folie]. The GOP left a $1.3 trillion budget deficit for Democrats to clean up. Two years later, Republicans have decided to push for $4 trillion in tax cuts, which would increase the deficit; push for the repeal of health care reform, which would increase the deficit; and increase spending on missile defense, which would increase the deficit”… [Le GOP a laissé un déficit de 1,3 trillion de dollars à éponger pour les Démocrates. Deux ans plus tard, ils ont décidé de proposer des baisses d’impôts s’élevant à 4 trillions, ce qui augmenterait le déficit. Ils veulent aussi annuler la réforme de la santé, ce qui aggraverait le déficit, et augmenter les dépenses militaires, ce qui augmenterait le déficit…]. Why Americans would hire arsonists to put out a fire is something I'll never fully understand. [Je ne comprendrai jamais pourquoi les Américains feraient confiance à un pyromane pour éteindre un feu]. ”
 
Les doutes à droite

Plus surprenant, le Pledge n’a pas plu à droite non plus. La critique qui a fait le plus de bruit cette semaine est celle d’Erick Erickson, l’un des créateurs du très puissant site conservateur, RedState. Ce grand supporter du Tea Party Movement a frappé les esprits par le mépris et la virulence avec lesquels il a répondu au Pledge du leaderhip républicain: “It is a serious of compromises and milquetoast rhetorical flourishes in search of unanimity among House Republicans because the House GOP does not have the fortitude to lead boldly in opposition to Barack Obama [le Pacte est une série de compromis et de formules tiédasses qui essayent de faire l’unanimité parmi les élus républicains car le parti n’a pas le courage de s’opposer avec force à Barack Obama]. …Yes, yes, it is full of mom tested, kid approved pablum that will make certain hearts on the right sing in solidarity. But like a diet full of sugar, it will actually do nothing but keep making Washington fatter before we crash from the sugar high. … [Oui, c’est sûr, le Pacte est rempli de clichés qui plaisent aux mères et aux enfants et qui seront sans doute salués par certains à droite. Mais comme un régime alimentaire plein de sucre, le Pacte ne fera rien d’autre que de continuer à faire grossir Washington avant que l’on ne s’écroule à cause d’une overdose de sucre]…The entirety of this Promise is laughable. Why? It is an illusion that fixates on stuff the GOP already should be doing while not daring to touch on stuff that will have any meaningful longterm effects on the size and scope of the federal government. [Ce pacte est risible. Pourquoi? Parce que c’est une illusion qui parle de ce que le GOP devrait déjà être en train de faire sans jamais mentionner les choses qui auraient un impact sérieux à long-terme sur la taille et l’étendu du gouvernement fédéral.]” Autrement dit, Erickson l’über-conservateur partage exactement le même diagnostic que les blogueurs libéraux sur le manque de crédibilité du programme républicain. 

Que signifie cette unanimité, si rare dans la blogosphère américaine ? Sans doute que le leadership républicain est véritablement médiocre sur le plan intellectuel… Mais aussi, plus sérieusement, que le mouvement Tea Party, malgré toute sa flamboyance médiatique, est encore très loin d’exercer un véritable pouvoir sur Washington. Encore une fois, la voix de la raison sur cette question vient de David Frum, l’ancien conseiller de Bush devenu l’un des observateurs les plus fins de la scène politique contemporaine. Répondant à la colère d’Erickson, il mêle moquerie et réalisme: “ I had a good chuckle at Erick Erickson’s enraged piece on the Republican pledge... Question for Erickson: What did he expect? Here is the GOP cruising to a handsome election victory. Did you seriously imagine that they would jeopardize the prospect of victory and chairmanships by issuing big, bold promises to do deadly unpopular things? [Je me suis bien marré en lisant le post furieux d’Erickson. J’ai une question pour lui : Qu’est-ce-qu’il croyait ? Le GOP se destine à une belle victoire. Est-ce-qu’Erickson croyait sérieusement que le parti allait prendre le risque de la compromettre en promettant des choses impopulaires ?] ... The “Pledge to America” is a repudiation of the central, foundational idea behind the Tea Party. Tea Party activists have been claiming all year that there exists in the United States a potential voting majority for radically more limited government. The Republican “Pledge to America” declares: Sorry, we don’t believe that. We shall cut spending where we can – reform the legislative process in important ways. Republicans will redirect the federal government to a new path that is less expensive and intrusive than the status quo. But if you want promises of radical change? No. Too risky. We don’t think the voters want that – not the smaller, older, richer, whiter electorate that votes in non-presidential years, much less the bigger, younger, poorer, less white electorate of presidential years.[Le Pacte est une repudiation de l’idée centrale et fondamentale des Tea Party. Ca fait un an que les militants Tea Party clament qu’il existe aux Etats-Unis une majorité d’électeurs radicaux qui veulent un gouvernement limité. Le pacte des Républicains, lui, dit en substance : ‘Désolé, mais nous, nous ne sommes pas certains de ça. On va baisser les dépenses là où on le peut, réformer le processus législatif, rediriger le gouvernement vers des pratiques moins onéreuses et interventionnistes qu’aujourd’hui. Mais promettre un changement radical ? Non. C’est trop risqué. On ne pense pas que c’est ça que les électeurs veulent : pas les électeurs vieux, riches et blancs qui votent dans les midterms, et encore moins les électeurs jeunes, pauvres et moins blancs qui votent aux présidentielles’.]”

Le Tea Party illustre ainsi l’un des plus vieux paradigmes de la vie politique américaine : la transition de l’insurrection populaire et grassroots vers la pratique institutionnelle du pouvoir est quasiment impossible. Les Américains râlent, c’est vrai. Mais au final, ils apprécient bien le système tel qu’il est puisqu’ils en profitent tous, en particulier sur le plan financier