Le dernier rapport du Conseil d’Analyse Economique fournit une interprétation cohérente du mouvement de consolidation des marchés financiers mondiaux.

Les alliances entre bourses financières, annoncées ou avortées, peuplent les chroniques de la globalisation financière. Tandis qu'on observe ce mouvement de consolidation, l'heure est à la généralisation des systèmes de cotations électroniques et aux profonds changements réglementaires, tant en Europe, avec l'entrée en vigueur de la "Directive Marchés d'Instruments Financiers" (DMIF), qu'aux États-Unis où une nouvelle régulation des marchés fait sentir ses premiers effets   .

Schumpeter soulignait dès 1911 l'importance d'un secteur financier performant pour soutenir la croissance par une mobilisation efficace de l'épargne vers l'investissement notamment innovant et la mutualisation des risques. En outre, la finance emploie plus de 3% de la population active française et le secteur, en pleine croissance, combine haute technologie et forte valeur ajoutée. Les bonnes raisons, on le voit, ne manquent pas pour se pencher sur le phénomène, ses moteurs, son ampleur et ses conséquences sur les acteurs nationaux, l'intégration européenne et l'économie mondiale.


Qui fait quoi ?

Le rapport du Conseil d'Analyse Economique (CAE) s'ouvre sur un tour d'horizon descriptif des principales places financières. Ces chiffres n'ont certes rien d'originaux, mais leur présentation succincte et systématique dresse un tableau clair de la situation, selon les pays et les types d'instruments financiers. Malgré les mouvements de convergence, les marchés   gardent des caractéristiques hétérogènes et dépendantes de leur histoire. En effet, on observe de forts coûts de cotation mais de faible coûts de transaction pour le London Stock Exchange (LSE) et le New York Stock Exchange (NYSE) tandis que la situation inverse prédomine en Europe continentale. On note également des différences de structures avec un fort degré d'intégration verticale de la Deutsche Börse (DB) et de la Borsa Italiana opposé au modèle plus fédératif d'Euronext qui regroupe diverses bourses européennes (Amsterdam, Bruxelles , Lisbonne et Paris) couplées au LIFFE (marché de produits dérivés londonien) autour de Paris.


Une tendance à la consolidation

Le mouvement de consolidation des bourses mondiales s'explique d'abord par des forces de cohésion agissant au niveau microéconomique : d'une part des évolutions communes à toutes les activités (économies d'échelles en présence de coûts fixes comme un système informatique, fin des barrières monétaires, concentration des fournisseurs et de main d'œuvre spécialisée, transfert de connaissance), et d'autre part des transformations plus spécifiques comme la diminution des coûts de transaction (pris ici au sens large) et l'abolition de certaines réglementations restreignant la concurrence. Ceci a joué un rôle non négligeable vérifié empiriquement sur l'augmentation de la liquidité. En effet, les conséquences en sont doubles : les investisseurs traditionnels ont amplifié leur participation, mais de nouveaux acteurs ont fait leur apparition, générant un apport important de liquidités. En revanche, une trop faible dispersion des marchés diminue la pression de la concurrence et réduit donc la volonté d'innover.

D'un point de vue normatif, les conditions à réunir sont celles qui offrent la meilleure liquidité possible aux marchés financiers. Et donc : "il y a un équilibre à trouver entre, d'une part, la concentration qui améliore la liquidité [...] le risque d'une situation de monopole [...], d'autre part, la fragmentation qui détériore la liquidité même si la concurrence qu'elle induit peut être positive"   .


Réglementation

Les auteurs passent donc en revue les contraintes réglementaires concernant la gouvernance, telle la loi Sarbanes-Oxley (SOX) qui impose depuis 2002 des règles très précises aux émetteurs de titres auprès d'investisseurs américains en engendrant des coûts. Au contraire de l'Europe, et notamment de la France  qui repose sur un tel système jusqu'à la fin 2007, les États-Unis n'ont jamais connu de système centralisé, mais la stimulation de la concurrence sur les marchés financiers est une des missions de l'agence gouvernementale qu'est la Securities Exchange Commission (SEC) ; celle-ci garantit entre autres l'interconnexion des marchés à travers le National Market System. En garantissent la diffusion des données de marché et l'obligation de meilleure exécution des ordres, la DMIF tend à gommer le caractère national des places européennes sans pourtant imposer une interconnexion formelle des places financières. Toutefois, bien que le service d'interconnexion soit fourni de fait par des opérateurs privés, les coûts transfrontaliers restent cependant relativement élevés en Europe   .


La place de Paris

Après ces remarques générales, les auteurs s'interrogent sur la spécificité française. Londres et Paris sont nettement en avance en Europe, et la seconde est moins en retard sur la première qu'on ne l'affirme souvent. Paris dispose à la fois d'une avancée technologique "à la frontière" tout en bénéficiant d'un fort développement du secteur bancaire et d'une régulation de qualité fournie par l' Autorité des Marchés Financiers (AMF). A son passif, elle souffre de "la faiblesse traditionnelle des flux d'épargne à long terme résultant de la faiblesse des fonds de pension en proportion des fonds gérés"   .


L'alliance Euronext-NYSE

Les deux dernières parties du rapport traitent de la stratégie des principaux acteurs dans les restructurations en cours, notamment l'alliance d'Euronext et du NYSE. Les auteurs justifient cette stratégie en montrant que le jeu est essentiellement mondial et que la complémentarité entre ces deux acteurs augmente la liquidité commune et les gammes des produits offerts. Ils rappellent également qu’une alliance européenne rassemblant Euronext et une Deutsche Börse centralisée n'était pas mûre en l'état, compte-tenu des organisations respectives des deux entités. Les auteurs sont néanmoins optimistes en affirmant que les conséquences potentiellement dommageables à l'intégration européenne ne sont donc pas liées à une exclusion définitive de Deutsche Börse, car elle pourra à terme rejoindre cette alliance. Mais comme le pointe Jacques Mistral dans son commentaire, on peut en faire une lecture pessimiste en voyant cette alliance comme la concrétisation de la domination américaine au niveau de la gouvernance sur l'ensemble Euronext-NYSE, et en s'inquiétant des possibilités de (non-)régulations extraterritoriales.


L'intérêt principal de ce rapport est de fournir une interprétation cohérente des évolutions souvent médiatisées en les expliquant par des phénomènes microéconomiques plus "souterrains", à l'aide de données solides. Les auteurs proposent également des éléments de prospective, exercice qui reste délicat tant les interventions politiques semblent des facteurs primordiaux et difficilement prévisibles. On regrettera également l'absence d'une discussion des risques systémiques liés à la consolidation des marchés financiers mondiaux : quel est l'impact potentiel sur le risque d'apparition de bulles, quelles nouvelles règles prudentielles seraient souhaitables, quels seraient les dommages encourus lors de l'éclatement de bulles, qui les paieraient, etc. ? Des questions ardues mais néanmoins légitimes et d'autant plus pressantes depuis l'avènement de la crise des subprimes. Elle survint cet été, il est vrai, plus de six mois après la remise du rapport. La critique est donc facile, elle n'en reste cependant pas moins pertinente.

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- l'article d'Éric Monnet "Faut-il brûler Alan Greenspan ?", qui  revient sur la question des responsabilités de l'ancien président du conseil de la Banque centrale américaine.

- la critique du livre de Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Trainar (dir.), Private equity et capitalisme français (La Documentation française), par Luc Goupil

- la critique du livre de Solveig Godeluck et Philippe Escande, Les pirates du capitalisme (Albin Michel), par Luc Goupil.

- la critique du livre d'Augustin Landier et David Thesmar, Le grand méchant marché (Flammarion), par Patrick Cotelette.

- la critique du livre d'Olivier Godechot, Working Rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière (La découverte), par Luc Goupil.

- la critique de l'ouvrage collectif Comprendre la finance contemporaine (La découverte), par Jérémie Cohen-Setton.