Les  'Regards croisés sur l’économie' se fixent l’objectif de synthétiser les savoirs actuels sur la finance. Pari réussi… à moitié.

Dans son dernier numéro, la revue Regards croisés se fixe un nouvel objectif ambitieux : "faire une synthèse claire et pédagogique" de la finance contemporaine. Après avoir traité de la fiscalité, puis des services publics, cette revue semestrielle créée par un collectif d’étudiants en économie montre une nouvelle fois qu’il est possible de vulgariser sans caricaturer. Tout n’est bien sûr pas parfait, mais les ingrédients de la formule restent efficaces : de courtes contributions rédigées par des spécialistes pour saisir les enjeux d’un problème ; des encadrés rédigés par des étudiants pour contextualiser et donner des clés de lecture ; et des compléments en ligne pour approfondir certaines questions.


Vulgariser sans caricaturer : essai (presque) transformé

L’ouvrage offre un panorama relativement complet de la finance contemporaine. On y explore l’évolution de ses fonctions (transfert de richesse dans le temps, gestion du risque, mise en commun des richesses, d’information et de règlement), de ses pratiques (la titrisation), et de ses acteurs (hedge funds, fonds souverains …). Il n’est pas faux de dire que l’on passe de temps en temps du coq à l’âne (métiers de la finance, microfinance …), mais qu’importe vu le nombre de sujets que l’on survole.

Ce qui est plus gênant, c’est le caractère inutilement technique de certaines contributions qui laissera perplexe le lecteur novice. Attention donc à ne pas trop se perdre dans certains passages indigestes (particulièrement les contributions sur les nouveaux acteurs de la finance et sur la théorie de l’efficience informationnelle) et à privilégier les contributions où un véritable effort pédagogique a été fait.

 

Un manque de contrepoints

Aussi, l’accumulation de contributions ouvertement critiques vis-à-vis de la théorie néoclassique nuit à l’équilibre de ce numéro. Non pas qu’il faille défendre coûte que coûte le courant mainstream de l’économie, mais on s’étonne de ne pas voir, sur des sujets aussi essentiels que "la notion de valeur fondamentale" ou "la théorie de l’efficience informationnelle", de contrepoints aux critiques formulées par les auteurs. Certes, il est difficile de faire une revue des différentes approches que les auteurs d’inspiration néoclassique ont développées pour répondre à ces critiques, mais il aurait fallu essayer ne serait-ce que pour signaler au lecteur novice ce qui fait aujourd’hui encore débat et ce qui ne le fait pas. La partie portant sur les politiques publiques souffre d’un défaut similaire et mériterait aussi qu’un contrepoint aux positions prises par les auteurs soit formulé pour éviter que des recommandations de politiques publiques non consensuelles ne paraissent comme telles (on pense ici à la contribution sur la prise en compte des fluctuations financières dans la formulation de la politique monétaire, "Que devraient faire les banques centrales ?").



En résumé, on aime la formule, mais on regrette qu’un minimum de culture économique demeure nécessaire pour profiter pleinement de l’ouvrage. Les étudiants en premier cycle d’économie y trouveront des compléments utiles à leurs cours ; les lecteurs des pages économie des grands quotidiens des mises au point, le plus souvent, claires et concises. Les purs novices, par contre, s’y perdront s’il s’agit de leur seule source d’information. On notera enfin la présence d’articles inutiles (celui sur la MAIF comme acteur militant de la finance est un must du genre), de compléments en ligne mal adaptés (il existe peut être un juste milieu entre l’encadré d’une page et le mémoire de maîtrise de 90 pages), et un dos de couverture, une nouvelle fois, trompeur puisque caricatural (la finance est irrationnelle ; il faut la réguler de partout) quand l’ouvrage ne l’est pas. C’est la deuxième fois (en deux critiques) que je rencontre ce décalage entre titre, dos de couverture et contenu : à croire que les éditeurs le font exprès ! En refermant la revue, on a l’impression que le pari ambitieux de faire le tour d’une question majeure et d’actualité (que les éditeurs ont eu le bon sens de voir venir) est à moitié réussi. Comparativement à ce qui peut s’écrire sur la finance pour le grand public, c’est déjà d’une grande valeur

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- l'article d'Éric Monnet "Faut-il brûler Alan Greenspan ?", qui  revient sur la question des responsabilités de l'ancien président du conseil de la Banque centrale américaine.

- la critique du livre de Jérôme Glachant, Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Trainar (dir.), Private equity et capitalisme français (La Documentation française), par Luc Goupil.

 - la critique du livre de Solveig Godeluck et Philippe Escande, Les pirates du capitalisme (Albin Michel), par Luc Goupil.

 - la critique du livre d'Augustin Landier et David Thesmar, Le grand méchant marché (Flammarion), par Patrick Cotelette.

- la critique du livre d'Olivier Godechot, Working Rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l'industrie financière (La découverte), par Luc Goupil.

- la critique du livre de Jacques Hamon, Bertrand Jacquillat et Christian Saint-Etienne, Consolidation mondiale des bourses (Conseil d'Analyse Economique), par Mahdi Ben Jelloul.

- la critique de l'ouvrage collectif Comprendre la finance contemporaine (La découverte), par Jérémie Cohen-Setton.