L'histoire d'un grand malentendu scientifique. Une enquête originale entre philosophie, histoire de l'art et science.

Les spécialistes de Darwin se réjouiront de la parution de ce livre original, et ils ne seront pas les seuls… Bien sûr, la lecture de ce court ouvrage nécessite une dose de concentration, voire un soupçon d’effort, mais Horst Bredekamp lui-même n’est pas un spécialiste de la théorie de l’évolution, c’est un historien d’art et un philosophe. Il ne cherche pas à noyer le lecteur sous des données informatives, sur Darwin (1809-1882) ou sur l’histoire des théories de l’évolution. Il fait en revanche la démonstration aux historiens d’art de l’étendue possible de leurs recherches - ce qui ne fait qu’ajouter aux mérites de l’ouvrage.
   
Mais revenons à nos coraux. Sous ce titre poétique se cache une enquête sur les recherches picturales de Darwin à partir de 1834. La construction de l’ouvrage est assez subtile. Elle jongle entre rappels iconographiques, histoire des sciences, et étude du darwinisme. Il fallait bien tout cela à l’auteur pour revenir sur les choix et l’imaginaire darwiniens. C’est là que Bredekamp se jette à l’eau : Darwin, lorsqu’il cherchait à représenter schématiquement l’évolution des espèces, penchait plutôt du côté du modèle des coraux que de celui de l’arbre. La force de ce modèle venait entre autres de sa capacité à intégrer la variable "temps". On n’en dira pas plus sur ce point pour laisser un suspens entier au lecteur.

Selon l’auteur, seules les circonstances ont signé la victoire du modèle de l’arbre dans le texte de L’origine des espèces (1859). En effet, craignant pour la paternité de ses recherches, Darwin doit s’empresser de publier ses théories. Pourtant le choix n’est pas tranché : si le texte fait référence à l’image de l’arbre, le tableau de l’origine des espèces ou son diagramme de la « sélection naturelle » adoptent quant à eux la forme corallienne. L’ambiguïté est bel et bien là, entre le texte et l’image. L’image ne dit pas la même chose que le texte. C’est le temps qui aurait manqué à Darwin pour finaliser l’image corallienne.

H. Bredekamp, au risque d’être accusé de surinterprétation, revient sur des évidences. Quelques schémas griffonnés par Darwin dans ses carnets, des rapprochements iconographiques, l’étonnement admiratif de ce dernier pour les récifs coralliens lui permettent de renouveler un champ d’études. En dramatisant les choix de Darwin, l’auteur pose une question fondamentale, celle de la traduction par le dessin d’une idée scientifique et philosophique. Comment Darwin a voulu figurer ses théories ? Quelle image se rapproche le plus de sa conception scientifique ? Un bel exemple des apports de l’interdisciplinarité

 

À lire également sur nonfiction.fr :

- Charles Darwin, L'Autobiographie (Seuil), par Thierry Hoquet.

Cette édition de l'autobiographie intégrale du naturaliste constitue un document scientifique de premier plan.

- Patrick Tort, L'Effet Darwin (Seuil), par Thierry Hoquet.

Dans ses réflexions sur la morale évolutionniste, Tort semble être tombé dans le piège de sa jolie image : l'anneau de Moebius.

- Charles Darwin, L'Autobiographie (Seuil) et Patrick Tort, L'Effet Darwin (Seuil), par Frank Cézilly.

Charles Darwin par lui-même vaut mieux que les élucubrations de son thuriféraire.

- André Pichot, Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin (Flammarion), par Thierry Hoquet.

Une somme fournie, pleine de curiosités historiques, mais la posture iconoclaste de Pichot lasse et tombe à plat.

- Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau, Les Créationnismes. Une menace pour la société française (Syllepses), par Jérôme Segal.

Deux spécialistes mesurent les dangers du créatonnisme en France. Leur constat : la vigilance s'impose.

- Horst Bredekamp, Les Coraux de Darwin (Presses du réel), par Thierry Hoquet.

L’histoire de l’art a-t-elle quelque chose à apprendre à l’histoire des sciences ? Stimulant, l’ouvrage est moins convaincant dans sa partie personnelle.

 

Notre photo : arbre corail de Californie.