Deux synthèses d'ampleur offrant une nouvelle approche de la Résistance, à travers le portrait collectif des maquisards et les décisions individuelles d'entrée dans la clandestinité.

Agrégé et docteur en histoire, Fabrice Grenard est le directeur historique de la Fondation de la Résistance. Mais, au-delà de ces fonctions institutionnelles, il a depuis quelques années ouvert un champ nouveau de l’historiographie de la Résistance en s’intéressant, dans une démarche anthropologique, au marché noir (sujet de sa thèse), aux maquisards et aux quotidiens de ces hommes et de ces femmes, connus ou inconnus, qui ont fait le choix de ne pas se soumettre à l’occupant pendant les « années noires ». Ses deux derniers ouvrages proposent ainsi une « autre » histoire de la Résistance à travers ses terrains de combat de « première ligne » – les maquis – et les décisions individuelles d’entrée dans l’illégalité – en proposant plusieurs portraits saisissants de Français(ses) devenus résistants : jeunes ou vieux, urbains ou paysans, communistes ou chrétiens, en zone libre, occupée ou à Londres –, dessinant ainsi un panorama passionnant de cette « armée des ombres » mythifiée qui fut pourtant avant tout constituée par des quotidiens à la fois ordinaires et exceptionnels.

Une histoire sociale, anthropologique et territoriale des maquisards

Dans la continuité de ses précédents ouvrages Maquis noirs et faux maquis (2011) et Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire (2014), tous deux également publiés par Vendémiaire, Fabrice Grenard offre avec sa grande synthèse Les maquisards. Combattre dans la France occupée une fresque monumentale de cette « épopée » collective, sans la mythifier mais avec la distance qui sied à l’historien, à partir de nombreux fonds d’archives, nationaux ou départementaux, et de témoignages des derniers survivants, recueillis depuis plus de dix années de recherches. S’éloignant volontiers de la légende des jeunes héros des Glières ou du Vercors, dont le combat résonne encore aujourd’hui comme l’avant-garde de la libération du pays lors d’assauts de villes entières, l’historien apporte son regard distancié et scientifique en retraçant les origines sociales et les parcours de vie des maquisards sur l’ensemble du territoire français (dans les Alpes, mais aussi en Corse, dans le Massif Central, le Morvan, les Ardennes, le Jura, les Vosges, sans oublier le Sud-ouest, la Bretagne et la Normandie), en évaluant leurs motivations et en questionnant leurs agissements, à la fois sur le plan individuel et collectif.

Par ce beau travail, le portrait collectif offert par Les maquisards (dans la veine des volumes de la collection « Terre humaine » de Jean Malaurie sur le plan anthropologique) apporte des réponses contrastées, qui sont loin d’être univoques : dès l’apparition des premiers camps, à la fin de l’année 1942 (avec l’occupation de la « zone libre » par les troupes allemandes), jusqu’aux combats de la Libération, Fabrice Grenard établit des distinctions intéressantes selon les périodes et les contextes, en insistant sur la précocité et l’encadrement des maquis, leurs topologies et le type d’action entreprises (armement et/ou renseignement). Ainsi, les premiers camps se situent clairement en milieu montagnard, là où les « camouflages » semblent les plus aisés, mais proches des villes, qui restent des « réservoirs » importants de jeunes intellectuels engagés. Mais c’est bien l’instauration par le régime de Vichy du STO – le service du travail obligatoire, soit la réquisition et le transfert vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français contre leur gré –, par la loi du 16 février 1943, qui va « massifier » la clandestinité en cristallisant le refus et l’esprit de révolte d’une partie importante de la jeunesse, comme l’illustre le mot d’ordre : « Pas un homme pour l’Allemagne ». Ce « séisme » constitue une « aubaine » pour les FTP (francs-tireurs partisans) qui « transforment les réfractaires en combattants », rééquilibrant par là même le rapport de forces entre Londres et les forces de l’intérieur.

Avant de s’attarder à juste titre sur le « passage à l’action » lors du printemps et de l’été 1944 (dernière partie magistrale de l’ouvrage, mais également sans doute la plus connue), Fabrice Grenard décrit avec une grande précision « l’apprentissage d’une vie nouvelle » des maquisards durant l’année 1943 (en dégageant des filières de recrutement, des typologies de nomadismes et la constitution d’une forme de guérilla) puis « la crise de l’hiver », période décisive à la charnière des années 1943 et 1944, durant laquelle « l’étau se resserre » avec l’intensification de la répression (« la lutte contre les bandes » selon le vocabulaire de l’occupant et des collaborateurs), alors que se pose la question d’un regroupement des camps et d’un rassemblement des forces, selon la logique propre à l’unification de la Résistance intérieure. Au total, il s’agit sans nul doute d’une somme passionnante, se lisant comme une saga, et apportant à la science historique une approche à la fois sociologique et territoriale des maquisards.

Visages de Résistant(e)s à l’heure de leur choix d’entrée dans la clandestinité

De manière complémentaire, le livre Le choix de la Résistance. Histoires d’hommes et de femmes 1940-1944, plus récemment publié par Fabrice Grenard aux Presses universitaires de France, apparaît comme une plongée plus intime dans la conscience de treize Résistant(e)s au moment de leur décision de s’engager dans la clandestinité. Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, aucune étude historique dite « sérieuse » (c’est-à-dire scientifique) n’avait jusque-là porté sur cet instant décisif consistant à basculer au sens propre dans la Résistance – par des actes, des renseignements ou des services rendus.

De manière chronologique, l’historien montre que si certains ont exprimé leur refus de la défaite dès les premières heures (le conservateur catholique Edmond Michelet s’oppose ainsi à l’armistice de Pétain dès avant l’Appel du 18 Juin du Général de Gaulle), en rejoignant de manière précoce les rangs de la France libre à Londres (les décisions de deux Bretons anonymes et du célèbre Général Leclerc sont analysées également dans les premiers chapitres), en refusant la captivité (le cas du Guinéen Addi Bâ, engagé dans les tirailleurs sénégalais, est passionnant et exceptionnel dans sa capacité de survie après son évasion des camps de prisonniers allemands), en constituant des réseaux (l’ethnologue Germaine Tillion, « tête chercheuse » de la Résistance pionnière à Paris en 1940) ou en devenant « passeur » clandestin à travers la frontière franco-suisse (Fernand Valnet et Paul Koepfler ont mis en place une véritable organisation dans le Jura), d’autres figures, dont certaines sont bien connues (le capitaine Henri Frenay était maréchaliste avant de rompre avec Vichy au printemps 1941), mettent un peu plus de temps à entrer en Résistance mais en s’opposant de manière offensive et planifiée (les maquisards du Vercors ou les FFI de la Haute-Vienne, grâce à l’action d’André Deleger restituée dans le dernier chapitre).

En définitive, tout l’intérêt de ces portraits croisés, très judicieusement sélectionnés, est de nous faire comprendre dans quelle mesure la Résistance a d’abord constitué une aventure et une expérience individuelle avant d’être une combat collectif et un sacrifice particulièrement cruel (sur l’ensemble des zones nord et sud, la répression allemande a entraîné l’exécution de 2500 personnes condamnées à mort, la déportation de 62 000 prisonniers , dont 40% ne sont pas revenus, avec pour finir 15 000 personnes tuées au cours des opérations de représailles menées en 1944 lors des interventions contre les maquis). Et, malgré ces répressions de l’occupant (auxquelles il faut ajouter l’action de la milice de Vichy), si « la flamme de la Résistance » ne s’est pas éteinte, c’est bien grâce à l’action et l’engagement de ces femmes et de ces hommes, parmi lesquels les parcours retracés par Fabrice Grenard témoignent d’une force qui résonne encore aujourd’hui.