Une histoire de la représentation de l'Etat au XIXe siècle, puisant dans la symbolique et dans la littérature de l'époque, à l'origine de l'invention d'une figure préfectorale comme notable local.
Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Rennes-II, agrégé d'histoire et ancien élève de l'Ecole normale supérieure (Ulm), Pierre Karila-Cohen a soutenu sa thèse en 2003 sous la direction d'Alain Corbin (« L'Etat des esprits. L'administration et l’observation de l’opinion départementale en France sous la monarchie constitutionnelle (1814-1848) ») puis son habilitation à diriger des recherches en 2014 (garant : Dominique Kalifa) : (« Surveiller, enquêter, administrer dans la France du XIXe siècle », comprenant un mémoire inédit intitulé « La masse et la plume. Essai sur le charisme préfectoral dans la France du XIXe siècle (1800-1914) »). Monsieur le Préfet. Incarner l'Etat au XIXe siècle est issu de ce travail, dans une version largement remaniée.
Nonfiction : Même si votre livre porte sur l’histoire du XIXe siècle, on ne peut échapper à l'actualité du sujet des préfets, en lien avec la réforme de la haute fonction publique annoncée par le gouvernement, s’agissant en particulier du corps préfectoral (et non pas de la fonction). Dans d'autres ouvrages, notamment celui de Michel Biard Les Lilliputiens de la centralisation (Champ Vallon, 2007) décrivant la trajectoire d’histoire politique et administrative des intendants de l’Ancien Régime aux préfets napoléoniens, il y a tout un chapitre à la fin sur l'actualité du sujet (sur les usages et mésusages de la notion de jacobinisme). Dans votre Monsieur le Préfet, vous êtes resté dans le thème du XIXe siècle, mais malgré tout, eu égard à l’actualité du débat, même si vous ne l'aviez sans doute pas prévu, que pouvez-vous en dire par rapport à l'institution préfectorale hier et aujourd’hui ? S’agissant de son avenir, c'est peut-être moins votre métier que d'en parler…
Pierre Karila-Cohen : C'est complètement un hasard que le livre sorte maintenant en plein débat sur le corps préfectoral. Mon habilitation à diriger des recherches a été soutenue en 2014, donc bien avant cette décision gouvernementale. Le travail lui-même puise ses origines au début des années 2010, dans un article publié sur un préfet resté très longtemps en poste, Bourgeois de Jessaint, et c'est à partir de cet article que j'ai commencé à me poser les questions qui ont abouti plus tard au livre. Bien entendu, je ne suis pas devin et je ne savais pas du tout que cette réforme allait être décidée lors de la publication du livre. C’est donc totalement fortuit mais je comprends qu’on me pose forcément cette question.
Or, il se trouve en effet que je suis spécialiste du XIXe siècle. De fait, dans ce livre, ce qui me tient le plus à cœur, c'est bien l’histoire politique, sociale et culturelle du XIXe siècle : l’étude de l’institution et du métier préfectoral est un merveilleux moyen d’accès à ce monde, en particulier aux sociétés provinciales. Le XIXe siècle m’intéresse depuis longtemps, près de vingt-cinq ans : j’ai publié, notamment, sur les commissaires de police , les enquêtes d'opinion , la question de l'autorité de manière générale, toujours pour mieux connaître ce moment particulier de notre histoire, à la fois si proche et de plus en plus loin de nous. Je ne peux toutefois échapper à des questions sur la réforme actuelle. Le corps préfectoral d’aujourd’hui est finalement assez récent puisqu’il est né de deux décrets de 1950 et 1964, par lesquels des règles de recrutement et d’avancement dans la carrière ont été mises en place. Ce qui est remis en cause par la réforme que l’on vient d’annoncer, ça n'est pas, comme vous l'avez dit, la fonction même de préfet, mais c'est plutôt, justement, le mode de recrutement, ainsi que l'organisation des carrières. Et ces questions-là, effectivement, peuvent nous replonger en partie dans le XIXe siècle, puisqu’il n’existait à cette époque aucune règle formelle en la matière. Un dictionnaire administratif de l’époque résume les choses par la phrase suivante : « Avancement et carrière : absolument arbitraire ». Il n’était même pas question d’exiger des futurs préfets et sous-préfets une compétence en droit car on estimait que c’était une fonction éminemment politique et qu’il ne fallait pas se lier les mains dans le recrutement ou l’avancement avec des exigences de diplôme ou la formalisation de la carrière. Effectivement, cette absence de règles avait pour corollaire la puissance des motivations politiques dans les nominations, évidentes en ce siècle de changements fréquents de régime. Des épurations de très grande ampleur ont eu lieu à plusieurs moments du siècle, et, même au sein de chaque régime, la plus ou moins grande adhésion de tel ou tel à telle tendance a beaucoup compté dans les recrutements et les nominations dans de belles préfectures.
Toutefois, ce que nous enseigne aussi le XIXe siècle, c’est qu’une ligne de force tendant à la professionnalisation de la fonction a commencé également à prévaloir très tôt, à côté de son aspect politique. Dès la monarchie de Juillet (1830-1848), deux-tiers des préfets avaient d’abord été sous-préfets : c’est le cas de trois-quarts d’entre eux à partir du Second Empire (1852-1870). De même, même sans exigence formelle, 94 % des préfets en exercice entre 1876 et 1918 possédaient un diplôme de droit, pour reprendre les chiffres qu’avait mis en valeur Jeanne Siwek-Pouydesseau. Je montre en outre dans l’ouvrage que les compétences des conseillers de préfectures, des secrétaires généraux et des sous-préfets ont été évaluées à la fois précocement et régulièrement, notamment pour savoir si l’on pouvait les nommer, dans les deux premiers cas, sous-préfets, et dans le troisième, préfets. Très vite, un certain nombre d’attentes ont entouré le « rôle », au sens le plus fort, de sous-préfet et de préfet. On ne pouvait donc pas nommer, maintenir ou promouvoir n’importe qui. Pour résumer, politisation évidente et professionnalisation informelle se sont équilibrées pendant 150 ans avant que cette dernière soit davantage formalisée, avec des règles plus claires, depuis 1950. Retourne-ton vers de l’arbitraire complet ? C’est ce que craignent les préfets. On peut penser toutefois – ou au moins espérer - que même dans ce cadre en partie dérégulé les exigences de compétences permettront de maintenir une professionnalisation spécifiquement préfectorale.
Vous vous attachez à décrire ce qui est attendu des préfets, institution née avec Bonaparte (en l'an VIII) mais qui, tout au long du XIXe siècle, quels que soient les régimes, va perdurer. C’est le sens de votre conclusion : le rôle préfectoral a évolué, mais avec des continuités assez importantes. Et, comme vous l'expliquez, ça n'est pas une histoire politique des préfets pour chacun des régimes que vous proposez, mais plutôt une histoire thématique et culturelle des usages, des mentalités et de l'incarnation charismatique (notion que vous empruntez à Max Weber) au sein de la société locale. A cet égard, la séduction – l’aspect « sympathique » et apprécié de tous –, était une des recommandations faites notamment par les « manuels de savoir-vivre » des préfets et sous-préfets. C’est une histoire passionnante qui est ponctuée de chapitres qui peuvent parfois paraître étonnants quand on ne connaît pas le sujet, par exemple s’agissant de l’importance du bal dans le fait préfectoral, s’insinuant jusqu’à la manière de danser et d’inviter. La représentation, ce rôle presque théâtral dans la société locale, qui n'est pas seulement un rôle politique, vous l'expliquez et l’analysez, en insistant sur le rôle proprement social dans tous ses sens et toutes ses dimensions. Quand on referme le livre, on se demande finalement si c'est vraiment ce que souhaitait Napoléon – même si, dans le cadre du bicentenaire de sa mort, on prête actuellement beaucoup (trop ?) d’intentions à l’Empereur ! –, ou si cela a au contraire fortement évolué en fonction des régimes politiques. Qu’en est-il selon vous ?
Je crois qu'il y a des modalités différentes de domination d’une société : ce qui relève de la discipline, de la surveillance, de l'autorité (dans le sens d'autoritarisme) ou du contrôle – toute une dimension que je n'ai pas traitée dans le livre mais qui est une des dimensions très importantes de la fonction et du métier de préfet, c’est-à-dire tout ce qui concerne la gestion du maintien de l'ordre et la surveillance politique. J’avais largement traité ces enjeux dans un ouvrage précédent, L’État des esprits, qui portait sur les premiers rapports politiques sur ce que l’on commençait à appeler « l'opinion publique ». Les individus institutionnels que j'évoquais le plus dans cet ouvrage étaient les préfets, et plus particulièrement la manière dont ils écrivaient leurs rapports, à la fois policiers et politiques. J’ai donc déjà évoqué cette forme de domination. Et puis il y a une forme de domination qui est plus douce, qui relève davantage de ce que Michel Foucault appelle la gouvernementalité, c'est à dire la capacité à la fois de séduire et de contrôler – et en même temps de protéger. C’est l'objet du livre.
L'institution perdure tout au long du siècle alors qu'elle a été forgée pour un régime autoritaire. Au départ, elle perdure sous des régimes plus libéraux, voire démocratiques, et le fait est que, dans cette volonté de plaire aux élites départementales, à l'opinion locale, au-delà même de ses élites, il y a comme une forme de compensation par rapport à cette verticalité du pouvoir, à cette existence d'une figure relativement autoritaire du pouvoir central. Et c’est cette forme de compensation-là qui me paraît très intéressante. Maintenir l'ordre, cela peut passer par la séduction, c'est vrai, aussi étonnant que cela puisse paraître. S’agissant du bal préfectoral, puisque vous avez donné cet exemple, Christophe Charle, dans un petit livre excellent et qui est l’un de ses premiers (Les Hauts fonctionnaires en France au XIXe siècle, Julliard, coll. « Archives », 1980), avait eu cette formule disant que le bal préfectoral pourrait constituer un merveilleux objet d’étude pour le sociologue. En effet, il n’était pas simplement un élément de mondanité à côté de la politique, mais, en réalité, il renvoyait au cœur même du rôle politique des préfets. Fondamentalement, la mission confiée aux préfets au XIXe siècle consistait à s’efforcer de rallier les élites, à essayer de les faire cohabiter et coexister au sein d’un même espace social même lorsqu’elles s’étaient déchirées politiquement et continuaient de s’opposer. Le bal était dès lors considéré comme un outil de gouvernement efficace afin d’opérer ce difficile rapprochement, et, en même temps, d’assurer l’adhésion de l’ensemble des élites au régime en place : on essayait en quelque sorte de faire primer la sociologie sur l'histoire, à travers l’activation d’habitus communs dans un rite social partagé. Le bal possédait pour toutes les parties en présence une valeur de langage politique. Refuser l’invitation du préfet consistait à dire que l’on n’approuvait pas le régime en place : c’est ce qu’ont fait par exemple les élites légitimistes et royalistes sous les régimes qu’elles considéraient comme trop libéraux ou démocratiques, la monarchie de Juillet et la IIIe République. Par leur abstention, elles ont adressé un signe politique au pouvoir. Inversement, pour un préfet, réussir à réunir toutes les élites du département dans son salon – ou pour un sous-préfet, de l’arrondissement –, était une réussite majeure.
Concernant la littérature de l’époque au sujet des préfets, tout un chapitre de votre livre revient sur les déconstructions romanesques et théâtrales de l'autorité préfectorale. La représentation littéraire du rôle des préfets insiste largement sur les aspects d’incarnation, de représentation et sur les usages sociaux. Votre propos recèle d'exemples pas toujours connus car il est vrai qu'on a davantage en tête les figures les plus célèbres comme le baron Haussmann. Même si « le sous-préfet aux champs » d’Alphonse Daudet est assez connu, dans une forme de caricature caractéristique de l’époque. Vous le dites d'ailleurs, la littérature et la caricature véhiculent une vision moqueuse de l'institution préfectorale et cela nous apprend beaucoup sur ce que les élites, mais aussi le peuple, pensent de ses représentants de l'État. Et vous montrez de ce point de vue que représenter l'État pour un régime autoritaire comme un empire, n'est pas exactement la même chose que sous la République, qui laisse davantage de place à la presse et aux littérateurs pour tourner en dérision cette institution. Pensez-vous malgré tout que celle-ci était finalement quand même plus respectée que ce que la littérature – même si la littérature ne fait pas que s’en moquer ! – peut nous rapporter ?
C'est une question très intéressante et très complexe. La littérature, évidemment, est plus bavarde que les paysans ou les ouvriers du XIXe siècle qui n'ont pas laissé de traces de leurs sentiments et de leurs opinions à l'égard des préfets. On pourrait donc avoir l'impression que l’image du préfet dans la littérature correspond à une appréciation universelle à cette époque. Or, cette image est en effet presque entièrement dévalorisante. Il faut en conséquence savoir faire la part des choses et trouver d'autres sources afin de restituer les sentiments des Français à leur égard. Certains faits rapportés dans la presse, par exemple, peuvent montrer l'attachement de certains administrés, dans certains contextes, pour tel ou tel préfet ou sous-préfet. J'évoque dans le livre, même si c'est un cas assez exceptionnel, le cas du préfet Janvier, dans la deuxième moitié du siècle, qui a su susciter des manifestations d'attachement absolument extraordinaires, au sens premier du mot. Lorsqu'il est tout jeune sous-préfet à Dinan, au moment de la Révolution de 1848 - il y avait été nommé juste un an avant - des pages et des pages de pétition sont signées non pas par des notables mais par des ouvriers de Dinan pour réclamer son maintien. De même, lorsqu'il est destitué en avril 1868 de son poste de préfet d'Evreux, une manifestation de 20 000 personnes tente de l'empêcher de partir. Certes, ce préfet a utilisé des méthodes peu orthodoxes pour être aimé : il distribuait de l'argent public en faisant croire que cela correspondait à des libéralités personnelles… Toutefois, des préfets et sous-préfets beaucoup plus honnêtes, ce qui était le cas de presque tous ces hauts fonctionnaires, ont su également nouer un lien très fort avec les populations départementales.
La littérature ne permet jamais d’apercevoir ces liens et en cela elle cache une partie des réalités de ce siècle. Toutefois, de façon plus sociologique, elle révèle parfaitement certains mécanismes de construction du rôle préfectoral, dont elle ne cesse de se moquer. Au-delà des chefs-d’œuvre, par exemple le Lucien Leuwen de Stendhal, certains auteurs vraiment exécrables – il faut un sacré courage pour être historien et lire certains mauvais romans en série ! – décrivent ainsi de manière très précise la mécanique de la construction symbolique de la représentation et de l'incarnation préfectorale, en s'attaquant en particulier au prestige du représentant de l'État, pour réduire son l'autorité. C'est pourquoi j'ai appelé le chapitre consacré aux images littéraires : « Le préfet en robe de chambre ». Il y a en effet plusieurs cas de préfets et sous-préfets en robe de chambre dans les romans et les pièces de théâtre du XIXe siècle. Les représenter ainsi revenait à les dépouiller de leur uniforme, à faire voir – au sens littéral - que leur autorité était nulle sans cette fabrique symbolique. Seule la littérature et la scène théâtrale, quel que soit le niveau de ces productions, ont attaqué l’institution préfectorale sur ce registre, elles seules ont su mettre en lumière ces mécanismes au cœur de la construction de l’institution et de son rôle.
Concernant l'aspect plus politique, même si on se représente assez bien ce que ce qu'est l'institution préfectorale aujourd'hui, il y n’existe pas forcément une littérature académique très abondante, y compris en science politique. D'ailleurs, sur l'institution préfectorale, on n’en reste parfois à la figure décrite par le sociologue Pierre Grémion dans Le pouvoir périphérique (Seuil, 1976)… c'est donc une institution à la fois connue (en pratique) et assez méconnue (en théorie). Au sujet de l'avancement de carrière, même si le statut est venu encadrer tout cela, vous expliquez que c'était absolument arbitraire au XIXe siècle et que c'était une des prérogatives gardées jalousement par le pouvoir exécutif – ce qui est toujours, d'une certaine manière, le cas. Mais le cœur du sujet de la réforme actuelle, qui fait finalement le lien entre le XIXe siècle et aujourd’hui, c’est le rapport entre la carrière préfectorale et les carrières politiques. Est-ce que cette frontière entre les sphères administratives et politiques était plus poreuse au XIXe siècle ou, au contraire, cela est-il apparu plus tard (on pense en particulier à la Ve République, marquée par le poids des élites technocratiques, venues peupler les cabinets ministériels et les gouvernements) ?
Le métier de préfet s'est construit peu à peu. Passer du notable au préfet ne sous-entend pas la même trajectoire que de passer du technicien du droit (ou de l’économie) à l’administrateur de l’Etat. Une dimension technique du métier s’est diffusée peu à peu avec la professionnalisation des hauts fonctionnaires. En même temps, comme l’ont montré beaucoup de politistes et d’historiens, notamment Michel Offerlé, le métier politique s’est construit avec son répertoire de savoir-faire dans la conquête des voix lors des élections. La trajectoire est finalement assez similaire puisqu’on est passé, là aussi, du notable au professionnel de la politique. J'essaye de montrer à la fin de l'ouvrage que cette double professionnalisation aboutit à un éloignement entre les deux mondes avec des formes de spécialisations spécifiques, qui se recoupent moins qu’auparavant. Je rappelle cependant aussi ce que la professionnalisation politique doit à des savoir-faire préfectoraux antérieurs, dans la séduction des populations départementales. La tournée administrative précède la campagne électorale, et l’annonce en partie. Ainsi, un certain nombre des savoir-faire politiques qui se mettent en place au cours du XIXe siècle correspondent à un héritage de certaines pratiques préfectorales. D’ailleurs, un nombre non négligeable de sous-préfets et préfets du XIXe siècle ont prolongé leur carrière administrative par une carrière politique sans rompre de façon très nette avec leurs pratiques antérieures de relations aux populations. Avec l’établissement de la République, c’est bien la figure démocratique de l'élu qui devient progressivement supérieure localement au haut fonctionnaire nommé par le pouvoir central – et c'est sans doute une très bonne chose.
C'est en effet le sens de vos derniers chapitres avec l’émergence d’un régime démocratique, ou en tout cas en voie de démocratisation. Mais, en définitive, la particularité de la sociabilité préfectorale, cet « art de plaire » que vous décrivez, pour gagner les sympathies et être reconnu comme un personnage essentiel à la société politique locale, n'est-ce pas tout simplement la prolongation de la « société de cour » qui existe au niveau central, quel que soit le régime d'ailleurs, qu'il soit monarchique, impérial ou républicain ?
Oui si l’on précise que le XIXe siècle constitue justement cette période de transition entre cette culture monarchique et curiale et la culture républicaine de la séduction démocratique en campagne électorale. Le préfet est un personnage public, il est institué comme un personnage public qui fait un peu le lien entre ces cultures politiques. En étudiant les pratiques préfectorales du XIXe siècle, on ne peut qu’adhérer à l’idée de La persistance de l'Ancien Régime (selon le titre d’un livre classique de l’historien Arno Mayer), mais en même temps, on observe à travers ces hauts fonctionnaires la naissance de la France démocratique, à la fois dans les critiques qu’ils subissent en tant que « grands seigneurs » abusant de leur autorité, et dans les pratiques de proximité qu’ils adoptent ou cherchent à adopter. En outre, beaucoup d’entre eux ont fait avancer sans la nommer ainsi l’idée de « service public », par exemple en contribuant à l’aménagement du territoire.
C'est en cela, pour cette transition entre deux mondes, que XIXe siècle m'intéresse particulièrement. Au cours de ce siècle, les préfets ont pu constituer une figure très archaïque - c’est en partie pour cela qu’ils étaient l’objet de moqueries des opposants politiques et des écrivains – mais ils étaient aussi porteurs, qu’on l’aperçoive ou non, d’une certaine modernité. Ils ont beaucoup contribué en tout cas à la modernisation des sociétés provinciales.