L’historien Frédéric Sallée revient de manière accessible sur un certain nombre d’idées reçues à propos du nazisme.

Après Sur les chemins de terre brune, 1933-1939   , paru en 2017, le spécialiste Frédéric Sallée revient avec Anatomine du nazisme, un livre atypique. Dans la même veine que l'ouvrage de Johann Chapoutot, Comprendre le nazisme   , le livre de Frédéric Sallée vise à faire comprendre certains aspects de cette idéologie en quelques pages. Il s’apparente donc à un livre de vulgarisation et non à une interprétation originale du phénomène.

Ce type d'ouvrage est depuis quelques temps à la mode sur ce sujet. Il s'agit d'une réponse historienne au développement de théories souvent douteuses sur cette idéologie, en particulier sur les réseaux sociaux. C'est aussi une manière de répondre aux partis d’extrême droite qui, partout en Europe, reprennent parfois des poncifs sur le sujet, en les déformant ou en extrapolant. Frédéric Sallée fait donc ici une œuvre historienne salutaire en expliquant et en s'appuyant sur les sources (textes cités en appui) de nombreux éléments du nazisme.

Dans la lignée du débat né autour de la publication d'un Mein Kampf doté d'un appareil critique établi par des historiens (ce qui s'est fait en Allemagne, mais pas encore en France), Sallée montre avec son Anatomie du nazisme que l'explication et la pédagogie autour de cette idéologie doivent continuer de se faire par des spécialistes. Cela afin d'éviter de retrouver des erreurs ou des détournements de la vérité historique, très présents dans la sphère publique en France, mais aussi en Allemagne.

 

Une analyse des grands aspects de l'idéologie nazie

Anatomie du nazisme est divisé en cinq grandes parties complémentaires. La première cherche à comprendre les origines du national-socialisme en posant des questions sur les éventuelles similitudes avec le fascisme italien, ses liens avec le patronat ou encore l'utilisation du mot « socialiste » dans la terminologie du parti. L'idée est ici de partir des racines de l'idéologie pour comprendre son évolution. Il y a d'ailleurs une volonté de détacher nazisme et Hitler qui ne fut pas, loin s’en faut, le seul à construire cette idéologie.

Dans un second temps, Sallée analyse la gestation du nazisme en tant que parti politique. Intitulée « Du mouvement au régime politique », cette partie cherche à comprendre les mécanismes politiques, économiques et sociaux qui ont fait de ce groupuscule d'extrême droite dans les années 1920 le fossoyeur de la république de Weimar au début de la décennie suivante. Certains aspects sont ici classiques (le rôle de la crise de 1929), d'autres moins, comme l'ancrage rural du nazisme, parfaitement analysé par l'auteur, ou encore le rôle des femmes dans cette idéologie longtemps perçue comme avant tout masculine, voire machiste. De même, dans la veine de ce qu'a exposé Nikolaus Wachsmann dans sa somme sur le fonctionnement du système concentrationnaire nazi   , Sallée montre que la prise du pouvoir par les nazis en 1933 a été tout sauf pacifique.

La troisième partie, sans doute la plus connue, est consacrée à l'analyse de l'installation des nazis au pouvoir avec la mise en place des camps dès 1933, des lois raciales de Nuremberg (1935), de l'élimination de ceux qui pourraient faire de l'ombre au Führer au sein du NSDAP (assassinat de Röhm et limitation du rôle des SA en 1934). Le rappel sur les oppositions au nazisme au sein du peuple allemand est quant à lui salutaire : il permet de redire au grand public que tous les Allemands n'étaient pas nazis. Sallée montre d'ailleurs que cette opposition va plus loin que les mouvements connus, comme « La Rose blanche » de Hans et Sophie Scholl, ou les actions d'éclat, comme l'attentat manqué de 1944 par Von Stauffenberg.

L'avant-dernière partie est consacrée à la politique génocidaire nazie. Sallée rappelle ici les débats entre les intentionnalistes, c'est à dire les historiens qui pensent que le nazisme, dès ses origines, avait pour but d'éliminer les Juifs, et les fonctionnalistes qui pensent qu'il s'est adapté à l'évolution de la Seconde Guerre mondiale. L'auteur défend une position qui fait aujourd'hui consensus, celle d'un point médian entre les deux thèses. Il se charge aussi d'expliquer le vocabulaire du génocide des Juifs et son évolution sémantique. Ainsi, Auschwitz et Treblinka sont aujourd'hui plutôt qualifiés de « centres de mise à mort » par exemple, ou la création du concept de « Shoah par balles », désormais inopérant, que l'on trouve encore dans les manuels du secondaire malgré les critiques de nombreux spécialistes comme Christian Ingrao.

Enfin, dans la dernière partie, Sallée s'attache à étudier la mémoire du nazisme en montrant notamment que l'idéologie n'est bien sûr pas morte dans le bunker avec Hitler en 1945. Elle s'est par ailleurs largement exportée, dès la Seconde Guerre mondiale, hors d'Allemagne, avec Degrelle en Belgique ou Quissling en Norvège, qui sont les cas de nazisme les plus « aboutis » en dehors du IIIe Reich. Sallée montre aussi comment, à travers les œuvres de fiction, en Allemagne notamment dans les années 2000 (La Chute par exemple), Hitler et le nazisme ont pu être regardés en face, ce qui, selon Nicolas Patin, a créé une certaine « dédramatisation du sujet Hitler outre-Rhin ».

 

Combattre des idées reçues sur le nazisme, jusqu'à aujourd'hui

« Cette Anatomie du nazisme propose donc de plonger aux racines du phénomène et de battre en brèche les idées reçues ayant pollué et fragmenté son histoire et sa mémoire ». Cette phrase de la quatrième de couverture de l'ouvrage résume donc parfaitement l'objectif de l'auteur et de l'éditeur. Paru chez Le Cavalier Bleu, dans une collection intitulée « Idées reçues », Anatomie du nazisme est donc avant tout un ouvrage destiné à expliquer plus qu'à renouveler notre connaissance du sujet.

Pour autant, Sallée livre un vrai travail d'historien, fouillé, précis mais sans se perdre dans les détails. Il n'y a certes pas de notes, juste un lexique explicatif et une bibliographie sommaire mais suffisante pour des novices sur la question. La publication d'un lexique des termes allemands les plus fréquemment usités pour qualifier certains aspects du nazisme est par ailleurs bienvenue : il s'agit de montrer, avec le vocabulaire approprié, de nombreuses notions souvent complexes. Comme Johann Chapoutot et Christian Ingrao dans leur récente et brève biographie d'Hitler   , Frédéric Sallée n’entend pas écrire une somme qui doit faire date sur le nazisme. D'ailleurs, dans les deux ouvrages, les auteurs font œuvre de modestie et notent que l'essentiel a été écrit sur ce thème depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Anatomie du nazisme doit donc se lire pour ce qu'il est : un ouvrage d'historien qui fait ici un travail de vulgarisation, dans le bon sens du terme, celui de l'explication compréhensible et intelligible par le plus grand nombre. Le pari de Sallée est réussi.