Une analyse accessible des grands aspects du nazisme par son spécialiste français, Johann Chapoutot, à partir du recueil de plusieurs interventions dans les médias.
Comprendre le nazisme est un livre d'entretiens regroupés par Johann Chapoutot. Il propose ainsi au lecteur, dans de courts articles, des éclairages vifs et précis sur des aspects spécifiques du régime nazi et de son idéologie. Cet ouvrage n'est donc pas construit comme un livre à part entière, mais comme une juxtaposition d'articles. Il n'y a toutefois pas de manque d'unité car la production de Chapoutot sur le sujet est relativement importante. Comprendre le nazisme ne doit pas être vu comme une « somme » complète et définitive sur l'étude de ce phénomène qui toucha l'Allemagne et l'Europe dans les années 1930-1940. Il s'agit ici plutôt d'aborder cette question complexe par le biais d'articles, de retranscriptions d'interviews ou d'émissions radio.
Le fait qu'il n'y ait pas continuité entre les articles, même s'ils sont regroupés par thèmes, permet au lecteur de lire l'ouvrage en accédant directement à l'item choisit, sans besoin d'avoir tout lu auparavant. Cette sorte de « zapping » éditorial donne une certaine vivacité à l'ouvrage dont les contenus sont ainsi plus dynamiques et ne souffrent pas de longueurs. La diversité des articles retranscrits permet au lecteur d'aborder le nazisme par de nombreux biais : l'idéologie mais aussi les hommes eux-mêmes et leurs actes. Voir les nazis à travers les sources issues de leurs victimes ou de ceux qui leur ont résisté est aussi un choix fort de Chapoutot.
Comprendre le nazisme est donc un ouvrage grand public qui permet de rentrer dans l'étude de l'idéologie nazie, à l'image de la biographie d'Hitler qu'il vient de réaliser avec Christian Ingrao aux PUF et qui a été, en septembre 2018, au cœur d'une polémique dans le Monde des livres à la suite d'une critique assez acérée d'André Loez.
Étudier le nazisme sur la longue durée
L'une des spécialités de Chapoutot, c'est d'étudier l'utilisation dans la pensée nazie d'aspects historiques anciens, tel qu'il a pu le faire dans sa thèse sur les rapports entretenus par cette idéologie avec l'Antiquité. Cette thématique, centrale dans ses travaux, est ici en partie résumée à travers un entretien avec Philippe Douroux dans Libération en 2015 intitulé « Les nazis, les Allemands et les Grecs » et la retranscription de l'émission radio de France Culture « Concordance des temps » avec Jean-Noël Jeanneney intitulée « L'Allemagne et la Grèce ».
Cette étude du nazisme sur le temps long a aussi une nécessité épistémologique : il s'agit pour Chapoutot de comprendre quelle est la vision de l'Histoire et du monde des nazis. L'historien essaie de montrer comment ceux-ci ont instrumentalisé l'Histoire pour servir leur pensée politique, comme il le met en avant dans la retranscription de l'émission radio « La Marche de l'Histoire » intitulée « De la Fable à la norme : réécriture de l'histoire et "révolution culturelle" ». Il démontre bien qu'en s'intéressant à certains aspects précis de l'histoire antique, qu'ils déforment (à l'image du mythe des « barbares ») les nazis servent avant tout leur politique contemporaine. L'étude de la longue durée est donc intéressante et abordée par plusieurs biais de l'antiquité gréco-romaine.
Dans une autre partie de Comprendre le nazisme, Chapoutot a regroupé des articles qui étudient l'évolution de la mémoire du nazisme des années 1930 jusqu'à aujourd'hui. Il pose ici des questions pertinentes en proie avec l'actualité et la montée des extrémismes dans différents pays européens, dont l'Allemagne avec l'AFD. Ainsi, à travers « Vivons nous un retour des années 1930 » ou « Fallait-il rééditer Mein Kampf », l'historien vient nourrir le débat public. D'autres débats plus épistémologiques sont aussi abordés comme « Historien ou apologète, le cas Nolte » ou « Après le nazisme : temporalité du chercheur, historicité de la recherche ». Ces articles sont brefs (entre trois et cinq pages) mais proposent un point précis sur le sujet.
Le nazisme en miroir : bourreaux, victimes et résistants
Un des choix fort de Johann Chapoutot dans Comprendre le nazisme est d'avoir mis dans une même partie l'étude des nazis à travers leurs sources, mais aussi via le regard de leurs victimes ou des ceux qui ont résisté. « Comment peut-on être nazi ? », question délicate et présentée ici en finesse par Chapoutot dans une conférence donnée au musée de la Shoah. « Devenir Hitler » ou « Henrich Himmler, le crime et l'intimité », l'historien cherche ici, par la présentation de ces nazis et de leur parcours à comprendre les mécanismes qui ont fait que ces derniers ont pu mettre en place leur idéologie raciste et antisémite puis de prendre le pouvoir. Une démarche à rapprocher de celle de Nicolas Patin dans Kruger, un bourreau ordinaire. Les spécialistes actuels du nazisme cherchent donc à mettre en avant les mécanismes socio-politiques qui ont fait basculer ces hommes dans l'horreur et innommable durant la Seconde Guerre mondiale.
Chapoutot montre dans la même partie que rien n'était écrit avant la crise des années 1930. Il met l'accent sur Weimar qui, malgré ses handicaps liminaires (guerre civile contre les communistes, troubles à l'ordre public par les corps-francs, signature du traité de Versailles largement perçu outre-Rhin comme un diktat) a su redresser la barre dans les années 1920 mais s'est heurtée à la crise économique qui l'a finalement emportée. Les nazis ont donc bénéficié du contexte pour arriver au pouvoir plus que de leurs qualités politiques. Cette analyse n'est pas nouvelle mais elle est rappelée fort à propos par Chapoutot. Il en va de même en ce qui concerne la résistance allemande au nazisme qui est simplement présentée. L'intérêt est ici de montrer que derrière la Rose Blanche de Hans et Sophie Scholl, il y eut finalement beaucoup d'Allemands qui ont essayé de s'opposer à Hitler. Il présente d'ailleurs ici un aspect plus méconnu : la concurrence des mémoires entre les résistants de gauche, plutôt mis en avant après-guerre dans la RDA et celle davantage chrétienne (comme la Rose Blanche) en RFA.
Nazisme : normes et actes
Cette partie n'est pas la plus novatrice, mais elle est sans doute la plus importante du livre car elle permet de comprendre comment les nazis se sont servis de leur discours pour en venir aux actes, c'est à dire de voir comment ils ont pu commettre autant de massacres de leur arrivée au pouvoir à 1945. Elle est importante car Chapoutot prend soin d'y présenter au public, à travers des articles comme « Oradour et les chiens de l'enfer », « L'avenir appartient à celui qui contrôle la jeunesse » ou « L'antisémitisme et la “Solution finale” », comment les nazis ont pu, au nom de leur idéologie, massacrer autant de civils durant la Seconde Guerre mondiale. Rien de neuf donc, mais une analyse historienne de Chapoutot qui présente les faits et questionne à travers eux son public actuel.
« Peut-on faire l'histoire du nazisme ? » se demande-t-il. Il ne s'agit pas ici d'une question de rhétorique mais d'une vraie interrogation qui taraude et hante l'historien depuis longtemps. Chapoutot avoue être aujourd'hui « touché » après autant d'années de recherches à travers de nombreux fonds d'archives où il a traqué le nazisme pour le comprendre et l'expliquer avec l'appareil scientifique et les méthodes dont dispose l'historien. Il écrit aussi vouloir prendre du recul sur son travail.
Comprendre le nazisme est donc une synthèse de ses recherches, publications et interventions marquantes dans les médias. D'une lecture aisée, cet ouvrage permet une meilleure compréhension du nazisme mais il n'est pas suffisant. Il est une entrée dans l'étude scientifique de cette idéologie qu'il conviendra de compléter par de nombreuses lectures annexes (Kershaw, Wachsmann, Sallée, Ingrao...). Comprendre le nazisme est une étude synthétique, mais non exhaustive, sur cette idéologie violente et radicale où Chapoutot fait œuvre de pédagogie pour expliquer ce qui est parfois innommable. Un vrai travail d'historien et de professeur à destination du plus grand nombre.