Trois beaux livres renouvellent l'approche des récits de voyages par la qualité des textes et des photographies, actuelles ou historiques.

En cette période de fin d’année, propice aux « beaux livres » à offrir (ou à s’offrir) pour les fêtes, voici trois beaux spécimens au sujet des voyages, constituant des récits documentés à la fois contemporains et historiques. Il faut d’ailleurs remarquer que cette tradition éditoriale des « beaux livres » (de voyages en particulier) perdure par-delà la multiplication de blogs ou autres comptes Instagram, prompts à véhiculer « l’évasion » à chaque coin de rue ou presque… témoignant ainsi que l’objet « récits et photos de voyage », loin d’être une mode anecdotique, continue d’être à la fois une source archivistique et historique essentielle et un élément inspirant de la création artistique et littéraire contemporaine.

 

Un trésor de photographies historiques

Le premier ouvrage ici recensé (Les premiers voyageurs photographes. 1850-1914) correspond ainsi parfaitement à la première catégorie, tandis que les deux autres (Un an à vélo. D’Amsterdam à Singapour et A travers les montagnes d’Europe. Roadtrip), dont les auteurs sont des voyageurs de la « nouvelle génération » (très connectée) relève de la seconde.

Fruit d’un magnifique travail d’archives de la Bibliothèque nationale de France et de la Société française de géographie (la première créée dans le monde, en 1821), l’ouvrage Les premiers voyageurs photographes. 1850-1914, coordonné par Olivier Loiseaux, constitue un « trésor photographique » (sur le modèle de l’ouvrage Trésors du Quai d’Orsay. Un siècle d’archives photographiques, Flammarion, 2014) utile à la fois aux historiens, aux géographes et aux ethnologues, spécialistes du XIXe siècle. Etant en effet à la fois un livre d’histoire du monde et de la photographie, ce beau volume constitue une invitation au voyage, à la découverte de civilisations lointaines, grâce à des clichés d’époque pris sur le vif par des explorateurs typiques de cette période d’expansion des sciences (scientifiques et humaines) et de colonialisme triomphant. Cela est illustré par des documents photographiques rares par lesquels le colon a notamment immortalisé sa rencontre avec le « bon sauvage » dans des terres éloignées des continents africain, américain ou asiatique… rappelant d’une certaine manière (sans choquer en l’occurrence outre-mesure concernant l’ouvrage d’Olivier Loiseaux) les récentes polémiques au sujet du récent « beau livre » Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Christelle Taraud et Dominic Thomas.

 

Une nouvelle génération de récits illustrés de voyage

Quant aux deux carnets de route (ou roadtrips), merveilleusement illustrés, des deux jeunes « globe-trotters » néérlandais (Martijn Doolaard) et belge (Johan Lolos), ils incarnent parfaitement la tendance actuelle visant à « esthétiser » des voyages initiatiques d’individus contemporains totalement connectés à leurs semblables mais recherchant la solitude et les grands espaces.

Sur un mode moins misanthrope que les livres à succès d’un Sylvain Tesson (à pied, en traîneau, en side-car…), et sans l'ambition intellectuelle des récits pédestres d'Antoine de Baecque et d'Axel Kahn, l’immense pérégrination cycliste d’une année d’Amsterdam à Singapour (en passant par les confins de l’Europe centrale et orientale, les déserts de l’Anatolie et de l’Iran, les montagnes du Kyrgyzstan ou les temples de Birmanie) de Martijn Doolaard se présente comme une manière de partir à la rencontre d’autres peuples et de partager ses découvertes, ses émotions et les difficultés du voyage par la seule force des pédales (sauf une partie réalisée en avion pour traverser la chaîne himalayenne). Avec un format « hors norme », à la mesure d'un périple cycliste de plus de 16 000 kilomètres (moyennant 7 crevaisons et 12 kilos de perdus), le livre est illustré de ses splendides photos : des paysages à couper le souffle, des femmes et des hommes rencontrés sur la route, la frénésie des villes d’Asie, la pureté des ciels des terres inoccupées… un ouvage exemplaire de la nouvelle approche des récits illustrés de voyage.

Enfin, le récit illustré de Johan Lolos, s’il est moins écologique dans sa locomotion (liaisons effectuées avec un 4x4 qui lui sert également de logis), permet également de parcourir 40 000 kilomètres et de sillonner 17 pays européens (pas seulement alpins, mais aussi nordiques et balkaniques), de sommets en vallées et d'alpages en rivages, grâce à des clichés remarquables (notamment postés tout au long de ce voyage de 145 jours sur Instagram). La démarche éditoriale est ici tout autre – et en phase avec l’époque, bien différente des reportages coloniaux du premier ouvrage – puisqu’après avoir conquis une vaste communauté de « fans » sur les réseaux sociaux, ce livre est une sélection de ses 200 images préférées, souvent inédites, accompagnées par des textes qui conservent la spontanéité des échanges sur la Toile.

Ces trois (beaux) objets de récits et de photographies de voyage témoignent ainsi de l’évolution de leurs formes dans le temps, mais aussi de l’intemporalité de la soif de découverte de l’être humain à travers tous les continents