nonfiction.fr : Est-ce que certains des membres du comité de rédaction n’ont pas peur d’être assimilés à une revue très à droite ?

Jean-Claude Casanova : Serait-il, par principe, honorable, courageux et désintéressé d’être assimilé à une revue de gauche ? Si vous mettez à droite, disons la politique américaine au Moyen-Orient ? Sur ce sujet notre comité est sans doute divisé, comme il est normal sur toute grande question politique dont l’issue est incertaine et les enjeux multiples. Nous faisons parfois des votes entre nous et nous constatons des divisions très fortes. Nous nous amusons toujours avant les élections… Sarkozy avait une majorité, mais juste.


nonfiction.fr : Le deuxième c’était Bayrou ?

Jean-Claude Casanova : Bayrou et Ségolène. Bayrou avait plus de voix au début. Ma conviction politique personnelle, en politique intérieure française, qui n’est pas pour moi la préoccupation principale ; je me sens proche du centre si vous voulez, de l’ancienne U.D.F. Sur cette position je suis certainement minoritaire au sein du comité de rédaction. Parmi les lecteurs, je ne sais pas. Mais je ne peux pas dire que je m’intéresse exclusivement à ça, et on ne peut pas dire que la revue…


nonfiction.fr : Avez-vous, selon votre initiative ou à la demande de François Bayrou, fait rencontrer certains intellectuels pour l’aider à concevoir un peu son programme ?

Jean-Claude Casanova : Non. Nous pouvons avoir des amis communs. Bourlanges est un des animateurs de la revue, et il était très proche de Bayrou, mais il a rompu avec le Modem.


nonfiction.fr : Il y a Philippe Meyer aussi.

Jean-Claude Casanova : Philippe Meyer oui, mais Philippe, chez nous, ne s’est jamais vraiment occupé de politique, il s’est plutôt occupé de société, de culture ou d’art, ou de musique, et quand il vient aux réunions, c’est plutôt pour parler de ça. Mais vous savez, dans la vie politique ordinaire, dans la France d’aujourd’hui, il n’y a plus de grand clivage idéologique. Besançon vote à droite mais se détermine sur la politique étrangère et les réformes, Philippe Raynaud a sa voie, Manent aussi, nous ne prenons pas de positions collectives et concertées. Nos opinions, nos positions peuvent varier. Admettez deux choses : les différences sont faibles et variables, elles existent, elles ne sont pas dirimantes sur l’essentiel : la liberté de notre vie intellectuelle et le sérieux avec lequel nous prenons la politique. Aux élections de 1981, je ne suis pas sûr que la majorité du comité de rédaction ait voté Giscard. Kostas Papaïoannou était pro-Mitterrand, mais anticommuniste. Comme mon père était UDSR, je n’ai jamais pris Mitterrand pour un homme de gauche… ce sont les crédules de gauche qui prenaient Mitterrand pour un homme de gauche. Vous trouverez des citations amusantes de Mitterrand dans Commentaire, où il dit : "mes auteurs favoris sont Jacques Chardonne et Drieu La Rochelle, mais ne le dites pas trop, ça risque de heurter mes camarades", etc. Nous avons même une lettre de Mitterrand, parce qu’on s’était amusé à faire un pastiche d’une lettre d’Anatole France à Mitterrand sur la Révolution française qui n’est pas un bloc, disant : "vous avez dit des choses tout à fait déraisonnables sur la Révolution française, Anatole France avait critiqué Clémenceau, je vous invite à visiter le cimetière de Picpus", et François Mitterrand a écrit à Anatole France, aux bons soins de la revue Commentaire, pour lui dire "vous avez tout à fait raison, je vais aller visiter le cimetière de Picpus".
 
Pour revenir à cette élection de 81, il y avait quelques partisans de Marie-France Garraud dans le comité de rédaction de Commentaire, dont Lazitch, qui ignorait que cette candidature avait été facilitée par Mitterrand, comme nous l’avons révélé, preuves à l’appui… Ça ne donne pas une idée parfaite du réalisme politique de tous les rédacteurs de Commentaire. Mais cela montre que la politique intérieure n’est pas essentielle à nos yeux. Les idées comptent davantage.


>> Voir les extraits vidéos.

>> La version écrite de l'entretien est en onze parties :