Chercheur au Laboratoire SAGE à l'Université de Strasbourg, spécialiste du personnel politique, Sébastien Michon parle de son dernier livre.

Nonfiction : Votre ouvrage collectif Dans l'ombre des élus. Une sociologie des collaborateurs politique   , codirigé avec Willy Beauvallet, cherche à mettre le projecteur sur l’entourage des élus, à des échelles et dans des contextes très divers : collaborateurs et famille des parlementaires nationaux – il en a beaucoup été question lors de la dernière campagne présidentielle... –, administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, directeurs généraux des collectivités territoriales, cabinets d’élus locaux, permanents de partis politiques…Finalement, en quoi ces « auxiliaires » – qui ne sont d’ailleurs pas toujours secondaires, loin s’en faut, dans la prise de décision des élus – révèlent-ils une part du fonctionnement de notre système politique ?

Sébastien Michon : Ils révèlent surtout une transformation du champ politique. Les collaborateurs politiques et les entourages des élus n’étaient pas aussi présents il y a quarante ans. Les postes d’assistants et de collaborateurs parlementaires ont en réalité été créés et institutionnalisés assez récemment (1975 et 1976 à l’Assemblée nationale et au Sénat) et, dans les collectivités territoriales, c’est bien évidemment la décentralisation qui a constitué le point de départ, à partir des années 1980, avec une forte présidentialisation de ces gouvernements locaux, qui ont employé de plus en plus de collaborateurs autour du maire ou président. Les chercheurs Didier Demazière et Patrick Le Lidec, à la fin des années 2000, comptaient environ 7500 collaborateurs autour des élus locaux et je pense qu’on est largement au-dessus désormais – les études montent que ces emplois se développent – et dans les assemblées parlementaires, on voit qu’il y a de plus en plus d’assistants. Il est vrai que les postes d’élus se sont multipliés à tous les niveaux, du local à l’Europe. Il y a aussi plus de fonctions électives que dans les années 1970.

Cela constitue de manière générale une transformation structurelle du champ politique, qui va de pair avec le phénomène de professionnalisation politique.

Qu’y a-t-il de commun entre un haut fonctionnaire tel qu’un administrateur des assemblées ou un directeur général d’une grande collectivité territoriale et un simple assistant ou collaborateur d’élu en circonscription ? Ne peut-on pas opérer des distinctions d’une certaine manière, parmi les entourages d’élus, entre les plus essentiels – sur le modèle des cabinets ministériels – et les « petites mains » de la politique ?

Le point commun de ces collaborateurs est d’être dans les coulisses et non dans la lumière. D’un point de vue médiatique, en particulier, on a tendance à retenir que les figures de proue (les ministres, les maires…) alors qu’autour d’eux, de nombreuses personnes contribuent également à produire l’action publique. Et le grand public a eu tendance à découvrir récemment un certain nombre de fonctions « de l’ombre » (les collaborateurs parlementaires en particulier).

Il existe néanmoins de nombreuses différences et parmi ces postes des entourages, il existe en effet des élites administratives – les administrateurs des assemblées (faisant l’objet d’un chapitre dédié) pouvant se rapprocher des énarques du point de vue de la sélectivité de leurs concours de recrutement –, c’est-à-dire des fonctionnaires de grade élevé – c’est le cas également des directeurs généraux des grandes collectivités territoriales –, qui ne sont pas en tant que tels au service des élus, et, d’un autre côté, des contractuels à durée déterminée… Certains sont bien entendu mieux payés et plus centraux que d’autres, certains sont des bras droits ou des éminences grises des élus, tandis que d’autres effectuent des tâches proches du secrétariat… Il y a effectivement une grande disparité entre ces fonctions.

Mais, cependant, il ne faut pas non plus trop fermer le cercle et considérer trop restrictivement les collaborateurs d’élus… En réalité, autour des élus, il n’existe pas que des entourages administratifs et politiques et il existe aussi – les « affaires » l’ont révélé pendant la dernière campagne présidentielle – des membres de la famille et c’est ce périmètre large de ces équipes que nous avons voulu pointer. Et il n’est pas toujours simple de bien distinguer les rôles de chacun des membres de ces entourages, en réalité variables selon les élus…Mais tous ces acteurs contribuent au travail politique.

Entre les publications récentes sur les cabinets ministériels (Le règne des entourages) et sur les évolutions de la profession politique (Métier : député), comment expliquez-vous cet engouement actuel dans la littérature universitaire pour l’analyse des collaborateurs politiques ? A l’heure où ceux-ci ont tendance à être décriés et où ces collaborateurs se réduisent – dans les cabinets ministériels notamment –, comment expliquer que l’on parle autant aujourd’hui des hommes et des femmes « de l’ombre » ?

Concernant les cabinets ministériels, la réduction est très récente et il faut voir sur le long terme si elle se poursuit… Il semble difficile de ce point de vue de produire autant que le fait actuellement le gouvernement avec aussi peu de mains dans les entourages directs des ministres…

Cette inflation des recherches sur le sujet s’explique par l’importance accrue du poids de ces entourages dans la fabrique de l’action publique et politique. Or ces passages dans les entourages sont des étapes décisives dans la vie politique des élus eux-mêmes (un tiers des députés jusqu’à 2017 étaient des anciens collaborateurs) et dans la structuration du système politique de manière générale. Un maire aujourd’hui, dans une commune de taille relativement importante, ne peut en effet pas se passer d’une équipe rapprochée, cabinet ou directeurs de services, pour mener à bien l’action publique municipale. C’est une manière de faire de la politique qui est très différente de ce qu’elle était il y a encore quelques décennies.

Il y a donc aujourd’hui une prise de conscience de l’importance de ces fonctions, sur lesquelles on connaissait finalement assez peu de choses – les « affaires » ont récemment démontré l’ignorance du grand public à cet égard –, y compris chez les analystes de la vie politique