Phénomène central dans les réflexions collectives sur la sexualité à l'ère des nouveaux médias, la pornographie est de plus en plus scrutée dans les recherches sur le cinéma et l'audiovisuel.

En un temps où études, débats et réflexions sur le sujet se multiplient, Nonfiction.fr a décidé de se pencher à son tour sur les méandres de la pornographie. Outre l’annonce de la publication à venir d’une très sérieuse revue universitaire de porn-studies   et histoire de prendre "le taureau par les cornes", nous avons donc profité de la sortie simultanée de plusieurs essais et films qui prennent "à bras le corps" l’image pornographique audiovisuelle.  Tour à tour, les réflexions esthétiques, philosophiques, sociologiques ou juridiques se succèdent pour appréhender un phénomène qui n’a sans doute pas encore trouvé un terrain de réflexion à la hauteur de son impact sur l’"économie" (à la fois marchande, technique et psychique) des sociétés contemporaines.

A l’heure où tout le monde s’accorde sur la fin du X à la papa (fini l’âge d’or de la vidéo VHS ou du grand film crypté du samedi soir sur Canal +) ainsi que sur l’apparition, voire l’envahissement, de nouvelles formes et de nouveaux formats pornographiques (triomphe d’un porno numérique gratuit, d’un porno 2.0 - fait d’amateurs-contributeurs - et d’un porno en 3D   , il est peut-être urgent de prendre le porno au sérieux et d’analyser en profondeur ce qu’il met en scène volontairement (des fantasmes), ce qu’il expose à son insu (des rapports sociaux de domination), ce qu’il dissimule (d’autres possibles sexuels), ce qu’il engage (le désir et les corps de ses interprètes et de ses spectateurs).

Les réticences (gêne, réflexes moraux, etc.) à la pensée autour d’un tel domaine d’images sont légions. Ainsi, par exemple, Alain Badiou lui-même n’hésitait-il pas à titrer une de ses conférences récentes Pornographie du temps présent pour caractériser la médiocrité de nos démocraties marchandes et leur déferlement continu d’images obscènes   .  De la sorte, Badiou ne se contentait pas de critiquer la manière d’envisager le politique aujourd’hui : il montrait tout aussi bien le peu d’intérêt qu’il portait au genre ici convoqué, en le dépréciant de manière unilatérale. Or il nous a semblé, qu’à bien y regarder, la pornographie - pas n’importe laquelle, pas n’importe comment - ne relevait pas exclusivement du registre de la misérable petite jouissance privée. Donner à voir l’obscène peut certes cautionner la répétition marchande et dominatrice du regard masculin sur le monde mais peut aussi constituer une machine de vision en mesure de cerner la construction et les failles d’un certain ordre sexuel (hétéro-sexisme, patriarcat, domination masculine…).
Dans ce cas, la mise en scène explicite du sexe n’interroge pas seulement les limites de notre morale. Pour paraphraser Robbe-Grillet, la pornographie des uns reste sans doute, aujourd’hui encore, l’érotisme des autres.  Mais elle questionne aussi notre régime législatif - qu’avons-nous le droit de montrer ou pas ?, où s’arrête la liberté d’expression ? et où commence l’atteinte aux bonnes mœurs ?   .  Envisagée comme objet d’étude, la pornographie interroge aussi nos modes de relations à l’image - la pulsion scopique, comme moteur cinématographique (vouloir voir et donner à voir), n’est-elle pas fondamentalement pornographique et la démultiplication actuelle des écrans nous donne-t-elle la possibilité de "tout voir" ?  De plus, il nous a semblé important d’examiner la pornographie en allant un peu au-delà, en insistant sur l’émergence de mouvements activistes, micro-politiques, queer. Là, la performance sexuelle se fait revendication, acte de résistance, instance de libération.

Bref, penser le porno pour penser le contemporain.


Nous vous invitons tout d’abord à découvrir le hors-champ de la baise et la poésie qu’il recèle grâce au travail du plasticien et cinéaste Raphaël Siboni. Réalisateur du film Il n’y pas de rapport sexuel, il a accordé un long entretien à Fabrice Bourlez.

Vous trouverez une analyse objective et détaillée des coulisses du porno contemporain, de ses enjeux concrets et sociaux dans la chronique d’Antoine Gaudin sur l’excellent ouvrage de Matthieu Trachman qui s’impose comme une véritable ethnographie du travail pornographique.

Le texte de Laurent Jullier pose des questions éthiques et juridiques au champ du X et démontre la difficulté de définir les critères du pornographique aujourd’hui tandis que celui de Chloé Delaporte insiste sur le porno 2.0 c’est-à-dire : sur le fait que l’on ne peut envisager le porno sans réfléchir à l’émergence des nouvelles technologies et à leurs conséquences du point de vue de l’analyse de l’image.

Vous pourrez approfondir les liens entre esthétique et pornographie en lisant l’article de Jérôme Segal qui revient sur les ambiguïtés du travail d’une intellectuelle face à la pornographie : Catherine Breillat.

Thomas Muzart vous introduira à la pornographie comme une forme d’art, ambigu et déroutant, avec le cinéma iconoclaste de Bruce Labruce dont un nouveau long-métrage sort cette année.

La dimension (micro)-politique du porno version femmes est au centre de l’ouvrage de David Courbet dont Fabrice Bourlez vous propose une chronique.

Vous pourrez continuer votre réflexion post-féministe et post-porn avec la réflexion quant aux corps en relation et aux corps en résistance que vous propose l’activiste et universitaire post-féministe Rachele Borghi. Toujours sur le versant activiste, Ursula Del aguila s’est chargée d’interroger les stratégies du sexe en chroniquant l’ouvrage haut en couleurs de T Torres, Pornoterroriste.
 
Enfin, Emilie Jouvet nous a fait l’amitié de reprendre son entretien avec Silvya Duverger et Aurélie Chrestian. Elle montre qu’un "ciné sexe-positif" vise moins à promouvoir le mythe de la transgression qu’à mêler les genres, flouter les frontières, explorer les désirs.

Torrentiel, glacial ou brûlant, Nonfiction.fr vous souhaite donc, pour tout l’été, des lectures les plus jouissives possibles…

 

* Dossier coordonné par Fabrice Bourlez et Antoine Gaudin.