Sur les écrans depuis le 15 mai 2013, le documentaire sobrement intitulé Le Pouvoir de Patrick Rotman marque le premier anniversaire de l'accession de François Hollande à l'Elysée et de la composition du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Ayant reçu l'autorisation du président de la République de filmer le quotidien de l'Elysée, pendant huit longs mois – ce qui constitue une première –, c'est-à-dire du 15 mai 2012 au 15 janvier 2013, Patrick Rotman, auteur d'essais , et de documentaires pour la télévision à succès sur l'histoire politique contemporaine, s'est essayé aux salles obscures, après quelques précédentes tentatives cinématographiques plus ou moins réussies (La guerre sans nom, avec Bertrand Tavernier en 1992, à propos de la guerre d'Algérie et, plus récemment, le scénario de La conquête de Xavier Durringer en 2011, concernant l'accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy).
Le résultat est assez inattendu à plusieurs titres. Patrick Rotman nous avait en effet habitués à expliquer et à analyser, mais dans Le Pouvoir, il préfère montrer plutôt que démontrer.
Tout d'abord, Patrick Rotman a fait le choix de filmer de manière très neutre les réunions quotidiennes (les nombreux entretiens avec le Secrétaire général de l'Elysée, Pierre-René Lemas, et ses adjoints, Emmanuel Macron et Nicolas Revel, ou avec le conseiller diplomatique, Paul Jean-Ortiz) ou hebdomadaires (en particulier le Conseil des ministres, bien entendu, mais également les entretiens en tête-à-tête avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault) du chef de l'Etat avec ses collaborateurs, certaines scènes très anecdotiques (les transports en voiture, en train ou en avion mais également dans la solitude du bureau) offrant l'occasion d'écouter en voix-off certains commentaires personnels de François Hollande, à vrai dire peu mémorables – si ce n'est la phrase ambiguë : "Je n'étais pas président avant de le devenir"...
Aucune confidence n'apparaît en effet dans ce documentaire et l'on comprend assez vite que tel n'est pas l'objectif de Patrick Rotman. Au moment où les nombreux entretiens ou réunions entrent dans le vif du sujet, la caméra s'éloigne – parfois d'ailleurs de manière gentiment forcée, semble-t-il, par exemple au moment des Conseils des ministres –, ce que le spectateur peut ressentir comme une frustration, mais ce que le réalisateur conçoit certainement davantage comme une volonté de focaliser son regard sur la forme du pouvoir élyséen, plus que sur le fond des décisions politiques.
A vrai dire, le titre du documentaire est peut-être mal choisi. Car ce qui semble intéresser Patrick Rotman s'apparente davantage à la "cérémonie du pouvoir" qu'au pouvoir lui-même, lequel n'est d'ailleurs sans doute pas exercé exclusivement dans les salons feutrés de l'Elysée – ce que François Hollande confie justement, dans un préambule intéressant, à ses futurs collaborateurs. Ce regard, un rien suranné, sur la symbolique du pouvoir élyséen, n'est pas à proprement parler décisif ni particulièrement intéressant, bien que le spectateur, lui-même peut-être électeur et contribuable, se prête facilement au jeu du voyeurisme distingué.
Ce qui est en revanche bien plus instructif dans cette vision rapprochée de l'exercice du pouvoir par le président Hollande relève moins du discours et de ses artifices – les fameux "éléments de langage fixés en commun", comme le dit un peu mécaniquement le président lui-même – que de la méthode. Sans se prononcer, comme il est de bon ton ces derniers jours, sur son caractère "social-démocrate", l'on peut constater que cette méthode apparaît à l'écran, volontairement ou non, comme une forme de concertation, ou à tout le moins un dialogue relativement ouvert. La surprise n'est bien entendu que très relative, tant il est patent que François Hollande n'a rien d'un monarque présidentiel autoritaire et péremptoire, mais, sur la posture de la prise de décision, le documentaire trouve tout son intérêt. Bien sûr, puisque Patrick Rotman a choisi de ne rien commenter ni sous-titrer, il sera plus aisé à l’observateur avisé qu'au spectateur distrait de déchiffrer la personnalité du président, d'en découvrir les inclinations, d'en comprendre les ressorts et de tenter d'évaluer, certes de manière très superficielle, la sincérité de son propos et l'efficacité de sa prise de décision.
La scène durant laquelle le célèbre photographe Raymond Depardon immortalise dans le jardin de l'Elysée le portrait de François Hollande montre ainsi, tout comme la photo officielle, particulièrement réussie de ce point de vue, à quel point nous sommes en présence d'un nouveau président, ni omniscient ni omnipotent, mais qui, au contraire, prend en compte les avis et pose de nombreuses questions. Ses détracteurs comme ses soutiens y verront sans doute ce qu'ils veulent y voir, pour certains un manque de fermeté et d'autorité, pour d'autres une capacité à écouter et à réfléchir, par opposition à la présidence précédente, marquée par ce que François Hollande lui-même appelait le "coup d'éclat permanent".
On ressort de la salle avec l'impression de mieux connaître, sans doute, l'agenda et l'attitude "normale" de François Hollande – ce "style" présidentiel qu'il entend montrer, en tous les cas – mais sans avoir appris grand-chose du contenu politique des décisions prises , ni de leurs fondements. Un œil critique pourrait y voir une forme de langueur du pouvoir en temps de crise – voire un désenchantement du réalisateur, pourtant spécialiste du sujet, vis-à-vis de la politique et de sa faculté de "changer la vie" ? – alors qu'un accueil plus clément louera une certaine sobriété dans la manière de dévoiler le rituel de l'exercice du pouvoir, à défaut du pouvoir lui-même, qui apparaît finalement assez désincarné