Les carnets de campagne du généticien Axel Kahn, candidat du PS issu de la "société civile" lors des dernières élections législatives dans la 2e circonscription de Paris.
Médecin généticien, Axel Kahn est un universitaire connu et reconnu en France pour ses recherches, notamment en tant que directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il a par ailleurs été directeur de l'Institut Cochin et a présidé, de 2007 à 2011, l'Université Paris-Descartes, au moment du vote et de la mise en œuvre de la loi sur l'autonomie des Universités .
S'il n'a jamais été étranger à la sphère politique – à la fois en tant que responsable administratif et universitaire mais aussi, d'un point de vue militant, en ayant été membre, jusqu'en 1977, du Parti communiste puis, brièvement, du Parti socialiste –, il n'avait jamais, jusqu'aux élections législatives de juin 2012, franchi le pas de se présenter comme candidat à un scrutin local et a fortiori national. Issu d'une famille dans laquelle l'engagement politique a été un élément important de l'éducation reçue de ses parents , Axel Kahn s'est longtemps contenté d'être un intellectuel certes engagé mais avant tout dédié à sa tâche, bien que s'autorisant, par des tribunes et de nombreux essais, ainsi que par la participation à des pétitions et à certaines actions collectives (notamment pour ce qui concerne le domaine de la recherche), à intervenir le cas échéant dans le débat public.
Mais, alors qu'il s'apprêtait à terminer son mandat à la tête de l'Université Paris-Descartes, en novembre 2011, ayant décidé de ne pas être candidat à sa propre succession, il reçut alors un appel inattendu de Bertrand Delanoë, maire de Paris, qu'il connaît bien sans être un proche, lui proposant de représenter le Parti socialiste pour les élections législatives au sein de la nouvelle deuxième circonscription de Paris , face au Premier ministre sortant François Fillon, "parachuté" de sa Sarthe natale dans les beaux quartiers parisiens. Il est ainsi expliqué à Axel Kahn, qui connaît bien ces quartiers de Paris pour y travailler quotidiennement, que son statut d'intellectuel estimé et ses combats en faveur des valeurs de la gauche lui donnent une pleine légitimité face à un personnage politique de premier plan.
Refusant d'abord cette proposition à laquelle il ne s'attendait absolument pas , Axel Kahn finit par changer de décision, non sans une certaine curiosité pour le combat électoral et avec l'envie de prendre part, face à un des piliers du quinquennat de Nicolas Sarkozy, aux élections nationales de 2012 du côté de la gauche.
C'est le récit de ces deux campagnes nationales, présidentielle puis législative, auxquelles il a contribué en tant que soutien puis en tant que candidat, qu'Axel Kahn livre avec son ouvrage Un chercheur en campagne , dans lequel il a également intégré les billets de son blog personnel concernant les grands débats abordés par le PS durant cette période décisive de la confrontation électorale. Cette structure du livre est d'ailleurs assez regrettable car, alors que la première partie, consacrée aux témoignages d'un intellectuel novice dans le combat partisan, se révèle globalement assez intéressante, la seconde est plutôt inégale et modifie un peu l'esprit de l'ouvrage, en reprenant intégralement des contenus d'un support numérique, proposé dans le feu de l'action militante, qui a davantage vocation à embrasser de vastes thèmes de campagne que de proposer un éclairage rétrospectif sur une expérience somme toute assez singulière pour un représentant de la "société civile".
Concernant la campagne présidentielle, Axel Kahn revient en particulier sur un événement qui, bien qu'assez mineur, l'a mis à son insu au centre d'une polémique telle qu'il en existe quasiment quotidiennement, à tort ou à raison, pendant cette période aussi tendue pour les principaux partis politiques.
Durant l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, il compare en effet sur son compte Twitter le rassemblement des partisans de Nicolas Sarkozy à Paris, sur l'esplanade du Trocadéro le 1er mai, aux rassemblements nazis de Nuremberg : "Images et symboles sont mobilisés par le Nuremberg du tout petit d'hier, ceux de Résistance et du chant des partisans s'imposent à moi". Un heure après, il s'en excusera dans un second "tweet" en demandant "pardon à tous" et en faisant part de son bouleversement pour expliquer cet excès. Dans son livre, de manière un peu (trop ?) attendue, Axel Kahn s'explique donc sur ce regrettable épisode en insistant sur le fait qu'il n'a découvert les images du rassemblement du Trocadéro que le lendemain matin à la télévision : "Le 1er mai 2012, Nicolas Sarkozy, cheveux au vent, est seul sur l'esplanade, la tour Eiffel et la perspective du Champ-de-Mars jusqu'à l'Ecole militaire en arrière-plan, ses militants survoltés et leurs milliers d'étendards sur la place. Il parle des frontières, des hordes et des tribus, enjoint aux syndicats d'abandonner leur bannière rouge (le drapeau historique de la révolution de 1848 contre le régime de Louis-Philippe et du renversement définitif de la royauté) pour servir enfin la France, leur pays et ses trois couleurs. L'image est saisissante, l'UMP la reprendra, sans le candidat, pour sa campagne nationale des législatives. […] Il est environ 6h 30 du matin, une image s'impose à mon esprit, celle des grands-messes fascistes d'avant-guerre en Italie et en Allemagne. […] Mon iPad sous la main, cette image mentale se transforme en un tweet lui aussi saisissant […]. Quelques minutes plus tard, je me rends compte que mon émotion m'a joué un tour, que le sens de la formule de mon tweet recouvre un message incorrect, regrettable et inadapté. […] Encore novice dans le maniement de l'outil Tweeter, je ne soupçonne en rien la puissance de ses retombées possibles et c'est donc sans inquiétude aucune mais en conscience que je tiens à prier tous ceux que le caractère excessif du tweet a pu choquer de m'en excuser." .
La polémique, dans le contexte extrêmement sensible de l'entre-deux-tours, enflera néanmoins et fera d'Axel Kahn la cible d'attaques nombreuses et violentes de la part du camp du président sortant. Les critiques viendront également de nombreux internautes et, plus rarement, de certains journalistes – l'omniprésent Alain Duhamel, notamment, "qui déclara dans une chronique qu'il eût été correct que le PS me retirât son investiture pour les législatives" précise l'auteur –, ce qui aura pour conséquence de le préoccuper pendant pendant plusieurs jours et d'interroger sa réelle motivation pour le combat électoral qui s'annonçait, dès la victoire de François Hollande, dans la deuxième circonscription de Paris .
Concernant la campagne législative, lancée finalement avec entrain après ces péripéties (conclues par un communiqué de presse écrit d'un ton volontaire), l'analyse d'Axel Kahn est plus instructive et moins anecdotique. Il revient en particulier sur le contexte politique de cette élection dans trois des plus beaux et des plus riches arrondissements parisiens, tenus par la droite parisienne – le Ve arrondissement laissant cependant apparaître une évolution différente en étant nettement plus sensible au discours de la gauche que les VIe et VIIe, d'après les résultats de l'élection présidentielle – et sur les espoirs qui pouvaient être légitimement fondés sur un possible duel au deuxième tour contre le Premier ministre sortant, à défaut de pouvoir réellement compter sur une victoire finale auprès d'un électorat aussi défavorable à la gauche d'un point de vue sociologique.
Le novice éclairé en politique fait ainsi part au fil des pages de son étonnement au sujet des appareils militants, qu'il connaît peu mais qu'il apprend à utiliser à son profit, de l'importance du contact avec les électeurs, qu'il apprend à apprécier et à solliciter par des visites de marchés et la distribution de tracts, et de l'organisation de meetings dans cette "circonscription de l'art, du savoir et du pouvoir" selon ses termes. Les nombreuses réunions publiques ou privées, y compris celles organisées à domicile par des électeurs engagés, les prises de paroles parfois improvisées – sur le modèle du "stand up" lancé par Arnaud Montebourg pendant la primaire socialiste – et la mise au point, avec les équipes du comité de campagne et du comité de soutien , de la stratégie de campagne dans cette circonscription dite "ingagnable" sont ainsi évoquées avec détails par Axel Kahn.
En définitive, après la qualification pour le second tour – espoir qui a été attendu toute la soirée du premier tour, comme l'explique Axel Kahn, car les premiers chiffres qui ont été connus, largement favorables à François Fillon, étaient ceux du VIIe arrondissement –, le résultat final fut plus qu'honorable (43,54 %) mais ne permit pas de menacer François Fillon, qui n'avait pourtant pas fait véritablement campagne à Paris et avait esquivé tout débat direct avec son adversaire socialiste. Axel Kahn remarque surtout que dans l'ancienne configuration de la deuxième circonscription, il aurait certainement gagné l'élection . Finalement, il semble qu'Axel Kahn, au terme de son témoignage, regrette surtout d'avoir eu l'impression de faire campagne seul au deuxième tour car François Fillon estimait que sa personnalité et sa notoriété lui offriraient une victoire facile .
Doit-on considérer cela comme de la rancœur pour un candidat qui est d'abord entré quelque peu à reculons dans l'arène électorale ? Nullement, tente d'expliquer Axel Kahn, pour qui l'essentiel est d'avoir défendu des valeurs auxquelles il croit, en n'hésitant pas à quitter le confort qui sied normalement à un intellectuel et sans chercher à gagner un poste facilement par une opportune nomination. Forcément subjectif, son témoignage, parfois très anecdotique, apporte avec une certaine force une contribution à l'idée de l'engagement politique