Une mise en perspective historique des Jeux olympiques, sous l'angle politique et diplomatique.

Directeur et fondateur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface s'est spécialisé de longue date dans les questions géopolitiques, en maintenant un rythme très important de publications de tous ordres et de plus ou moins bonne facture. Sa particularité dans ce milieu d'experts en relations internationales, assez omniprésents médiatiquement, est d'avoir développé une approche géopolitique et stratégique du sport en général et du football en particulier – ce qui lui a valu le prestige ultime de tenir une chronique dans L'Equipe – dans différents ouvrages publiés ces dernières années, dont L'Europe et le sport (PUF, 2001), La Terre est ronde comme un ballon. Géopolitique du football (Seuil, 2002) ou encore Football et mondialisation (Armand Colin, 2006).

Avec JO Politiques (Jean-Claude Gawsewitch, 2012), Pascal Boniface s'attaque à ce qu'il appelle "le mythe de l'apolitisme" du Comité international olympique (CIO) en démontrant, olympiade après olympiade, que la désignation, l'organisation et le déroulement des Jeux Olympiques ont toujours été des phénomènes politiques, depuis les premiers Jeux modernes d'Athènes en 1896, ressuscités par le baron Pierre de Coubertin, jusqu'à l'actualité des Jeux Olympiques de Londres en 2012, en passant par les funestes JO de Berlin de 1936, organisés par l'Allemagne hitlérienne, les célèbres poings levés des athlètes noirs américains des JO de Mexico en 1968, la tragédie de la prise d'otages de la délégation israélienne lors des Jeux de Munich en 1972 et les boycotts massifs, sur fond de Guerre froide, lors des JO de Moscou en 1980 puis de Los Angeles en 1984.

Au-delà de son caractère essentiellement chronologique et linéaire, cet ouvrage, sans doute écrit assez rapidement (et avec la collaboration de Pim Verschuuren), a cependant des mérites non négligeables en insistant sur l'environnement politique et diplomatique de chaque olympiade et en mettant en relief le poids des phénomènes politiques tels que la montée des fascismes, les deux guerres mondiales, la décolonisation, la Guerre froide et l'apartheid, qui ont tous démontré l'impuissance du CIO à vouloir s'ériger en organisation neutre et pacifique, cherchant souvent à rester pathétiquement fidèle à un idéal issu de la Charte olympique mais intenable dans les faits.
Notons ainsi quelques exemples frappants justement rappelés par Pascal Boniface, qui se limite dans son ouvrage essentiellement aux Jeux d'été.

En 1896 à Athènes puis en 1900 à Paris, le succès fut loin d'être au rendez-vous pour les premières olympiades modernes, au grand dam de Pierre de Coubertin, en particulier pour des raisons politiques. Malgré l'activisme du baron et du CIO naissant, gardien de la sacro-sainte Charte olympique, le gouvernement français de l'époque fut pour le moins indifférent à l'organisation des JO, en marge de l'Exposition universelle de Paris qui était alors considérée comme le véritable événement à portée mondiale. Malgré son vœu d'apolitisme, Pierre de Coubertin en gardera une amertume tenace, qu'il exprimera d'ailleurs dans ses Mémoires olympiques de 1932. Son choix d'implanter le CIO dans un pays neutre, à Lausanne, et non en France, sera d'ailleurs une conséquence de cette désillusion vis-à-vis de son pays. En plaçant son propos sous l'angle politique et diplomatique, Pascal Boniface ne cache pas que l'initiative du baron de Coubertin aurait pu rapidement tourner court et n'être qu'une vaine tentative pacifiste, typique de la Belle Epoque et du climat international des premières années du XXe siècle. Ce n'est qu'à partir des JO de 1908 à Londres – déjà – que le succès commença à se faire sentir, alors que, quatre ans plus tôt, les JO de Saint Louis aux Etats-Unis avaient été nommés "les Jeux de la honte" en raison de la mise à l'écart des athlètes noirs américains.

Après une participation de plus en plus internationale lors des Jeux de Stockholm en 1912, Berlin fut désigné pour accueillir les JO de 1916 mais le déclenchement de la Grande Guerre empêcha l'organisation et la tenue de ces olympiades allemandes. En 1920, les JO, prévus d'abord à Budapest mais finalement attribués à Anvers pour punir les perdants, furent la démonstration, encore une fois, que le contexte politique et diplomatique pèse de manière très importante sur l'événement sportif à vocation pacifique : les pays vainqueurs imposent des sanctions à la fois sportives et politiques aux vaincus – Allemagne, Autriche, Hongrie, Empire ottoman et Bulgarie sont exclus des Jeux –, alors que la Russie bolchevique refuse de participer à un événement qu'elle qualifie de "petit-bourgeois" (cette mise à l'écart volontaire des Soviétiques durera jusqu'aux JO d'Helsinki en 1952, dans un contexte de compétition, y compris sportive, avec la puissance américaine).



Les Jeux de Berlin en 1936 furent l'illustration la plus parfaite et sans doute la mieux connue de l'instrumentalisation politique d'un tel événement sportif par un pays hôte. Pascal Boniface rappelle à ce propos que la décision du CIO de confier les JO à la capitale allemande remonte à 1931, soit deux ans avant la prise de pouvoir de Hitler, à l'époque où la République de Weimar souhaite donner une autre image de l'Allemagne, revenue dans le concert des nations après sa mise à l'écart diplomatique et sportive (en particulier à l'initiative de la France) et effacer le souvenir de la guerre. Le débat sur la tenue des Jeux après l'arrivée au pouvoir de Hitler sera important et contribuera à décrédibiliser sérieusement la neutralité et la vocation pacifiste du CIO. Après de longues hésitations et des menaces de boycott – un spectre qui ne quittera plus l'histoire de l'olympisme –, la plupart des grands pays, en particulier les Etats-Unis de Franklin D. Roosevelt, décident de participer à ces Jeux préparés drastiquement par l'Allemagne nazie. Au-delà du fameux épisode des victoires de l'athlète noir américain Jesse Owens – qui deviendra plus tard un symbole vivant de l'olympisme, par son amitié avec son concurrent allemand Lutz Long – que sembla désapprouver Hitler en tribune, l'ouvrage évoque un événement moins souvent rapporté : les "olympiades populaires" qui furent organisées à Barcelone parallèlement aux Jeux officiels de Berlin, à l'initiative du Front populaire espagnol récemment élu... mais qui n'eurent finalement pas lieu en raison du soulèvement militaire franquiste de la nuit du 18 au 19 juillet. Comme le remarque Pascal Boniface : "Dans les hôtels, certains sportifs pensent qu'il s'agit de feux d'artifice en l'honneur des Olympiades ! En cette journée du 19 juillet, si la majorité des sportifs restent dans leurs résidences, d'autres sortent pour aider le peuple contre l'offensive des militaires. Certains sont blessés ou tués. […] Les sportifs réfugiés juifs, antifascistes italiens, polonais, etc. sympathisent avec le peuple en armes. Ils affirment être venus défier le fascisme sur un stade et que l'occasion leur fut donnée de le combattre tout court".

Après la Seconde Guerre mondiale, la désignation et le déroulement des JO sont étroitement liés au contexte de la Guerre froide, de la décolonisation et des crises diplomatiques. Parmi les Jeux les plus directement impliqués par l'environnement politique international, ceux de Melbourne en 1956 – à l'époque de l'insurrection hongroise – et plus encore les Jeux de Mexico en 1968 et de Munich en 1972 resteront dans les mémoires. Le massacre des étudiants par les autorités mexicaines lors du soulèvement pacifique de la Place des Trois-cultures avant le déroulement des JO fut passé sous silence par le CIO de manière scandaleuse, tout comme le fut l'exclusion et la disqualification des athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos – respectivement médaillés d'or et de bronze sur le podium du 200 mètres – à la suite de leurs poings levés et gantés de noir à la manière des manifestants antiségrégationnistes du "Black Power". En 1972, l'accueil symbolique des Jeux par l'Allemagne, trente-six ans après Berlin, fut gâché par la prise d'otages et la mort des sportifs israéliens et des terroristes palestiniens. Malgré les pressions légitimes de la part de nombreuses délégations, le CIO renonça, de manière à tout le moins critiquable et critiquée, à annuler les Jeux ; son président controversé, Avery Brundage, prononça alors cette phrase restée célèbre : "The Games must go on"...

Dans un registre plus attendu, l'ouvrage s'attarde sur les JO de Moscou de 1980 et de Los Angeles en 1984, largement instrumentalisés par les deux super-puissances, dans le contexte de l'après-Détente, par l'intermédiaire de boycotts massifs de la part des pays de chacun des deux blocs. Les analyses de Pascal Boniface sur l'importance de l'apartheid dans les boycotts des pays africains, notamment lors des Jeux de Montréal en 1976, sont en revanche plus instructives.

Pour achever son sujet de manière plus actuelle, le livre évoque enfin les dernières olympiades qui, depuis le "tournant" de Barcelone en 1992 – l'influence du puissant président catalan du CIO Juan Antonio Samaranch fut ici sans doute décisive pour la désignation de cette ville – jusqu'aux Jeux de Londres aujourd'hui, ont illustré, chacune à leur manière, les soubresauts de la mondialisation. L'attribution des JO à Atlanta illustra le poids des forces économiques dans l'industrie médiatique et sportive que sont devenus les Jeux sous l'influence notable de Samaranch, la ville hôte étant alors celle du siège historique de Coca-Cola, soit le plus ancien et le plus puissant sponsor officiel de l'olympisme (depuis les Jeux d'Amsterdam en 1928 !). Les Jeux de Pékin en 2008, quant à eux, furent enfin la preuve de la puissance économique chinoise dans la diplomatie mondiale. Juste avant l'attribution des JO à la Chine, Samaranch déclara : "Mon cœur est avec Paris mais ma tête est avec Pékin. Si on refuse une deuxième fois les Jeux à la Chine, le pire est imaginable. Elle se fermerait, elle se durcirait"... Preuve en était fait, s'il en était encore besoin, du mythe de l'apolitisme olympique, pour reprendre l'expression de Pascal Boniface.

PS : Signalons aussi le livre de photographies commentées et sobrement intitulé J.O. de Raymond Depardon, récemment réédité en Points-Seuil, qui recueille de magnifiques clichés des Jeux Olympiques, de Tokyo (1964) à Moscou (1980), en insistant sur l'angle politique de chacun de ces événements sportifs. Comme le dit en effet très justement Depardon, "je me suis aperçu en suivant ces Jeux que je n'ai jamais arrêté de faire des photos politiques...". On retiendra en particulier les images frappantes des poings levés des athlètes noirs américains à Mexico ou de la prise d'otages de la délégation israélienne à Munich en 1972