Une biographie richement illustrée de l'alpiniste et de l'homme politique Pierre Mazeaud, du toit du monde à la présidence du Conseil constitutionnel.

Le personnage de Pierre Mazeaud est atypique : homme politique à la carrière bien remplie –  membre du gouvernement de 1973 à 1976, maire, député, président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, président du Conseil constitutionnel de 2004 à 2007 –, il a la particularité parmi le personnel politique français d'avoir été parallèlement un alpiniste de haut niveau, conciliant ainsi trois vocations : la montagne, le droit et la politique. Fils d'un magistrat estimé et héritier d'une lignée de juristes, c'est assez naturellement qu'il s'est très tôt orienté vers le droit. Né à Lyon en 1929, il a également, sous l'influence de son père, montagnard à ses heures perdues, fréquenté le "petit Club alpin" de Grenoble puis s'est initié à l'escalade à Fontainebleau lors de ses années d'étudiant, avant de s'attaquer aux voies alpines les plus difficiles, en compagnie des plus grands noms de l'alpinisme de l'après-guerre : René Desmaison, Jean Couzy et Walter Bonnatti notamment. Couronnement de sa "carrière" d'alpiniste, il fut en 1978 le chef de la première expédition française qui parvint à gravir l'Everest – lui-même foulant, avec trois autres membres, le toit du monde.

S'il avoue dans la passionnante biographie (Pierre Mazeaud l'insoumis, éditions Guérin, 2012) que lui consacre Olivier Guillaumont –  l'auteur étant, comme Pierre Mazeaud, passionné à la fois de montagne, de droit et de politique – que c'est l'alpinisme qui a été pour lui la source des ses plus grandes joies et de ses souvenirs les plus marquants, il ne cache pas qu'il a été très tôt fasciné par les joutes politiques et qu'il a fréquenté assidûment – sous la plume de Pierre Hem dans le journal Le Libertaire – les sphères anarchistes estudiantines à Paris, avant de s'engager pour le Général de Gaulle lors de la naissance de la Ve République, en travaillant auprès de Michel Debré puis du Garde des sceaux Jean Foyer. Parmi les témoignages recueillis par cette première biographie de Pierre Mazeaud, on apprend d'ailleurs que, jeune étudiant anarchiste de la Faculté de droit de Paris, il en est venu aux mains avec le leader des étudiants d'extrême droite distribuant l'Action française, un certain Jean-Marie Le Pen...qui en ressortit assommé.

Préfacé par Reinhold Messner – himalayiste mondialement connu, devenu sur le tard député européen écologiste – l'ouvrage, très richement documenté comme tous les beaux livres rouges des éditions Guérin, chers aux amateurs de montagne, revient avec détail sur les plus grandes ascensions de l'alpiniste, avant de consacrer deux chapitres plus inégaux – à la limite de l'hagiographie – au parcours politique de Pierre Mazeaud. Le texte, les témoignages et les photographies d'archives nous font ainsi parcourir les itinéraires alpins les plus difficiles, depuis les parois verticales des Dolomites italiennes jusqu'à l'Himalaya, en passant par les escalades granitiques du massif du Mont Blanc.

Pierre Mazeaud fait partie dans les années cinquante d'un groupe d'alpinistes parisiens qui, dans le sillage de la génération de Pierre Allain, s'entraîne de manière assidue sur les blocs de rochers de la forêt de Fontainebleau. Novice parmi les "bleausards", Mazeaud côtoie également la célèbre cordée formée par Robert Paragot et Lucien Bérardini, avec lesquels il prend l'habitude dès les années 1950 de grimper dans les rochers du Saussois, dans l'Yonne. Il commence à se faire connaître du milieu des alpinistes de haut niveau lorsqu'il réalise en 1956 l'ascension de la face nord de l'aiguille du Plan au-dessus de Chamonix et, plus difficile encore, la face nord du Piz Badile dans les Grisons suisses. Après d'audacieuses tentatives hivernales inédites dans le massif du Mont Blanc – le Grand Capucin par la face est, sans succès –, il découvre bientôt les légendaires parois calcaires des Dolomites.

Après la mort accidentelle de Jean Couzy dans le Dévoluy en 1958, René Desmaison, se tourna vers Mazeaud pour réaliser plusieurs ascensions remarquables dans les faces nord de la Cima Grande et de la Cima Ovest. Moins doué pour l'escalade libre que Desmaison, le plus souvent premier de cordée, Pierre Mazeaud sut faire preuve d'une remarquable résistance physique, notamment dans les passages d'escalade artificielle, à l'aide d'étriers et de systèmes de hissage, aujourd'hui rarement utilisés.

Une partie importante du livre est consacrée à l'une des tragédies les plus célèbres de l'histoire de l'alpinisme, la tentative de première ascension du pilier central du Frêney, sur le versant italien du Mont Blanc, par Pierre Mazeaud et ses compagnons de cordée Pierre Kohlmann, Antoine Vieille et Robert Guillaume en 1961. Alors qu'ils furent rejoints par les Italiens Walter Bonatti, Andrea Oggioni et Roberto Gallieni, une très violente tempête orageuse les interrompit et, après des heures passées dans le froid, seuls Walter Bonatti, Roberto Gallieni et Pierre Mazeaud, considérablement épuisés, en sortirent sains et saufs, le Français devant son salut aux deux Italiens, pour lesquels il gardera à la fois une dette immense et une très profonde amitié.
Dans les années 1970, alors que ses activités politiques lui laissent beaucoup moins de temps pour réaliser de nouvelles ascensions, Pierre Mazeaud, devenu Secrétaire d'Etat chargé de la jeunesse et des sports de 1973 à 1976, se lance dans les grandes expéditions himalayennes. Après une première déception en 1971, alors qu'il participa à une expédition internationale qui ne parvint pas à atteindre la cime de l'Everest, Pierre Mazeaud décida de prendre la tête d'une nouvelle expédition française en 1978 et atteignit le sommet le 15 octobre en compagnie de ses compatriotes Jean Afanassieff et Nicolas Jaeger ainsi que de l'Autrichien Kurt Diemberger. Ce furent les premiers Français à fouler le toit du monde – 25 ans après la première ascension de 1953 – et Mazeaud en fit le récit dans un ouvrage sobrement intitulé Everest 78 (Denoël, 1978).

A partir des années 1980, comme l'écrit Olivier Guillaumont, Pierre Mazeaud, quinquagénaire ne pratiquant plus l'alpinisme qu'en "amateur", se consacra pleinement à ses mandats : maire de Saint-Julien-en-Genevois à partir de 1979 puis député de Haute-Savoie en 1988, il fut président de la Commission des lois puis membre, à partir de 1998, et président, de 2004 à 2007, du Conseil Constitutionnel, devenant ainsi le cinquième personnage de l'Etat sur le plan protocolaire. Réputé pour son caractère entier et fervent défenseur de l'héritage gaullien, Pierre Mazeaud ne se fit pas que des alliés au sein de la droite parlementaire et confesse volontiers, selon son biographe, qu'il compte plus d'amitiés à gauche qu'à droite...Par ailleurs, comme il aime le rappeler, non sans orgueil – également académicien des sciences morales et politiques, il aime accumuler les titres et les honneurs...– , aucun alpiniste n'est parvenu comme lui à tutoyer les "sommets de l'Etat" après avoir foulé le toit du monde...

A vrai dire, seul peut-être son aîné Maurice Herzog – chef controversé de l'expédition française à l'Annapurna en 1950, parvenant pour la première fois à un sommet de plus de 8000 mètres et qui fut Secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports de 1958 à 1965 puis député-maire de Chamonix –, peut lui contester cette double "carrière" et c'est peut-être d'ailleurs cette forme de concurrence qui peut expliquer les relations assez mauvaises qu'ils ont toujours entretenues, de l'aveu même de Mazeaud, alors qu'ils ont toujours fait partie du camp gaulliste. Preuve que l'on peut partir d'un même camp de base et ne pas former la même cordée...