Un essai programmatique qui ambitionne de mettre la culture au cœur du projet du prochain quinquennat pour un redressement de la nation dans ses frontières et à l’extérieur.  

Il est un genre qui ne connaît pas la crise. L’essai sur la politique culturelle française et son déclin, né avec le ministère de la Culture comme son pendant critique, vit, aujourd’hui, une nouvelle époque de faste. Si cette fructueuse histoire remonte à Jeanne Laurent et à son ouvrage de 1981, Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981. Histoire d’une démission artistique, le véritable coup d’envoi du genre est donné par Marc Fumaroli qui publie en 1991, L’État culturel, essai sur une religion moderne. Il est suivi de près par La Comédie de la culture de Michel Schneider paru en 1993 ; puis, deux ans plus tard, par Jean-Marie Domenach et sa terrible question : Le Crépuscule de la culture française ? Au début des années 2000, la production reprend, notamment dans les revues telles Esprit qui se penche sur "Les impasses de la politique culturelle" en 2004 puis Le Débat qui se demande en 2006 "Quelle politique pour la culture ?". À ces dossiers s’ajoutent, entre autres, Politique culturelle. La fin d’un mythe de Jean-Michel Djian et Les Dérèglements de l’exception culturelle de Françoise Benhamou. Finalement, à chaque anniversaire du ministère de la Culture correspond une salve de publications critiques, comme un exercice sanitaire et salutaire ainsi que le soulignait Antoine Compagnon dans sa réponse à "l’attaque" du Time Magazine qui titrait fin 2007 "The Death of French Culture", omettant volontairement la traditionnelle et rassurante forme interrogative.

C’est d’ailleurs cet article de Donald Morrison, au titre plus policé que la Une de son journal : "The Search of Lost Time", qui a poussé le directeur de CulturesFrance d’alors, Olivier Poivre d’Arvor, à s’aventurer hors du romanesque pour aborder les questions de politique culturelle, à l’occasion d’un article publié dans Le Monde le 20 décembre 2007. Cette "Lettre à nos amis américains" était cependant une contre-attaque, une défense de la culture française et de son rayonnement en réaction à un tableau plutôt triste et moribond de cette culture peint par un Américain. Qu’un étranger s’essaie à ce genre franco-français et c’est une levée de boucliers car ce chant du cygne toujours renouvelé est un privilège national ("Mais touche pas à mon pote ! Cette poésie a fait notre grandeur, elle a été notre monopole et elle doit le rester. Que ce chant du cygne soit notre dernier privilège ! Dans notre misère, nous revendiquons la grandeur de proclamer nous-mêmes notre fin !", Antoine Compagnon, Le Souci de la grandeur, p. 159). Pour preuve, le soufflé retombé, Olivier Poivre d’Arvor délaisse la défense pour passer à l’attaque. L’année 2011 est encadrée par deux nouvelles entrées dans la bibliographie du genre critique, Bug made in France ou l’histoire d’une capitulation culturelle, en janvier, Culture. État d’urgence, en décembre.

Dans le premier comme dans le second, Olivier Poivre d’Arvor dresse un état des lieux peu glorieux de la culture française et de sa politique en ses frontières comme à l’étranger. Culture. État d’urgence se fait l’écho du constat déjà établi dans Bug made in France, celui d’une période de creux, de ralentissement, voire de paralysie de la culture en France. Le temps est au désinvestissement politique en matière de culture, comme si, après Mitterrand oncle, "l’effort aurait été fourni et que nous serions à la fin de l’histoire" (p. 46). Préservé tant bien que mal, jamais renouvelé, jamais repensé, le message culturel national serait devenu "conservateur et ronronnant", "inaudible" sur la scène internationale car énoncé dans une langue reléguée au 9e rang des langues les plus parlées au monde (p. 14-15) et énonçant des valeurs et principes dépassés. Chiffres à l’appui, Culture. État d’urgence se fait à son tour caisse de résonnance de l’échec de la démocratie culturelle, de l’impasse de l’exception culturelle et du clientélisme du ministère de la Culture dont le budget se rétrécit à mesure que sa production législative s’emballe. Des travers et des ratés déjà constatés par Michel Schneider, Françoise Benhamou ou encore Nathalie Heinich et ce depuis plusieurs années.

Dans Culture. État d’urgence, Olivier Poivre d’Arvor présente cependant plus qu’un bilan amer des dernières années de la politique culturelle de la France. Il lit ce bilan comme une "alerte" (p. 15). Une alerte certes âpre mais qui ne sonne pas encore comme une défaite. Contrairement à bon nombre de ses prédécesseurs qui se sont illustrés dans ce genre de l’essai culturel critique, tel Jean Clair, Olivier Poivre d’Arvor mobilise non pas le défaitisme trop souvent confortable à la manière d’un "c’était mieux avant" mais l’optimisme enthousiaste et volontaire qui trouve encore des possibles à la politique culturelle française. Décidé à saisir la crise comme l’occasion d’un renouvellement de la culture, cette dernière n’étant pas, contrairement à l’affirmation présidentielle, une "réponse" à la première mais une interrogation, Olivier Poivre d’Arvor propose l’établissement d’une "nouvelle donne" (p. 17) sur le modèle du New Deal de Roosevelt. Prenant le contre-pied des fumaroliens, il ne prône pas le "moins d’État" mais le "mieux d’État" c’est-à-dire une action publique simplifiée répondant à "trois objectifs : garantir à tous sur l’ensemble du territoire, dès le plus jeune âge, grâce à l’éducation, l’accès égal aux œuvres et à leur disponibilité matérielle ; encourager l’emploi culturel comme assurer des débouchés économiques à celles et ceux qui créent et produisent ; réguler enfin la concurrence" (p. 17-18). Redéfinissant ainsi la mission ministérielle, il défend l’idée de transmission et d’interactivité et le rôle du numérique dans cette bataille ; il souhaite rapprocher l’État des collectivités territoriales mais également des associations et parallèlement renouer les liens de plus en plus distendus entre l’artiste et la société ; il affirme que le projet culturel doit être un projet interministériel, mutualisé car la culture, c’est "l’affaire de tous" (p. 97). À ces propositions s’ajoutent celle de "l’évaluation" des objets, de l’encouragement du financement privé ou encore la proposition d’un Conseil national pour la science et la culture. Autant d’échos aux projets mis en place par feu le Conseil de la création artistique qui doit en partie sa chute au Syndeac, syndicat auquel Olivier Poivre d’Arvor fait l’honneur de retenir une proposition, celle de "refonder le rapport de la nation à la culture par une loi" (p. 99).

Au-delà de la tradition française de l’essai culturel critique, Culture. État d’urgence est donc un essai programmatique qui a le mérite de vouloir placer la culture au cœur du projet présidentiel dans une campagne électorale où la question culturelle brille par son absence. Ainsi, ces derniers mois, c’est moins le cinquantenaire du ministère que l’approche d’une échéance politique qui expliquerait les nouvelles publications en chaîne. Publications qui sont d’ailleurs moins l’œuvre d’universitaires que d’acteurs publics et politiques, Christophe Girard et Olivier Poivre d’Arvor en tête. Ce dernier le laisse d’ailleurs largement penser à travers une récente tribune accordée au journal L’Express qui a fait grand bruit