Créé en janvier 2009 à l’initiative du président de la République, le Conseil de la Création Artistique a été dissous vendredi dernier. Bilan d’une institution qui n’a jamais réussi à surmonter les critiques.  

 

Lorsque Marin Karmitz prit officiellement la tête du Conseil de la Création Artistique (CCA) en 2009, ses ambitions n’étaient pas moindres. Le Conseil devait faire de Paris la  "capitale mondiale de l’art" et faire taire définitivement les contempteurs de la démocratisation culturelle. Deux années chaotiques plus tard, Nicolas Sarkozy a annoncé la fin du Conseil, dont les membres sont venus lui remettre un bilan de leurs activités. Depuis plusieurs semaines, le fondateur des cinémas Mk2 avait renoncé à mener à bien les douze projets majeurs que le CCA avait initiés : 

 

- Créer une colline des arts autour de Chaillot par la mise en réseau de différents établissements culturels de l’ouest parisien. Le projet fut enterré, même si le CCA a maladroitement tenté de rattacher son soutien à la Biennale de Belleville (10 septembre au 28 octobre 2010) à cette initiative. 

 

- Soutenir le Centre Pompidou mobile, un projet conçu par l’architecte Patrick Bouchain. 

 

- Lancer une quarantaine d’orchestres d’enfants de 7 à 12 ans, issus des quartiers nord de Paris et de sa banlieue. Les deux concerts organisés à la salle Pleyel ont été un succès.

 

- Mettre à l’honneur la jeunesse autour d’un festival nommé "Imaginez maintenant" dans des grandes villes de France. Pendant 4 jours, du 1er au 4 juillet 2010, de jeunes artistes de moins de 30 ans étaient invités à investir 9 lieux du patrimoine et à les détourner. 100 000 visiteurs y auraient assisté. Dans le prolongement de cette initiative, le Conseil a apporté son soutien à "Hortillonages 2011 Amiens", qui verra de jeunes artistes paysagistes ou plasticiens investir les marais d’Amiens du 24 juin au 15 octobre prochains. 

 

- Monter une cinémathèque pour les étudiants à travers un site de VOD consacré aux films du patrimoine français. Un appel d’offres serait en cours pour décider quel organisme portera l’ensemble du projet. La commission "Culture et Université" présidée par Emmanuel Ethis doit mener le projet à son terme.

 

- Créer une école de cinéma nomade dirigée par le réalisateur Abdellatif Kechiche susceptible d’accueillir vingt élèves de ZEP chaque année. Le projet a été abandonné.

 

- Encourager le développement culturel en Seine-Saint-Denis grâce à un projet nommé "Paris-Périphérie". Cette idée s’est limitée à une étude sur le territoire de "Plaine Commune", Des hommes, des actes, des lieux, menée là aussi par Patrick Bouchain.

 

- Le soutien au "Pont culturel méditerranéen", un projet de coopération franco-algérienne pour le développement d’échanges artistiques en faveur de la danse porté par Abou et Nawal Lagraa et la Compagnie La Baraka. Ce projet soutenu par le ministère de la Culture algérien a permis de monter le spectacle de danse Nya.  

 

- Le CCA voulait inciter les musées à investir pleinement le Web. Il a lancé un projet en ce sens en 2010 : le site www.monet2010.com aurait reçu plus de 2 millions et demi de visites pendant le temps de l’exposition consacrée à Claude Monet par le Grand Palais, entre septembre 2010 et février 2011. 

 

- Diffuser en direct des opéras dans des théâtres publics. Cette idée n’a pas vu le jour. 

 

- Faire rayonner la pensée française à l’étranger, en concevant Walls and Bridges, une série de débats avec des chercheurs français organisés par la Villa Gillet et son directeur, Guy Walter. La deuxième session vient d’avoir lieu à New York du 11 au 21 avril 2011.

 

Depuis, en sus de ces douze travaux d’Hercule, le Conseil a soutenu deux autres initiatives :

 

- Le projet "Méridien. Sciences-Arts-Société", organisé avec l’Institut de Recherche et de Coordination Acoustique Musique  (Ircam) et Universcience, visant à créer des convergences entre cultures scientifique et artistique, notamment à travers une Web TV consacrée aux sciences, des installations interactives pour le grand public et un réseau de rencontres transdisciplinaires. Cela a essentiellement abouti à la projection de films et de concerts à la Géode ou au Festival Agora et à l’exposition d’installations interactives à l’Ircam. 

 

- Un site de vidéos consacrées à toutes les formes de spectacle vivant, qui n’a pas encore été créé. 

 

Si le CCA a peiné à donner une cohérence à cette foule de projets et à les inscrire dans une vision à long terme de la politique culturelle, elle a surtout subi nombre de critiques depuis sa création. La CGT-Spectacle, le SFA (Syndicat français des artistes) et surtout le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) n’ont pas ménagé leurs efforts pour dénoncer une institution symbolique de la privatisation des politiques culturelles, et s’insurger qu’on veuille retirer au ministère des projets qu’il pourrait parfaitement assumer. Le financement du Conseil, partagé en principe entre des institutions privées, des collectivités territoriales et plusieurs ministères mais trop dépendant en réalité du ministère de la Culture et de son pouvoir discrétionnaire, fut également mis en cause. Le budget global du CCA- qui s’élève à 10 millions d’euros- était en effet largement prélevé sur les crédits du ministère. Le Syndeac a enfoncé le clou en déposant deux requêtes auprès du Conseil d’Etat en mai 2010 pour faire abroger le décret de création du CCA et contester la nomination de ses membres, dont certains auraient été passibles de prise illégale d’intérêt en tant qu’agents publics   . Enfin, le ministre lui-même avait largement contribué à torpiller le CCA lorsqu’il avait affirmé en septembre 2009 qu’il le considérait comme une "DRAC in partibus". Fraîchement nommé, Frédéric Mitterrand n’avait alors pas l’intention de laisser Marin Karmitz apparaître comme un ministre bis. Freiné par ces attaques graves, le CCA a donc eu beaucoup de difficultés à convaincre des animateurs d’instituts culturels d’accepter son aide. Dominique Pitoiset, directeur du théâtre national de Bordeaux, avait par exemple refusé de participer au festival Imaginez Maintenant : "Notre fréquentation est excellente mais notre financement ne cesse de se dégrader et nos équipes sont débordées. Dois-je accepter de faire de l'événementiel alors que je manque de moyens sur des projets essentiels ? Il y a des opportunités qu'il faut savoir laisser passer."

 

Après plusieurs mois discrets, la dissolution du Conseil de la Création Artistique- dont on oublie souvent qu’il eut un ancêtre à la durée de vie comparable, le Conseil du développement culturel présidé par le poète Pierre Emmanuel de septembre 1971 à octobre 1973- devint inéluctable

 

A lire aussi dans notre dossier sur la politique culturelle:

- Une brève histoire de la notion de culture pour chacun, par Pierre Testard.

 
- Le point de vue de la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile-de-France sur la politique culturelle de Frédéric Mitterrand. 
 

- Une interview d'Antoine de Baecque, historien, sur la démocratisation de la culture, par Pierre Testard. 

 

- Une synthèse du rapport sur les pratiques culturelles des Français, par Charlotte Arce. 

 

- Une compte rendu des affaires de la Maison de l'Histoire de France et de l'Hôtel de la Marine, par Charlotte Arce. 

 

- Une critique des actes de colloque Cinquante ans après. Culture, politique et politiques culturelles, par Christian Ruby. 

 

- Une interview de Françoise Benhamou, sociologue de la culture, sur la politique culturelle à l'heure de la mondialisation, par Lilia Blaise. 

 

- Une recension du livre de Jean Clair, L'hiver de la culture, par Muriel Berthou Crestey. 

 

- Une analyse des raisons de l'accablement nostalgique devant la culture contemporaine, par Christian Ruby. 

 

- Une réflexion sur une politique culturelle de l'émancipation, par Chistian Ruby. 

 

- Une proposition philosophique d'émancipation par la "culture de soi", par Christian Ruby

 

- Un tour d'horizon des dossiers sensibles du ministre de la Culture, par Quentin Molinier