Les Actes d’un colloque ministériel (octobre 2009) paraissent, au terme des festivités du 50 ° anniversaire du ministère de la Culture. Le ministère a raison de s’interroger sur son rôle. Cet ouvrage le montre à l’évidence.

Concernant la culture et les arts, dans leurs rapports avec les politiques publiques, en sommes-nous vraiment toujours à nous poser la question de savoir si nous devons maintenir une place et un rôle pour un ministère de la Culture dans les politiques gouvernementales ? Il semble bien que ce genre de question occupe encore les esprits. Devant le gigantisme des problèmes culturels, un ministère peut-il encore trouver une place, se demandent les uns ? Devant la multiplication des types de ministère de la culture en Europe (Grande-Bretagne, Danemark, Finlande, ...), quel rôle finalement confier à un tel ministère ? Comment organiser le rapport de la culture et des arts au mécénat privé ? ... 

Parfois le vertige prend devant ces énoncés, et on en vient à se demander si le fond des problèmes a une chance d’être traité de cette manière. Au passage, la plupart des énoncés actuels portant sur la responsabilité publique en matière de culture font l’impasse sur la dimension européenne des problèmes et sur l’échelle à laquelle ils doivent être réfléchis. C’est sans aucun doute ce pourquoi un tel ouvrage doit être approché et lu, même s’il est parfois malcommode à prendre en main. Les articles retenus, les perspectives tracées n’y parlent pas seulement subventions et financements, mais surtout ordonnancement d’une réflexion sur la culture et les arts à partir d’une mise en  jeu de la nation et de l’identité nationale, sur la création contemporaine, sur les appropriations de la culture et des arts, autant de questions qui devraient en mobiliser beaucoup dès lors que nous ne pouvons nous départir de la nécessité de mettre l’accent sur les approches européennes. 

 

L’ouvrage 

 

Trois jours d’échanges intenses auront-ils permis aux participants puis aux lecteurs des Actes de faire le tour de la question posée durant ce colloque : Culture, politique et politique culturelle ? Nul ne s’aventurera à donner une indication sur ce plan. Ce qui ne signifie pas grand chose cependant. Car il reste l’intérêt presque évident qu’il y a à se confronter aux propos des interlocuteurs. Ils ont le mérite de mettre sans cesse en parallèle l’histoire du ministère de la Culture, en France, les développements de la société de consommation et les perspectives européennes ou mondiales. 

Le motif ? Les festivités du 50° anniversaire de l’institution d’un ministère de la Culture, par le couple de Gaulle/Malraux. Ce qui nous vaut d’ailleurs une petit pique de l’une des participantes : ces 50 ans « sont cependant dérisoires au regard de l’histoire de la France et de sa culture, dont il a été pris soin de bien des façons avant sa création » (Vaira Vike-Freiberga, Lettonie). 

Le point à suivre ? Le passage de la culture entendue comme l’ensemble des œuvres de l’esprit à la culture comme ensemble de pratiques sociales, de la culture cultivée à la culture comme champ d’investigation de l’ethnologue, de la culture pour tous au sens de l’idéal éclairé d’émancipation des hommes par les œuvres importantes à la démocratie culturelle, c’est-à-dire à la culture par tous (au sens du développement des pratiques culturelles), avant qu’on n’introduise dans le débat les questions liées à l’Internet, les nouveaux médias... Les intervenants ? Plus d’une trentaine de personnes voient ici leurs paroles restaurées, ce qui ne dit rien quant aux autres participants. On y trouve d’anciens ministres de la Culture, mais aussi des analystes (Pierre-Michel Menger, Antoine Compagnon, Krzysztof Pomian, Jean-Noël Jeanneney, ...). 

 

Un point focal

 

Antoine Compagnon souligne que l’existence du ministère doit être comprise à la lumière d’une série de dissensus. Notamment, à la lumière d’une dissociation centrale, celle qui sépare les politiques de la démocratisation culturelle des politiques de la démocratisation culturelle.  Cette différence est interne à l’histoire de la France. L’idéal de la démocratisation culturelle (popularisation de la culture cultivée, déploiement d’une culture pour tous au sens de l’idéal éclairé d’émancipation des hommes par les œuvres capitales) a été constitutif de l’ère Malraux. Le décret fondateur du ministère l’affirme clairement : « Rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre de Français, assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». Le recours au thème de la démocratie culturelle est plus récent. Il est fondé sur l’idée d’un développement nécessaire des pratiques culturelles des français et d’une extension de la sphère de l’art : design, publicité,  cirque, .... Le premier idéal prône la culture pour tous, le second la culture par tous.  Compagnon rappelle toutefois que « certains lient cette rupture au passage de la décennie Malraux à la décennie Lang. Tout aussi approximatif me semble ce cliché que celui, soutenu par d’autres, de la continuité entre la mandature Malraux et la mandature Lang. La culture a indiscutablement changé de sens entre les années 1960 et les années 1980, mais sa métamorphose a peut-être moins résulté des aléas de la politique culturelle nationale que des lois de l’évolution sociologique occidentale » (p. 29).  Il reste que la réécriture du décret fondateur par Lang fait appel à d’autres accents : « permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix » (p. 30).  Cette discussion, loin d’être inutile, permettra à de nombreux lecteurs de se faire une idée de cette histoire de 50 ans. 

 

Quelques difficultés 

 

Evidemment, les questions d’art et de culture ne se posent plus de la même manière de nos jours. Elie Barnavi l’indique brièvement : « Il faut que l’Etat assume que ce n’est pas à lui de définir le gout, que le temps fera son œuvre. Lui doit s’occuper de ce qui est déjà là, connu, catalogué. Et de le faire vivre. Om me dira que c’est un programme réactionnaire. Je ne le crois pas. Au contraire, c’est un programme démocratique. ... On peut passer de Racine et de Bach au rap, l’inverse est difficile. Il faut donner aux jeunes les moyens de comprendre... » (p. 38). On peut se montrer en désaccord avec cette affirmation. Elle lie le colloque à la question plus vaste du patrimoine. Cette dernière occupe tout un pan des débats, favorisant l’intervention d’un historien, lequel ne tarde pas à faire valoir l’idée selon laquelle le patrimoine est construit par le présent. Le patrimoine est un regard porté par nous-mêmes sur des éléments de passé que nous choisissons, en en excluant certains et en retenant d’autres.  Mais si on ne veut pas céder à l’idéologie du patrimoine, alors il faut lire la section de l’ouvrage consacrée à la période actuelle, c’est-à-dire plus exactement aux perturbations dans les conceptions de la culture et des arts imposées par Internet, les nouveaux médias, les technologies récentes, etc. 

Enfin, il reste une difficulté au sein de laquelle le volume ici commenté n’arrive pas à pénétrer, sauf à nous noyer dans des propos très largement convenus : celle de l’identité culturelle de l’Europe. C’est encore Barnavi qui répond le plus clairement, si on surmonte les facilités (l’existence a priori d’une telle culture, son identification au passé Grec, ...) : Evidemment l’Europe n’est pas une culture, il n’y a pas de culture européenne. C’est pourtant une civilisation unique, d’un seul tenant, qui contient de nombreuses cultures. On lira avec beaucoup d’attention les répliques des contributeurs méditerranéens. 

 

Ce volume facilite au moins une chose : la réalisation d’une sorte de tableau des positions, en Europe, concernant l’existence ou non d’un tel ministère, la comparaison des attributions d’un pays à l’autre, et la mise au jour des fondements invoqués par les uns ou les autres. C’est du moins ce qu’il y a de plus original dans ces Actes d’un colloque qui demeure cependant très franco-français dans sa teneur, très euro-européen dans sa tendance et très ministériel dans son projet 

 
 
 

A lire aussi dans notre dossier sur la politique culturelle : 

 

- Une brève histoire de la notion de culture pour chacun, par Pierre Testard.

- Le point de vue de la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile-de-France sur la politique culturelle de Frédéric Mitterrand. 

- Une interview d'Antoine de Baecque, historien, sur la démocratisation de la culture, par Pierre Testard. 

- Un bilan du Conseil de la Création Artistique, par Pierre Testard. 

- Une synthèse du rapport sur les pratiques culturelles des Français, par Charlotte Arce. 

- Un compte rendu des affaires de la Maison de l'Histoire de France et de l'Hôtel de la Marine, par Charlotte Arce. 

- Une interview de Françoise Benhamou, sociologue de la culture, sur la politique culturelle à l'heure de la mondialisation, par Lilia Blaise. 

- Une recension du livre de Jean Clair, L'hiver de la culture, par Muriel Berthou Crestey. 

- Une analyse des raisons de l'accablement nostalgique devant la culture contemporaine, par Christian Ruby. 

- Une réflexion sur une politique culturelle de l'émancipation, par Chistian Ruby. 

- Une proposition philosophique d'émancipation par la "culture de soi", par Christian Ruby.

- Un tour d'horizon des dossiers sensibles du ministre de la Culture, par Quentin Molinier