C’est l’annonce le 12 septembre dernier de la décision de Nicolas Sarkozy d’implanter la Maison de l’histoire de France sur le site des Archives nationales, dans le Marais, qui a mis le feu aux poudres. Depuis le mois d’octobre, entre tribunes d’historiens dénonçant le projet et grève du personnel des Archives nationales pour défendre l’Hôtel de Soubise, la Maison de l’histoire de France ne fait pas l’unanimité chez la communauté des chercheurs et des historiens. Retour sur l’échec de la "mise en œuvre de ce projet fédérateur au service de l'Histoire" par le ministère de la Culture.


C’était l’un des projets phares présentés par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle en 2007 : créer "un grand musée spécifiquement consacré à l’histoire de France". Quatre ans plus tard, le projet de Maison de l’histoire de France, dont l’ouverture devrait avoir lieu en 2015, peine à rassembler derrière lui le soutien des historiens, pourtant indispensable afin qu’il puisse voir le jour.
Pourtant, dès 2008, des expertises et pourparlers avaient été engagés, avec la publication du rapport   d’Hervé Lemoine   . Suivent deux autres rapports, en mai 2009 par l’historien Jean-Pierre Rioux et en avril 2010 par le président du château de Fontainebleau Jean-François Hébert. Tous préconisent l’édification d’une "institution nationale au service de la diffusion de l’histoire", telle qu’il en existe en Allemagne   ou en Italie   .

"Un regard nouveau sur les institutions majeures du patrimoine français"

C’est le choix du site des Archives nationales, en plein cœur du Paris historique, qui a finalement été retenu sur les conseils du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand pour accueillir la future Maison de l’histoire de France. Estimé à environ 60 millions d’euros, ce projet devrait, d’ici 2012, fédérer neuf musées nationaux   sélectionnés par le gouvernement. Le but ? Mettre en valeur l’histoire de France dans "un lieu ouvert, où l’on échange, où l’on débat, où rien n’est figé"   , certes, mais également réunifier la discipline historique, trop "fragmentée" aux yeux du ministre de la Culture.

Quant aux Archives nationales, le projet défendu par Frédéric Mitterrand prévoit de déplacer une partie de ses activités de recherche à Pierrefitte, ce qui a conduit son personnel à occuper l’Hôtel de Soubise à l’appel de l’intersyndicale CFDT-CFTC-CGC-CGT dès le 16 septembre. Malgré la longue grève, le calendrier initialement prévu par le gouvernement, prévoyant l’ouverture dès juin 2011 des jardins des Archives nationales et une exposition inaugurale dès la fin de l’année, n’a pas été modifié.

"Un projet dangereux"

Le 21 octobre dernier, neuf historiens, dont Isabelle Backouche et Jacques Le Goff de l’EHESS, Michèle Riot-Sarcey de l’université Paris-VIII, ou encore Roger Chartier et Daniel Roche du Collège de France ont pris la plume dans le quotidien Le Monde pour dénoncer le projet proposé par Frédéric Mitterrand : il est jugé inutile et pis, "dangereux" car détournant la pluralité historique à des fins politique. Véritable pamphlet contre la Maison de l’histoire de France, leur tribune dénonce avec force ce reflet d’une "France étriquée", "vitrine historique de l’ "identité nationale"" sans perspective européenne et remède factice à la "pseudo "crise identitaire" du pays"   .
Puis, ce fut Pierre Nora qui s’est lui aussi insurgé contre la création d’une telle institution. Dans une lettre adressée au ministre Frédéric Mitterrand   , lui aussi dénonce l’"origine impure et politicienne" d’un tel projet, ainsi que sa vacuité. Pour l’académicien, ce nouveau musée, sans ambition historiographique, ne sera alors qu’une coquille vide.

D’autres tribunes ont suivi, reprochant à Frédéric Mitterrand d’ "obéir au calendrier électoral et de faire en sorte que la Maison de l’histoire de France soit en ordre de marche pour 2012"   ou encore de "maquiller un désengagement de l’Etat de ses missions culturelles qui fondent la spécificité française".

Face aux critiques auxquelles il a dû faire face, Frédéric Mitterrand a cherché à défendre son projet. Pour lui, la Maison de l’histoire de France ne doit en aucun cas devenir "le brûlot de la propagande"   . Insistant sur la dimension multiculturelle de la nouvelle institution, il a affirmé que celle-ci ne sera en aucun cas "le reposoir du roman national : elle aura au contraire le souci de promouvoir une approche dynamique et de montrer que l’histoire est aussi une construction sociale"   . Preuve en est pour lui la nomination le 13 janvier d’un comité scientifique chargé d’établir le contenu de la Maison de l’histoire de France. Composé de dix-huit membres issus du milieu du patrimoine et de la recherche, il est présidé par l’historien Jean-Pierre Rioux ; son président d’honneur est l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale et ancien directeur national des Archives de France, Jean Favier.

Le comité, cependant, a lui aussi émis quelques réserves quant au projet soumis par Frédéric Mitterrand. En effet, certains de ses membres s’opposent à la création d’une "Galerie du temps", censée représenter un panorama général de l’histoire de France. Certains membres craignent notamment la valorisation d’une certaine tradition historiographique qui omet de replacer la France au cœur de l’histoire mondiale et européenne.

L’Hôtel de Soubise : un site contesté

Autre pomme de discorde : la décision d’implanter la Maison de l’histoire de France sur le site parisien des Archives nationales, en plein cœur du Marais. Dès l’annonce du lieu retenu pour l’installation de la nouvelle institution, l’ensemble du personnel des Archives s’est déclaré en grève et a commencé l’occupation d’une partie de l’Hôtel de Soubise, protestant contre la main mise du ministère sur leur lieu de recherche et au détriment de la sauvegarde de la politique des archives, entreprise déjà délaissée par le gouvernement.
Finalement, une première réunion qui s’est tenue le 13 janvier dernier a laissé espérer pour les archivistes une alternative possible à l’implantation de la Maison de l’histoire de France sur le site du Marais. En effet, le ministère s’était alors engagé à maintenir une grande partie des activités des Archives non à Pierrefitte, mais dans la capitale, notamment ses activités pédagogiques et muséographiques. Aussi, après cinq mois de blocage, le 27 janvier, l’occupation des lieux avait été levée par l’intersyndicale et l’exposition des "Menus Plaisirs du roi" a pu être maintenue.

Hôtel de la Marine : "La France ne perd pas sa mémoire, elle la vend"

Début janvier, le Ministère de la culture et de la communication a dû faire face à une nouvelle polémique suite à la concession faite à une entreprise privée de l’hôtel de la Marine, hôtel particulier du XVIIIe siècle situé Place de la Concorde.  Ancien Garde-Meuble royal de 20.000 m2 – et plus de cinq cent pièces – l’hôtel de la Marine est pour l’instant occupé par près de mille marins qui auront quitté les lieux d’ici fin 2014.
Bâtiment fastueux commandé par Louis XV à l’architecte Ange-Jacques Gabriel, l’hôtel de la Marine abrite un magnifique escalier dessiné par Soufflot, ainsi qu’une série de salons Napoléon III. Face à la somme qu’engendrerait pour l’Etat la rénovation d’un tel lieu, le ministre du budget François Baroin et Matignon ont pris la décision de le louer à une entreprise privée pour une longue durée.
Ils se sont alors heurtés à la colère des historiens qui se sont à nouveau exprimés dans les pages du Monde : dans une tribune du 11 janvier dernier intitulée "Sauvons l’hôtel de la Marine !", Régis Debray et les historiens Alain Decaux, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Le Goff, Pierre Nora, Mona Ozouf et Michel Winock s’insurgent contre ce qu’ils nomment une "réalisation juteuse si évidemment contraire à l’intérêt général". Pour eux, l’hôtel de la Marine est un lieu idéal pour implanter un nouveau musée de l’histoire de France. Ils s’expliquent : "On veut faire une Maison de l’histoire de France parce que, paraît-il, la France perd sa mémoire. Mais on liquide en même temps une maison qui est, à sa manière, une leçon d’histoire de France. La France ne perd pas sa mémoire, elle la vend. (…) Si Maison de l’histoire de France il doit y avoir, c’est là qu’elle devrait s’implanter, pas ailleurs".

"La contestation n’est pas prête de s’arrêter"

Alors que la grève avait cessé sur le site du Marais, le limogeage fin février de la directrice des Archives nationales Isabelle Neuschwander par son organisme de tutelle, le ministère de la Culture, a redonné une nouvelle vigueur au mouvement. En poste depuis 2007, Isabelle Neuschwanger a, pour l’historien Vincent Duclert, probablement été tenue responsable de l’importance du mouvement de l’Intersyndicale. Il proteste contre le licenciement d’un "haut-fonctionnaire compétent, volontaire et dévoué"   .

Dans un communiqué, l’Intersyndicale explique que "s’en prendre à la Directrice des Archives nationales, c’est s’en prendre directement à l’institution, c’est donc s’en prendre à tous les personnels". Le 8 mars, le personnel des Archives nationales a repris l’occupation d’une partie de l’Hôtel de Soubise. Sa nouvelle directrice Agnès Magnien, quant à elle, estime que "la Maison de l’histoire de France n’est pas son sujet".

Signe que la polémique n’est pas prête de retomber, vient de paraître un ouvrage coécrit par Jean-Pierre Babelon, Isabelle Backouche, Vincent Duclert et Ariane James-Sarazin, Quel musée d’histoire pour la France ? (Armand Colin), qui prend clairement position contre le projet de Maison d’histoire de France.

Si le calendrier de son établissement n’a pas pour l’instant, semble-t-il, été retardé, tout indique cependant que la Maison de l’histoire de France ne sera pas un franc succès muséographique tant sa naissance s’est déroulée dans la controverse.
Annonceur de l’insuccès de Frédéric Mitterrand auprès de la communauté des historiens, le projet ne bénéficie décidemment pas des soutiens escomptés, malgré la constitution d’un comité scientifique. Et Vincent Duclert d’ajouter : "La contestation n’est pas prête de s’arrêter. Il y va dans cette affaire du principe de liberté des historiens"

 

A lire aussi dans notre dossier sur la politique culturelle : 

 

 

- Une brève histoire de la notion de culture pour chacun, par Pierre Testard.

 

- Le point de vue de la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile-de-France sur la politique culturelle de Frédéric Mitterrand. 

 

- Une interview d'Antoine de Baecque, historien, sur la démocratisation de la culture, par Pierre Testard. 

 

- Un bilan du Conseil de la Création Artistique, par Pierre Testard. 

 

- Une synthèse du rapport sur les pratiques culturelles des Français, par Charlotte Arce. 

 

- Une critique des actes de colloque Cinquante ans après. Culture, politique et politiques culturelles, par Christian Ruby. 

 

- Une interview de Françoise Benhamou, sociologue de la culture, sur la politique culturelle à l'heure de la mondialisation, par Lilia Blaise. 

 

- Une recension du livre de Jean Clair, L'hiver de la culture, par Muriel Berthou Crestey. 

 

- Une analyse des raisons de l'accablement nostalgique devant la culture contemporaine, par Christian Ruby. 

 

- Une réflexion sur une politique culturelle de l'émancipation, par Chistian Ruby. 

 

- Une proposition philosophique d'émancipation par la "culture de soi", par Christian Ruby.

 

- Un tour d'horizon des dossiers sensibles du ministre de la Culture, par Quentin Molinier