En annonçant, le 8 avril dernier, qu’il ne reconduirait pas Olivier Py à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Frédéric Mitterrand s’est à nouveau attiré l’ire d’une partie de l’opinion publique, le monde de la culture en tête. A nouveau ? En effet, car le ministre de la Culture et de la Communication, en place depuis le 23 juin 2009   , n’en est plus à son premier coup d’éclat médiatique. Certes, toutes les “affaires” le concernant ne sont pas à mettre sur le même plan. Entre la révélation de ses rapports sexuels tarifés avec de jeunes hommes thaïlandais et la non-reconduction d’Olivier Py à l’Odéon, il y a une différence de nature et sans doute aussi un abîme de sens. Cela dit, force est de constater qu’à mesure qu’il s’enracine rue de Valois   , le ministre accumule les casseroles et se voit de plus en plus contesté dans sa fonction. L’effritement progressif de l’aura que lui conférait, hier encore, son prestigieux patronyme et de l’image – confortable – de saltimbanque sulfureux, mais politiquement inoffensif, qu’il s’était forgé tout au long de sa carrière télévisuelle, cinématographique et littéraire, en sont  coup sûr les symptômes les plus explicites. Quoi qu’il en soit, l’affaire Olivier Py est une bonne occasion de se remémorer les faits et méfaits de Frédéric Mitterrand à la Culture ; elle repose par ailleurs, et à nouveaux frais, la question fatidique de sa légitimité en tant que ministre. Ainsi, l’homme de culture qu’est Frédéric Mitterrand est-il bel et bien taillé pour le costume de ministre que Nicolas Sarkozy se gaussait en 2009 de lui avoir offert ?

 
Des débuts difficiles…
 

Sans s’appesantir sur les deux polémiques qui marquèrent l’entrée au gouvernement de Frédéric Mitterrand – dans la mesure où elles ne portaient pas sur son action politique mais sur sa vie privée et ses prises de position personnelles – on peut simplement rappeler que la publication en 2005 de La mauvaise vie   , la publicité qu’en fit Marine Le Pen quatre ans plus tard, et le soutien contesté qu’il apporta au réalisateur Roman Polanski   ont d’emblée obligé le ministre à s’expliquer devant l’opinion publique sur des histoires foncièrement exogènes aux affaires publiques culturelles. Cela dit, la situation complexe   et inconfortable dans laquelle Frédéric Mitterrand s’est trouvé dès sa prise de fonction à la Culture ne semble pas avoir eu d’impact sur ses choix politiques ultérieurs, choix qui, nous allons le voir, ne furent pas toujours des plus avisés. 

 
L’Audiovisuel extérieur français (AEF)
 

Un des dossiers les plus brûlants que Frédéric Mitterrand eut à gérer, fut le divorce, consommé sur fond d’espionnage informatique, entre Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac au sein de France 24. Ce dernier, PDG de la chaîne, soupçonnait en effet la directrice générale, Christine Ockrent, d’avoir chargé une de ses collaboratrices, Candice Marchal, de l’espionner lui et plusieurs cadres de la chaîne   . Révélée en décembre 2010, l’affaire prit immédiatement des proportions inédites. Frédéric Mitterrand essaya bien d’apaiser la tension montante au sein de notre CNN nationale en convoquant les deux intéressés, mais la détermination d’Alain de Pouzilhac à donner des suites judiciaires à cet espionnage présumé fit avorter sa tentative de médiation. Rappelons, au passage, que l’enquête préliminaire de la BEFTI   a démontré qu’il y avait bien eu espionnage de la part de Thibault de Robert, un ancien collaborateur de BK Conseil qui se trouve être la société de consultant de Bernard Kouchner (le mari de Christine Ockrent) au profit de Candice Marchal. En nommant Camille Pascal et Olivier Henrard, respectivement conseiller chargé des médias et conseiller chargé de la culture, à l’Elysée, Nicolas Sarkozy désavoua en un sens l’action du ministre   .

 
Mitterrand diplomate ?
 

A peu près au même moment, tandis que le ministre se faisait plus parcimonieux dans ses prises de positions personnelles, que le souvenir de son auto-sacrement   et de ses affaires de mœurs tendaient à se dissiper dans l’esprit de nos concitoyens, et qu’il avait finalement remisé son fidèle scooter au profit d’une voiture de fonction plus classique, une nouvelle déclaration vint rompre l’apparent conformisme dans lequel il semblait s’être installé. En effet, le 9 janvier 2011, en pleine révolution tunisienne, Frédéric Mitterrand prit la défense du gouvernement de Zine El Abidine Ben Ali. Il énonça ainsi, avec force mansuétude pour le régime du dictateur : " Dire que la Tunisie est une dictature univoque me semble exagéré "   . Il reviendra plus tard, le 20 janvier 2011, sur ce malheureux plaidoyer en expliquant avoir considéré que " la meilleure manière de protéger ceux auxquels [il] étai[t] attaché – et ça représentait tout le peuple tunisien et notamment les opposants – était de ne pas braquer un régime dont [il] connaissai[t] parfaitement l'autorité "  

 
Mitterrand dirigiste ?
 

Dans nombre de ces déclarations, Frédéric Mitterrand fait état d’une " profonde émotion ". Toutes les affaires dont il a ici été question l’ont apparemment beaucoup " ému " ou " affecté ". Rien de répréhensible là-dedans, un ministre est aussi un homme (ou une femme), un être qui juge du monde (et de ses affaires) à partir de la manière dont ce dernier l’affecte ou le dispose. La question demeure néanmoins de savoir si la fonction de ministre permet à l’homme (ou la femme) qui l’occupe de se laisser uniquement guider par ses sentiments ? A ce titre, tout porte à croire que la non-reconduction d’Olivier Py à l’Odéon-Théâtre de l’Europe   tient davantage d’un problème d’ " inimitiés " personnelles que d’un choix mûrement réfléchi et fondé sur l’inaptitude de ce dernier à diriger le théâtre. Olivier Py n’a pas " démérité ", c’est du moins ce qu’artistes, journalistes et membres influents du microcosme culturel parisien répètent à l’envi depuis l’annonce de son départ, programmé pour mars 2012. A l’intérieur même du théâtre, au sein de son conseil d’administration, des voix se sont élevées contre cette décision jugée partiale : Claire Chazal, Martine Tridde-Mazloum et Jean-Pierre Vincent, des " personnalités qualifiées " du conseil d’administration de l’Odéon   sont “montées au créneau” dès le 4 avril pour sauver le soldat Py. Cette défense impromptue demeurera cependant sans conséquences : ni " le succès de fréquentation incontestable ", ni la représentation " de toutes les générations ", ni même le fait que " les objectifs de recette [aient été] dépassés ", n’auront raison du choix du ministre, lui-même conforté par le président de la République. Et Laure Adler  de s’interroger à son tour   : pourquoi Frédéric Mitterrand s’empresse-t-il  de pousser Olivier Py vers la sortie quand, à côté de cela, plusieurs " dossiers de renouvellement " des théâtres nationaux se révèlent de plus en plus " urgents " à traiter ? Ainsi en va-t-il de la Comédie-Française qui manquera prochainement d’un administrateur (Muriel Mayette doit partir dans l’année). D'autre part, Frédéric Mitterrand a nommé à la hâte Emmanuel Demarcy-Mota pour diriger le Festival d'Automne alors que ce dernier dirige déjà le Théâtre de la Ville… un cumul absurde s'il en est.

 

On conclura ce “dossier Olivier Py” en notant que là où le dramaturge a présenté jusqu’au 10 avril dernier un Adagio en l’honneur de François Mitterrand (Adagio [Mitterrand, le secret et la mort]), le neveu de ce dernier lui a pour sa part répondu par un Requiem. Rassurons-nous cependant, Olivier Py n’est pas destiné aux oubliettes de la culture ; il écopera du Festival d’Avignon en 2012. Preuve s’il en est que la levée de boucliers contre cette décision " injuste " n’a pas été aussi vaine – et le ministre aussi sourd – que l’on avait pu le penser début avril. 

 

Ce tour d’horizon des petit(e)s heur(e)s médiatiques de Frédéric Mitterrand montre bien, à qui en doutait encore, que le ministre ne fait pas/plus l’unanimité dans ses rangs. L’opinion, le public et même un certain nombre d’acteurs de la culture s’interrogent sur ses choix et sa capacité, voire sur sa légitimité, à diriger le ministère de la Culture et de la Communication. Du reste, Frédéric Mitterrand s’avère plutôt être un bon communicant, au regard de ses péripéties culturelles.

 
 

- Une brève histoire de la notion de culture pour chacun, par Pierre Testard.

 

- Le point de vue de la Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile-de-France sur la politique culturelle de Frédéric Mitterrand. 

 

- Une interview d'Antoine de Baecque, historien, sur la démocratisation de la culture, par Pierre Testard. 

 

- Un bilan du Conseil de la Création Artistique, par Pierre Testard. 

 

- Une synthèse du rapport sur les pratiques culturelles des Français, par Charlotte Arce. 

 

- Un compte rendu des affaires de la Maison de l'Histoire de France et de l'Hôtel de la Marine, par Charlotte Arce. 

 

- Une critique des actes de colloque Cinquante ans après. Culture, politique et politiques culturelles, par Christian Ruby. 

 

- Une interview de Françoise Benhamou, sociologue de la culture, sur la politique culturelle à l'heure de la mondialisation, par Lilia Blaise. 

 

- Une recension du livre de Jean Clair, L'hiver de la culture, par Muriel Berthou Crestey. 

 

- Une analyse des raisons de l'accablement nostalgique devant la culture contemporaine, par Christian Ruby. 

 

- Une réflexion sur une politique culturelle de l'émancipation, par Chistian Ruby. 

 

- Une proposition philosophique d'émancipation par la "culture de soi", par Christian Ruby

 

 

* Ce dossier a été coordonné par Charlotte Arce, Lilia Blaise, Quentin Molinier et Pierre Testard.